Elle a fait de la couleur sa signature visuelle. La créatrice parisienne, chef de file d’une bohème chic triomphante, signe un parcours sans faute. Rencontre.

Ses intérieurs sont à son image : énergiques, joyeux, métissés. On reconnaît désormais au premier coup d’oeil le style India Mahdavi, un style fait de couleurs et de juxtapositions détonantes.  » Une maison, c’est comme une garde-robe, dit-elle. On achète des nouvelles pièces, on donne, on jette, on change les meubles de place. J’aimerais aider les gens à être plus créatifs avec leur intérieur.  » C’est chose faite avec Home(*). Pas un beau livre de plus à poser sur sa table basse, mais un ouvrage  » mode d’emploi  » où dénicher les petits conseils d’une grande décoratrice.

Depuis l’époque où elle a quitté l’agence de Christian Liaigre pour écrire sa propre histoire, India a gravi impeccablement les échelons de la profession, privilégiant la qualité plus que la quantité, choisissant des projets et des partenaires un peu particuliers. Des gens qu’elle décrit comme  » accomplis et libres « . A l’instar de l’entrepreneur branché Thierry Costes, qui avoue partager avec elle un  » appétit intellectuel et esthétique « , mais aussi de Maja Hoffmann, mécène de l’art contemporain, qui l’a choisie pour décorer sa maison arlésienne, puis son nouvel hôtel du Cloître.

Dans son sillage gravitent également des artistes comme le plasticien algérien Adel Abdessemed, des producteurs de cinéma (Nathanaël Karmitz), des femmes de télé (Claire Chazal, Daphné Roulier), des personnalités de la mode (Joseph dans les années 90, Alber Elbaz), des chefs étoilés (Jean-François Piège), des photographes hype. Cette petite communauté se réunit dans son showroom lors de cocktails qui débordent souvent sur le trottoir de la rue Las Cases, en plein VIIe arrondissement de Paris. India Mahdavi incarne cette bohème un peu aristo de la rive gauche, pour qui la Ville lumière n’est qu’un ancrage pour mieux s’échapper. De Milan à Miami, elle balade sa grande silhouette et son oeil sans cesse aux aguets, guidée par ses doutes et son instinct. En artiste qu’elle est.

Elle a fait de sa différence un atout.  » J’ai eu beaucoup de chance, reconnaît India. Quand j’ai ouvert mon agence à Paris en 1999, nous étions très peu de femmes dans ce métier.  » De fait, avec Andrée Putman (1925-1913), elle fait alors partie des rares architectes d’intérieur à s’imposer. En nouvelle venue, elle hérite d’un traitement de faveur. En plus d’être une femme, elle porte un nom aux sonorités lointaines, qui suscite la curiosité de la presse. India Mahdavi le sait et en joue. Elle est un melting-pot à elle seule : elle a été conçue en Inde – d’où son prénom -, mais est née à Téhéran, d’où est originaire son père, professeur d’économie. Sa mère, à moitié britannique, vient, elle, d’Egypte. India n’a vécu qu’un an et demi en Iran. La famille de cinq enfants a suivi les mouvements de la carrière paternelle. India a grandi dans le Massachusetts aux Etats-Unis, à Heildelberg en Allemagne, puis à Nice et, enfin, à Paris où elle a fait les Beaux-Arts, section architecture. Il y aura ensuite New York et la Parsons School, où elle approfondit le design.  » Ma première langue est l’anglais, je n’ai appris le français qu’à l’âge de 7 ans. Chaque fois que nous avons déménagé, j’ai dû m’adapter à un nouveau milieu, à une nouvelle langue.  » De cette contrainte, cette nomade a fait un atout.  » J’ai un côté caméléon qui me permet de saisir très vite ce que veut un Anglais ou un Américain. Or, dans ce métier, quand on a compris la personnalité qu’on a en face de soi, on a fait la moitié du travail.  »

