Ambiances olfactives rares

Barbara Witkowska Journaliste

Maître Parfumeur & Gantier, Jean-Charles Brosseau, Fragonard… Ces belles maisons nous transportent dans un univers féminin et raffiné, en conjuguant admirablement l’art du parfum, les accessoires et les créations pour notre home sweet home.

Carnet d’adresses en page 106.

Confidentiel ? Ce nom intimiste cache un tout nouveau concept de Fragonard, maison familiale de haute parfumerie, née à Grasse en 1926. On nous invite à faire partie d’un  » cercle privé « , un peu privilégié, pour partager, en petit comité, de nouvelles émotions et des activité éclectiques. Sur le plan olfactif, Confidentiel nous séduit avec quatre nouvelles fragrances, des parfums accompagnés d’un vrai sillage et conçus dans le plus pur esprit de la parfumerie française. Soudain, Après Tout, Cette Nuit-là, Mensonge : leurs noms, pleins de charme et de poésie, sonnent un peu à l’ancienne et reflètent bien la philosophie de la maison. Ils racontent une histoire que chacun peut interpréter à sa façon.

Soudain évoque un coup de foudre avec des notes fusantes de bergamote, de bourgeon de cassis, de fleur d’oranger et de bois de gaïac. Composé par Jean Guichard, grand spécialiste de la rose, Après Tout est un hymne à la reine des fleurs. Humez-la. Elle dévoile ici des facettes insoupçonnées, tout simplement exaltantes. Dans la composition de Cette Nuit-là, il y a du galbanum, de la rose turque et bulgare, du patchouli, de l’ambre et de la vanille. Ce philtre grisant se savoure comme le souvenir d’un voyage lointain, au c£ur des rêves orientaux. Mensonge est, en principe, un masculin. Gingembre, girofle, cumin, santal et cèdre de Virginie y vibrent à l’unisson et laissent sur la peau une empreinte troublante et sensuelle. Une belle histoire d’amour, donc, réécrite avec un vocabulaire chatoyant et personnel.

L’autre volet du concept ? L’exposition  » Confidentiel  » au Musée Fragonard, installé dans un magnifique hôtel particulier de style Napoléon III, à Paris. Il est très peu connu et c’est bien dommage, car il renferme de véritables trésors qui tournent autour de l’univers du parfum. L’expo actuelle met en scène, derrière des portes dérobées ou en vitrines secrètes (confidentialité oblige), des  » amours  » de boîtes, de flacons, de flaconniers de poche, de boîtes à poudre ou d’encensoirs. Les pièces datent des xviiie et xixe siècles et sont d’un raffinement exquis.

Dernier point fort de Confidentiel ? La création d’un cercle privé. On peut s’y inscrire comme membre, pour être invité à des soirées privées, des événements exceptionnels ou encore se faire gâter par des petits cadeaux exclusifs. Voilà pour les nouveautés. Fragonard nous fait aussi rêver au quotidien, à travers ses deux boutiques parisiennes. Les étagères débordent de créations olfactives, classées par familles, notamment des Eaux Naturelles qui fleurent bon la Provence (Fleur d’Oranger est irrésistible) ou des fragrances plus capiteuses, inspirées des archives bien anciennes de Grasse. Les best-sellers ? Fragonard de Fragonard, sublime bouquet de fleurs blanches ou encore Diamant, une vraie gourmandise à base de chocolat noir. A découvrir, aussi, la nouvelle gamme baptisée Vrai : des soins visage et corps formulés avec de l’huile d’argan, de l’huile de coton et du beurre de karité. Les adeptes de la beauté naturelle ne jurent que par le Sucre gommant aux huiles gourmandes. Dans l’univers  » home « , on craque pour les bougies d’ambiance, les pochons d’organdi brodé, les sacs de senteurs, les serviettes de table brodées main. Il y a aussi quelques beaux vêtements, chemises ou kurtas, taillés dans des soies indiennes (parfois anciennes), rapportées par Agnès Costa, grande voyageuse et directrice artistique de la maison Fragonard.

Le dernier salon où l’on se parfume

C’était avant la Révolution française. A Paris, on fréquentait alors des  » salons à parfums « , concentrés autour du Louvre et sur les ponts. Les élégantes s’y retrouvaient pour parfumer leurs gants, se faire préparer quelques lotions et onguents et… se raconter les derniers potins. Ils étaient environ 250 maîtres gantiers & parfumeurs, fiers de porter ce titre royal, à l’instar des maîtres de musique et des ébénistes. A la fin du Siècle des Lumières, ils disparaissent tous. La confrérie s’éteint peu après. Il faudra attendre 1988, pour que le parfumeur Jean Laporte recréé le concept et l’esprit de ces salons raffinés. Certes, on ne porte presque plus de gants. La boutique de la rue de Grenelle privilégie les parfums, inverse le nom et devient Maître Parfumeur & Gantier.

