Elle est l’une des rares (jolies) femmes à graviter dans un monde d’hommes. À 28 ans à peine, Ambra Medda dirige depuis 2005 Design Miami, l’une des foires de design contemporain les plus prestigieuses du monde. Un rendez-vous de collectionneurs. Mais surtout une plate-forme ouverte aussi aux jeunes créateurs de talent.

Le mot designista n’existe pas mais on pourrait l’inventer pour elle. Même s’il y a gros à parier qu’elle détesterait cette étiquette-là. Tout ce qui met en boîte, qui classe, lisse, catégorise, enferme dans un moule, Ambra Medda s’en moque. Depuis qu’elle est gamine, d’ailleurs.  » Je suis très individualiste, insiste-t-elle. Je crois que c’est souvent le cas des gens qui ont été exposés dès l’enfance à des cultures différentes. Toute petite, j’ai vécu en Grèce, en Italie, en Grande-Bretagne. J’ai toujours préféré faire les choses à ma manière. Quitte à ne pas faire partie de la bande. « 

Pour Ambra, l’éclectisme a valeur d’art de vivre.  » L’idée même d’assortiment est un concept que j’ai du mal à comprendre, sourit-elle. En mode comme dans la maison, j’aime les mélanges. Quand deux objets, de style ou d’époque totalement différents, cohabitent harmonieusement juste parce que vous les avez choisis personnellement et que vous les aimez. C’est une question d’instinct, de passion aussi. « 

Cet amour des meubles rares, qu’ils soient signés du grand designer Gio Ponti ou chinés au hasard d’une brocante, c’est sa mère qui le lui a transmis. Très vite, la maison familiale sert d’annexe à la galerie londonienne Themes & Variations créée par Giuliana Medda.  » Chez nous, les objets comme les tableaux étaient constamment en transit, se souvient la jeune femme. Il ne fallait surtout pas s’y attacher. Je pouvais rentrer de l’école et découvrir que mon lit avait été vendu.  » Dans le salon de Giuliana Medda, collectionneurs, artistes et designers en vogue croisent régulièrement la petite Ambra.  » En cela, j’admets que j’ai eu de la chance, reconnaît-elle. Il y a des choses que je sais, sur l’histoire du design notamment, sans avoir réellement dû les apprendre. « 

Pourtant lorsque vient pour elle le moment de se choisir une carrière, le champ du design lui paraît aussi étriqué que poussiéreux.  » J’avais déjà participé à de nombreuses foires d’art contemporain avec ma mère, rappelle-t-elle. Le design ne suscitait pas l’excitation qu’il provoque aujourd’hui. Cela n’intéressait qu’une poignée de collectionneurs aisés.  » Ambra décide alors d’apprendre leà mandarin, s’installe à Pékin pour dix-huit mois et décroche sa licence en art asiatique à la London University. En 2004, elle se retrouve plongée comme curatrice indépendante dans le tourbillon d’Art Basel Miami Beach.

 » C’est là que le design m’a rattrapée, confesse-t-elle. J’ai senti que c’était le bon moment pour offrir à ce secteur une plate-forme qui permette à tous ses acteurs de se rencontrer comme Art Basel le fait pour le monde de l’art.  » L’année suivante, soutenue par le promoteur immobilier américain Craig Robins, Ambra fonde Design Miami. Grâce à son impressionnant carnet d’adresses, elle réussit à convaincre les plus prestigieuses galeries spécialisées dans le design édité en série limitée d’y participer. A l’époque, les prix de ces meubles arty s’envolent, atteignant des montants qualifiés parfois d’insensés, même et surtout par les professionnels du secteur. Depuis lors, la crise a calmé le jeu.

