» C’est de l’art ce que fait Jean Paul Gaultier « , a dit un jour Warhol. On souscrit, Madonna aussi.

Ces deux-là étaient faits pour s’entendre. Pas seulement parce qu’ils sont peroxydés, non, plutôt parce que le mélange des genres est leur tasse de thé, les boîtes de nuit quand tous les chats sont gris aussi. Et le génie, dans leur matière respective, et leur façon de façonner des hommes-objets. Quand, pour les besoins de son Blond Ambition Tour, Louise Veronica Ciccone (Bay City, 1958), chanteuse pop plus connue sous le nom de Madonna, demande à Jean Paul Gaultier (Arcueil, 1952), couturier français, de dessiner tous les costumes de son spectacle, il n’est pas encore écrit que leur image de marque sera celle-là, si pas pour l’éternité en tout cas pour quelques longues années stylées. Un corset en satin couleur chair aux seins obus (photo), arborés dessous dessus, mamma mia, il n’y avait qu’eux pour inventer ça. En réalité, Jean Paul l’avait déjà cousu à 5 ans, pour son nounours baptisé Nana, sur imitation fantasmée des soutiens-gorge que portait sa grand-mère gâteau qui lui inculqua  » l’immense tolérance aux autres et à la différence, en général « . Et déjà dans un esprit couture, rien d’étonnant, il fut biberonné à Falbalas de Jacques Becker, ce film,  » le point initial  » de son destin, qui raconte la vie et la mort de Philippe Clarence et de sa maison de couture, avec premières d’atelier, mannequins cabine et petites mains affairées – que Gaultier, qui a toujours rué dans les brancards, appelle respectueusement ses  » grandes mains « .

 » GUEULES CASSÉES, NE PAS S’ABSTENIR  »

Pour l’heure, en ce glorieux début de l’année 1990, JPG a déjà fait beaucoup pour la mode. Il a fondé sa propre maison en 1976, fait défiler des blousons en cuir sur des tutus, provoqué le clash entre le classicisme et la rue, repoussé les frontières, chahuté le protocole,  » plus de barrières, affirme-t-il, c’est mon mode d’expression « , son élégance à lui. Il a imaginé avec Régine Chopinot une pièce chorégraphique qui brouille les pistes, Le Défilé (1985), ovni drolatique et métaphysique qui réinvente les codes du show du vêtement, de la danse, avec des thèmes titrés Les vieux slips, La bosse de la danse ou Les derniers cri-nolines. Il a casté ses modèles via les petites annonces de Libération :  » Créateur non conforme cherche mannequins atypiques, gueules cassées ne pas s’abstenir.  » Il a aussi osé les superpositions hasardeuses, enfilé une marinière sous une veste de smoking ( » quoi de plus beau ? « ), réinventé la jupe pour les hommes, retravaillé les anachronismes et la jupe gitane,  » comme un terrain de jeu  » et sublimé le quotidien, les putes, les bourgeoises, les nones, les marins ou les go-go dancers. D’ailleurs, son printemps-été 1990, on l’a vu sur la chanteuse Neneh Cherry qui ouvrait le bal de ces  » Rap-pieuses « , une collection comme un collage inédit entre le sport et le mysticisme, dans une Grande Halle de la Villette transformée en cathédrale, la messe a duré 45 minutes, tous convertis.

Un jour, quand le futur sera devenu le présent, Jean Paul Gaultier aura 60 ans, il siégera comme membre du jury au Festival de Cannes, 60e édition – la première fois qu’un créateur aura son mot à dire sur le cinéma, faut dire qu’il n’est pas ignare en la matière et qu’il aura le droit pour avoir rhabillé La Cité des enfants perdus de Caro et Jeunet, Kika d’Almodóvar, Le Cinquième Elément de Besson, et même Mozart et ses Noces de Figaro à l’opéra de Montpellier. Il aura depuis longtemps touché avec dextérité à la haute couture, à la bouteille de Coca-Cola, aux collections Hermès. Et continuera d’inventer des vêtements admirablement coupés avec cette légèreté et cet humour, morts étranglés partout ailleurs – le monde aura changé, pas lui.

ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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