Belle mosaïque de marbres au sol, plafond repeint au goût de l’époque, tapisseries en cuir de Cordoue, vitrines élégantes, tout ici évoque l’ambiance chatoyante du xviiie siècle. En 1997, l’endroit change de propriétaire. Jean-Paul Millet Lage est banquier. L’envie de changer de vie et son intérêt naturel pour le parfum sont deux arguments suffisants pour racheter la boutique. La gamme des parfums, créée par Jean Laporte, s’est enrichie de quatre nouvelles compositions, imaginées par Jean-Paul Millet Lage, puis peaufinées par un laboratoire à Grasse. Bahiana, le tout dernier, est déjà un succès. Dédié au Brésil, il évoque un monde léger, chaud et insouciant, interprété autour de la noix de coco. Parmi les valeurs sûres de la marque on peut citer, aussi, Ambre Précieux (très envoûtant), Fraîcheur Muskissime (un dialogue admirable entre les fruits rouges et le musc) et Eau de Camélia Chinois (une subtile harmonie de thé et de fruits exotiques). Pour parfumer la maison, on a le choix entre une vaste panoplie de parfums à vaporiser, de bougies et de pomander. Leurs noms font rêver : Ambre du Népal, Bois Moussu, Fruits d’Automne ou Tige d’Iris.

Il y a un an, à l’approche des fêtes, Jean-Paul Millet Lage a relancé les gants. Déclinés en plusieurs modèles, sobres ou fantaisie, ils s’accompagnent d’un petit coussin aux notes d’iris ou de vétiver. Une ligne de bain (savons, gels douche, émulsions pour le corps) vient enrichir les eaux de toilette les plus demandées. Jardin Blanc, Rose Opulente et Fraîche Passiflore. De belles opérations de mécénat se traduisent, elles, par la promotion, à titre gracieux, de jeunes artistes talentueux qui flirtent, d’une façon ou d’une autre, avec le parfum. En ce moment, on peut admirer à la boutique un somptueux brûle-parfum, Doupah (ce qui signifie  » encens  » en sanskrit), réalisé par Sébastien Cipriano, créateur et ciseleur en joaillerie. Il représente une fleur à peine éclose. Les grands pétales cachent huit présentoirs à encens. Spectaculaire et très décoratif, ce chef-d’£uvre en argent massif s’inscrit dans la tradition de la haute parfumerie française. Edition limitée sur commande.

Couvre-chefs et belles fragrances

Jean-Charles Brosseau est installé au Viaduc des Arts, un cadre superbe, dans le nouvel Est-Parisien. Il accueille derrière ses magnifiques arcades une cinquantaine de boutiques, vouées aux métiers d’art. Chez Jean-Charles Brosseau, le bel espace voûté aux pierres apparentes met admirablement en valeur ses chapeaux, ses accessoires et ses parfums.

Après la Seconde Guerre mondiale, Jean-Charles Brosseau s’inscrit à l’Ecole de la chambre syndicale de la haute couture, puis se dirige vers l’accessoire et, plus particulièrement, vers la création de chapeaux. Il accessoirise les défilés de Jacques Fath et de Guy Laroche qui fait ses débuts dans la couture. Sa propre maison naît en 1955. Il délaisse alors les grands couturiers et préfère collaborer avec les premiers designers ou  » créateurs  » de mode, français, italiens ou américains. Deux lignes saisonnières de couvre-chefs prêts-à-porter sont également proposées dans sa boutique. Les modèles sont seyants et pratiques. En explorant les étagères dans le détail, on tombe aussi sur des accessoires inédits, édités en toutes petites séries, comme ces visières en crin, ces larges ceintures en cuir qui habillent superbement les hanches, ces écharpes en cachemire rasé ou encore ces bonnets en résille métallique dorée. Un parfum, un seul pour commencer, y ajouta une touche olfactive.

Composé par Françoise Caron et lancé en 1981, Ombre Rose, fait partie de ces fragrances roses, terriblement féminines, pleines de charme, immédiatement identifiables, à la fois classiques et intemporelles. Admirablement architecturé, le mélange d’iris, d’ylang-ylang, de miel, de pêche et de bois de santal, dessine un sillage charnel et sensuel, délicatement poudré. Le flacon, trouvé chez un marchand de verre, synthétise les codes de l’Art déco : une silhouette nette et géométrique, adoucie par des motifs ondoyants sculptés dans le verre. Ombre Rose a fait une formidable carrière, en solitaire, pendant plus de vingt ans. Aujourd’hui, elle accueille dans son sillage Fleurs d’Ombre, deux petites s£urs, habillées de la même robe Art déco, mais colorées de bleu et de vert. Violette-Menthe, de couleur verte, est une grande bouffée d’air frais avec des accords de bergamote, de menthe poivrée, de violette de Parme et du cassis sauvage. Conçue comme un souvenir de vacances paradisiaques, Ombre Bleue, de couleur bleue, déploie ses effluves sensuels où se mêlent la fleur d’oranger, le jasmin, le muguet, la cire d’abeille et le monoï. Jean-Charles Brosseau a également orchestré la composition de trois parfums pour homme, habillés d’un même flacon sobre et élégant au bouchon sphérique. Thé Brun, Atlas Cedar et Fruit de Bois affichent clairement leurs familles olfactives. Singulières et pleines de caractère, elles ne font aucun compromis aux tendances et s’adressent aux connaisseurs.

Barbara Witkowska

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