Il y a 500 ans, naissait André Vésale. Un demi-siècle plus tard, le célèbre médecin bruxellois faisait naufrage sur les côtes de Zakynthos, perle des eaux ioniennes. Une vraie tragédie grecque, même s’il y a pire que mourir au paradis…

Si William Shakespeare, né l’année de la mort de Vésale, n’a jamais clamé les charmes de Zakynthos, les plumes de ses confrères Edgar Allan Poe et Oscar Wilde ont dédié des vers enflammés à la beauté de l’île. Le premier a signé un Sonnet à Zante à mille lieues de son Double assassinat dans la rue Morgue ou ses autres récits macabres, évoquant un  » rivage émaillé de fleurs  » et les  » heures radieuses  » qu’il y a passées. Le second fut tout aussi charmé dans son Impression de Voyage :  » La mer avait la couleur du saphir, et le ciel, dans l’air, brûlait comme une chaude opale. Nous hissâmes la voile, le vent soufflait avec force vers des pays bleus s’étendant vers l’Orient. De la proue escarpée, je remarquai, avec une attention plus vive, Zakynthos…  »

Rattachée à la Grèce en 1864 après avoir été sous domination vénitienne, française et britannique, l’île a d’abord porté le nom de Zante que lui avaient donné les Italiens. Puis celui de Fior di Levante – Fleur du Levant. Autres rebondissements, bien plus dramatiques, que Zakynthos a connus : des violents tremblements de terre en 1893 et en 1953. Le second séisme fut particulièrement ravageur, coûtant la vie à plusieurs centaines de personnes. Seule l’église dédiée à Agios Dionysos, son saint patron, en a miraculeusement réchappé. Au contraire de Santa Maria delle Grazie, qui aurait abrité la tombe d’André Vésale. Aujourd’hui, des petites secousses se font encore ressentir chaque année. En sachant que les plus importantes arrivent environ tous les 60 ans, Zakynthos se prépare…

TORTUES ET TEMPÊTES

C’est aussi un tremblement de terre, il y a 300 ans, qui a détaché l’îlot d’Agios Sostis de l’île mère. Accessible via une passerelle depuis la plage de Laganas, elle est inhabitée et constitue une très agréable excursion. On y déguste un ouzo glacé, profitant d’un décor qui invite à la détente. La vue est magnifique, offrant un panorama sur la petite île voisine de Marathonissi, qui semble émerger des flots tel un gigantesque chélonien. Le site est d’ailleurs protégé, en raison des nombreuses tortues de mer qui viennent pondre sur ses plages. L’espèce Caretta caretta peut atteindre un mètre de longueur et peser jusqu’à cinq cents kilos. Heureusement que Marathonissi est bien loin du sable très apprécié de Laganas, où la jeunesse britannique adore venir festoyer durant la belle saison. Alors qu’au printemps, c’est désert…

On raconte que c’est sur cette même plage qu’en 1564 s’est retrouvé le naufragé André Vésale. Accroché aux débris du bateau échoué qui aurait dû le mener de Jérusalem à Venise, il aurait réussi à se traîner jusqu’à la terre ferme, avant de succomber au typhus. Dans l’Antiquité déjà, les Grecs se défiaient des violentes colères d’Éole dans les îles Ioniennes, au large du Péloponnèse, et c’est probablement l’une de ces tempêtes qui a été fatale à notre compatriote. Triste sort pour celui qui, encore aujourd’hui, reste considéré comme l’une des figures majeures de l’humanisme et l’un des plus grands anatomistes de la Renaissance… Plusieurs traces subsistent à Zakynthos. Entre les terrasses et les discothèques, se cache une pierre commémorative à la mémoire de Vésale, érigée en 1964 par l’association des diplômés des universités belges. Un peu plus loin, le Vezal Beach Bar attend l’arrivée de l’été. On trouve également une rue André Vésale à Pantokrator, ainsi qu’un supermarché et une taverne à son nom…

MYSTÈRES ET BEAUTÉS

 » N’importe quel gamin des environs peut vous dire qui était André Vésale « , affirme Katerina Demeti, directrice du musée byzantin de Solomos et Kalvas. L’endroit est charmant, bien qu’un peu vieillot. Mais la visite vaut le détour, notamment pour comprendre l’impact des séismes sur la région et en apprendre davantage sur le dernier voyage du médecin belge. On y trouve des documents très anciens racontant le drame, ainsi qu’une belle gravure d’un artiste anglais surnommé Miller, qui dépeint le paradoxe du naufragé à la détresse sur une plage idyllique.  » C’était un grand scientifique. Nous sommes fiers que son nom soit associé à notre île. Même s’il n’y est venu que pour mourir, j’ai l’impression que son esprit est resté parmi nous.  »

Du navire emprunté par Vésale il y a 450 ans, il ne reste aujourd’hui plus rien. Drôle de hasard : Zakynthos doit aussi sa renommée à un autre navire, le Panagiotis, qui a échoué dans une jolie baie du nord-ouest de l’île, en 1980. Le décor est somptueux : baptisée Navàgio ( » naufrage  » en grec), la baie entourée de hautes falaises calcaires n’est accessible qu’en bateau. Sa plage est devenue la plus photographiée de Grèce, et pour cause : l’affaire du Panagiotis est nimbée d’un doux mystère. Plusieurs histoires supposent que le navire transportait des cigarettes de contrebande entre la Turquie et l’Italie. Il aurait alors été pris en chasse par les garde-côtes grecs, avant de venir s’échouer dans cette petite baie située non loin de Porto Vromi. Son équipage et sa cargaison ont disparu sans laisser la moindre trace, même s’il se murmure que le capitaine aurait refait sa vie… à Anvers. Certaines mauvaises langues de Zakynthos, pourtant, n’en démordent pas : l’épave qui sommeille sur le sable aurait été plantée là par le ministère du Tourisme pour attirer les curieux du monde entier…

L’île vit à la fois du tourisme, de la pêche et du transport maritime. Elle a plutôt bien résisté à la crise, qui ne semble pas avoir trouvé de radeau pour arriver jusque-là. Si de nombreux jeunes diplômés choisissent de s’expatrier en Europe occidentale, l’administration locale possède encore beaucoup d’arguments pour que les habitants profitent des richesses de ce petit coin de terre sans nuage. Pas moins de 450 000 visiteurs tombent chaque année sous le charme de l’île. Si l’on excepte quelques zones un peu trop touristiques rappelant la Crète, Rhodes ou Corfou, le lieu a largement réussi à conserver son authenticité. Outre ses magnifiques plages rocheuses et sa mer aux nuances cobalt ou turquoise, elle offre une nature de toute beauté où seuls des oliviers centenaires, de splendides vergers et quelques villages pittoresques témoignent d’une très discrète présence humaine. Les souvenirs légués par l’Histoire, eux, sont précieux. Difficile, bien sûr, d’imaginer la grandeur d’antan de Zante et de sa capitale éponyme, lorsque les Vénitiens y bâtissaient des splendides maisons et palais. Néanmoins, l’ancien théâtre et la halle aux poissons remontent tous deux à cet âge d’or italien, qui a également laissé des traces dans les sonorités chantantes du dialecte local et dans les saveurs de sa gastronomie…

PAR HENK VAN NIEUWENHOVE

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