 » Il y avait peut-être moins d’exposants à Design Miami en décembre 2009, mais les galeries qui sont venues ont apporté le top de ce qui se fait aujourd’hui, se défend Ambra Medda. Bien sûr, les gens viennent ici pour vendre, pour acheter. Mais pas seulement. Le design, c’est toute une communauté qui peut ici se rencontrer et partager des idées. Ce qui permet à l’architecture, au design, à l’art contemporain d’évoluer, c’est justement cet échange des savoirs et des expériences. « 

Cette logique a priori non commerciale, Ambra Medda décide même de la pousser un cran plus loin en organisant, avec Silvia et Stefania Fendi, pendant le Salon du meuble 2009, à Milan, un workshop réservé à de jeunes designers émergents invités à utiliser les déchets de fabrication (cuir, tissusà) des ateliers Fendi.  » Nous voulions redonner toute sa place à l’artisanat, au fait main. Montrer comment les choses sont réalisées en permettant aux créateurs de travailler en direct, rappelle Ambra Medda. On a trop souvent tendance à opposer artisanat et technologie. Mais, à ses débuts, toute technologie est d’abord artisanale. Tout commence par des découvertes, par de l’innovation. « 

Rare femme dans un monde d’hommes, Ambra Medda ne s’est pas reposée sur ses acquis familiaux pour se forger un nom.  » En réalité, je savais très peu de choses du design contemporain, admet-elle. J’avais un background plutôt historique. Mais je me suis adaptée. Je me suis plongée dedans. Au début, c’est vrai, ce n’était pas toujours facile. J’avais l’impression que je devais constamment me justifier d’être jeune, d’être une femme, d’être là. Maintenant, je me dis, c’est à prendre ou à laisser, les gens peuvent bien penser ce qu’ils veulent, je suis ici pour travailler. « 

Maarten Baas qui s’est vu décerner le titre très convoité de Designer de l’Année 2009 par Design Miami voit dans la jeune femme bien plus qu’une belle plante cherchant à se faire remarquer.  » Ambra, ce n’est pas seulement une jolie fille, même si tous dans mon studio vous diront que c’est incontestablement un petit plus très apprécié, plaisante le créateur néerlandais. J’aime la façon dont elle regarde mon travail. Dont elle le comprend, toujours. Elle en parle mieux que moi. C’est une visionnaire. « 

Une collectionneuse, aussi, même si elle regrette de ne pas toujours avoir les moyens de ses ambitions.  » Ce n’est jamais la valeur financière qui doit primer. Je collectionne des coquillages, des cailloux. J’accumule les chapeaux, les lunettes de soleil, les chaussures. C’est en moi ! C’est une passion. S’il y a bien une chose que la crise nous a enseigné, c’est que les objets les plus chers ne sont pas nécessairement les plus intéressants. Je suis contente finalement que le marché se soit calmé. Les créations qui ont perdu de leur valeur ces derniers mois sont celles qui n’avaient pas de sens. La spéculation n’est pas tout. « 

Nomade dans l’âme depuis l’enfance, Ambra ne cesse d’arpenter le monde pour découvrir de nouveaux talents, dans les foires mais aussi dans les écoles. Parfois même jusqu’au trop-plein.  » Vous savez, cette étrange impression que l’on ressent, dans un aéroport, devant les tapis roulants des bagages : lorsque vous n’arrivez plus à vous souvenir du nom de la ville d’où vous êtes parti. Ou quand vous ne retrouvez plus votre chambre dans les couloirs de l’hôtel. « 

Ce discours de jet-setteuse, lookée comme la parfaite it girl qui sait prendre la pose devant les caméras, Ambra jure de ne s’en servir que pour la bonne cause.  » Je ne suis pas ici pour promouvoir mon propre talent mais celui des gens que je représente. Communiquer, cela fait partie de mon boulot même si, en réalité, je n’aime pas trop me mettre en avant. Je sais que certaines personnes ont tendance à me voir, cheveux au vent, un beau sac au bras et elles se disent :  » Waouw, elle est trop glamour cette fille !  » Mais laissez-moi vous dire une chose : la réalité du monde des meubles n’est pas glamour du tout !  » n

Par Isabelle Willot

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