Elle a réveillé la décoration française. Les intérieurs français ont longtemps été abonnés à cinquante nuances de gris et de beige. Alors, quand India Mahdavi, au début des années 2000, dégaine sa palette, elle fait la différence. D’autant qu’elle mélange aussi les imprimés, créant un intérieur plein de contrastes, des murs au carrelage. Elle entremêle les styles et les époques, se plaît à  » chahuter le cucul « , comprenez les codes bourgeois comme le chintz.  » Ma recette ? C’est un max de mix, je suis un mélange de tellement de choses « , avoue-t-elle. Mais India possède un autre talent : l’équilibre. Elle est la seule à savoir harmoniser dix teintes à la fois. Du coup, elle fait très vite de la couleur sa signature visuelle. Au Townhouse, son premier hôtel à Miami, elle plante une terrasse rouge écarlate. Au Condesa, à Mexico, elle décide au dernier moment de peindre tout le lobby en vert d’eau. Autant de couleurs qui resurgissent de son enfance passée dans l’Amérique des années 60,  » celle du Technicolor « . Son inspiration vient aussi du cinéma, qui fut longtemps son dada. Elle avoue un faible pour les James Bond et leurs  » décors exagérés « . S’il y a une petite part de spectaculaire dans ses intérieurs, il y a aussi beaucoup de chaleur et de confort.  » India n’oublie pas l’essence même de son métier. Avec elle, on est dans le plaisir, pas dans la performance « , observe Jean-François Piège.  » Elle est l’une des rares à savoir faire des lieux chics et décontractés « , résume Thierry Costes, qui l’a encore choisie pour son chantier du Café français, place de la Bastille, à Paris.

Elle a su créer des icônes. Si une pièce résume le style India Mahdavi, c’est bien le Bishop. Cet objet est devenu l’emblème de la créatrice. Le tout, sans business plan et sans l’appui d’un grand éditeur. Pas mal. L’histoire débute à New York, où la décoratrice prépare pour l’entrepreneur américain Jonathan Morr l’APT, un bar boîte dans le quartier branché de Meatpacking. Le Bishop, en référence au fou des échecs, est alors un tabouret de bar en bois tourné. India l’utilise à nouveau, à Mexico, au bar de l’hôtel Condesa. De retour à Paris, elle réfléchit à une nouvelle version, plus économique, du même objet, qu’elle pourrait vendre dans son nouveau showroom et faire fabriquer elle-même. Le bois étant trop cher, elle opte pour la céramique, qui prend si bien la couleur. India revoit les proportions et d’un tabouret de bar fait une sorte de guéridon, ni une assise ni tout à fait une table. Tous les ans, il change de costume. Avec lui, India a créé un emblème de son style nomade.

Elle a le sens du goût et des affaires. Elle aurait pu se contenter du succès de son agence d’architecture d’intérieur (aujourd’hui 15 personnes et une dizaine de chantiers dans le monde entier), mais India a voulu aller plus loin. En 2003, alors qu’elle travaille essentiellement à l’étranger, elle décide de se créer un point d’ancrage visible à Paris, où elle vit. Elle ouvre rue Las Cases, au pied de son agence, un showroom où elle présente ses meubles et une sélection d’artistes qu’elle apprécie. Au moment où tous les designers ne rêvent que de collaborer avec des grands éditeurs italiens, elle fait le choix de l’indépendance et auto-édite toutes ses pièces. Il y a un peu plus d’un an, elle a ouvert une deuxième boutique d’accessoires, toujours dans la rue Las Cases. On y trouve ses créations et quelques pièces de sa sélection. Une façon de plus de déployer sa palette de couleurs et de partager son goût des belles choses. Elle rêve aujourd’hui d’exprimer un certain  » orientalisme contemporain « . Plutôt que d’attendre qu’on vienne la chercher, elle réfléchit déjà à un projet d’hôtel à Téhéran pour lequel elle serait non pas la décoratrice, mais l’initiatrice. India n’a pas froid aux yeux, on vous dit.

Home, par India Mahdavi, avec Soline Delos, Flammarion, 240 pages.

PAR MARION VIGNAL

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