Annevoie la poésie de l’eau
Rêve d’un maître de forges du XVIIIe siècle, Annevoie est une véritable féerie sur le thème de l’eau. Mélange d’inspirations française, anglaise et italienne, ce jardin unique en son genre fait l’objet d’une minutieuse restauration… et renoue avec son lustre d’antan.
Carnet d’adresses en page 71.
« Annevoie représente quel- que chose de particulier dans l’histoire des jardins. La plupart des réalisations de ce genre ont été, en leur temps, des affirmations de la puissance de leurs propriétaires. Mais ici, on a l’impression d’un lieu construit pour une famille, beaucoup plus intimiste, plus romantique. Annevoie est empreint d’une grande poésie, fruit de plusieurs influences. On y trouve en effet le formalisme à la française, son point de départ. Il est toutefois mâtiné d’influences anglaises. Et les connaisseurs y pointeront aussi de petites références aux jardins italiens. » Jean-Noël Capart connaît bien les jardins d’Annevoie pour y être le paysagiste en charge de leur réfection. Il est un spécialiste de la restauration des parcs historiques : au cours des dernières années, il a participé à celles du Parc de Bruxelles, de l’Abbaye de la Cambre et, plus récemment, du Parc Josaphat à Schaerbeek.
La nouvelle histoire d’Annevoie a commencé en 2000, avec le changement de propriétaire. Depuis sa création par Charles-Alexis de Montpellier, entre 1758 et 1776, le domaine était toujours resté entre les mains de la même famille. Le nouvel acquéreur, le Cercle de Lorraine, s’est associé avec la Région wallonne pour mener à bien sa restauration. Annevoie étant classé au nombre des patrimoines majeurs, rien ne pouvait être entrepris sans une étude historique approfondie. Elle a été réalisée par une spécialiste en la matière, Nathalie de Harlez de Deulin.
Une étude historique est nécessaire pour retracer l’évolution du site depuis ses origines. On sait, par exemple, que le fils du créateur a enrichi le plan originel, tout en gardant le tracé établi par son père. On est alors à un moment clé de la cohabitation du formalisme à la française avec le romantisme anglais. Ainsi, le père et le fils ont-ils construit deux cascades très différentes, à quelques décennies d’intervalle. La première, celle du père, est architecturée, cadrée au niveau supérieur par une rambarde et deux personnages. La seconde est inspirée par la nature et est composée de rochers empilés sur lesquels la végétation s’est installée.
L’eau est l’âme d’Annevoie. Le parc comprend, en effet, pas moins de 20 plans d’eau et une cinquantaine de jeux d’eau, de fontaines… qui n’ont jamais cessé de fonctionner depuis près de 250 ans !
L’ensemble est régi par un grand canal paysager situé au point le plus haut de la propriété. Il est alimenté par 4 sources. » La plus éloignée est située à 2,5 km des jardins, note Jean-Noël Capart. Ce qui signifie que Charles-Alexis a dû faire construire un réseau de canalisations, en partie souterrain, en partie aérien, pour amener toute cette eau en permanence… Il est clair qu’il faudra un jour se pencher sur l’état de ces conduites et viaducs. »
Si Annevoie séduit, c’est aussi parce que son créateur a su faire oublier la technique, conférant aux jeux d’eau une apparence quasi naturelle. Ainsi, le grand cracheur projette-t-il son jet à 7 mètres de hauteur, sans marquer le moindre signe d’essoufflement. Et toutes les fontaines en éventail sont idéalement incorporées dans des écrins de pelouse, de sorte qu’on ne distingue pas immédiatement l’embout d’où jaillit l’eau, celle-ci semblant surgir spontanément du sol.
C’est encore et toujours le grand canal qui alimente la seule cascade fortement architecturée : le buffet d’eau qui occupe, en différents étages, une partie de colline. Il est préservé dans un état de fonctionnement remarquable, sans jamais avoir cessé de couler depuis sa construction en 1760.
Au fil du temps, les générations de Montpellier ont apporté à l’ensemble des ajouts plus ou moins heureux. Le plus imposant est ce jardin de fleurs symétrique que le visiteur peut embrasser du regard depuis la rue des Jardins, où se trouve l’entrée publique du domaine. Quant au potager, sa surface a été réduite au tiers.
» La restauration d’Annevoie n’en est qu’à ses débuts, souligne Jean-Noël Capart. Nous pensons, par exemple, revenir au tracé originel du potager. Des ajouts jugés moins heureux seront peut-être supprimés. Mais tout ce qui se fera sera exécuté dans l’esprit de la charte de Florence. Conçue par le comité international des jardins historiques, celle-ci part du principe qu’un jardin est un patrimoine vivant : il évolue au fil du temps, au rythme de la croissance des végétaux. Une restauration ne peut, par conséquent, privilégier une époque par rapport à une autre. »
Autre principe important, la charte de Florence prévoit aussi l’entretien des jardins. Le matériau principal étant le végétal, celui-ci doit être remplacé, voire renouvelé, au prix d’une coupe à blanc. » Au parc de Bruxelles, j’ai fait abattre plus de 300 arbres et nous en avons replanté plus de 200, signale Jean-Noël Capart. Annevoie a tout autant besoin d’un plan de rajeunissement. Nous allons donc abattre, mais pour replanter en suivant précisément le plan originel. Simplement, la prochaine génération y verra de jeunes arbres, tout comme les contemporains de Charles-Alexis. »
Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel
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