L’hôtel Puerta America, à Madrid, aurait pu s’appeler Las Vegas Parano. Entre matériaux futuristes et concepts avant-gardistes, voici le premier 5-étoiles né d’une imagination délirante. Le résultat ? Stupéfiant.

Carnet d’adresses en page 80.

Si l’architecture a désormais ses stars capricieuses, ses projets délirants et ses budgets mégalos, l’hôtel Puerta America, à Madrid, s’impose comme une véritable superproduction. Le synopsis était alléchant : confier chacun des douze étages d’un hôtel grand luxe à un designer ou architecte de renommée internationale. Restait à le produire. C’est Silken, une chaîne d’hôtellerie espagnole, qui a relevé le défi pour la somme de 75 millions d’euros. Un montant astronomique qui laisse entrevoir l’envers d’un décor conçu à la puissance 1 000.

Les chauffeurs de taxi madrilènes qui vous emmènent à tombeau ouvert depuis l’aéroport de Madrid-Barajas confondent parfois votre destination avec un autre hôtel de l’Avenida de America. Il suffit de leur décrire une façade bariolée  » muchos colores  » pour les remettre dans le droit chemin. Vamos ! Le long de cette voie rapide pas franchement enthousiasmante, l’hôtel Technicolor dessiné par le Français Jean Nouvel ferait passer les films d’Almodovar pour un vieux Pola délavé. On ne sait pas très bien si cet assemblage de toiles bleues, vertes, jaunes est pleinement réussi mais l’effet est plutôt dopant pour le moral. Après les stimuli rétiniens, il faut se préparer à une rupture avec un lobby achromatique conçu par le dalaï-lama de l’architecture commerciale, le très classieux britannique John Pawson. Ce dernier, avec sa rigueur habituelle, a imaginé une réception en demi-arc de cercle, étiré à la limite de l’anamorphose, dans un judicieux alignement de lattis de bois en pleine inspiration zen. Peu de rapport, on s’en doute, avec le bar attenant concocté par le play-boy australien, Marc Newson. Cet admirateur notoire de Ken Adams, le décorateur mythique de  » Docteur Folamour  » (1963), n’aime rien tant que la souplesse des formes organiques. Avec son bar découpé dans des profilés métalliques, on retrouve sans hésitation la patte du designer en vogue. De l’autre côté du rez-de-chaussée, le Français Christian Liaigre a hérité de l’aménagement du restaurant et de son bar, dans la plus pure tradition ethno-chic qui fait sa signature.

Do not disturb

En route pour le premier étage, probablement le plus bluffant de tous, que l’on doit à Zaha Hadid. La diva londonienne de l’architecture du XXIe siècle, dont le travail se nourrit comme personne de la conception numérique assistée par ordinateur, a dessiné une chambre toute blanche. Une esthétique de la protubérance où lit, tablettes, bureau semblent directement émaner des parois. Un parti pris étonnant, doublé d’un défi technologique. L’intégralité de la pièce a en effet été réalisée dans un seul et unique matériau thermoformé : le LG Hi-Macs, une pierre de synthèse très douce. Dans le registre  » vivons pleinement notre époque « , les portes de Hadid sont pourvues de diodes LED qui permettent de remplacer le bon vieux écriteau en papier  » do not disturb « , par une version smart et lumineuse.

Non content d’engendrer des nids high-tech et ludiques, les commanditaires du Puerta America ont eu la bonne idée de demander aux architectes de personnaliser également le hall et les couloirs de chaque étage. Celui de Zaha Hadid reprend le principe de ses chambres-cocon, agrémentées d’un luminaire hypnotique au profilé élastique, très justement nommé  » Vortexx  » (avec deux  » x « ).

Dans une veine similaire, les amateurs de sensations éthérées et futuristes prendront la voie céleste du 8e étage où l’Ecossaise Kathryn Findlay a tissé un lieu ultraméditatif, tout en blanc, balayé par des rideaux immaculés, le tout dans un esprit très spa. En attendant le 4e étage de Plasma studio, en voie d’achèvement, et annoncé comme un décor de science-fiction, les chambres de Richard Gluckman, au 9e étage, regardent également droit devant. L’idée de l’architecte américain consiste à transformer la pièce en une grande boîte translucide en méthacrylate jaune rétro-éclairée. Une touche industrielle qui, contre toute attente, dégage pas mal de sérénité. Très tendances aussi, les chambres de Marc Newson au 6e étage que l’on aborde en traversant d’inquiétants couloirs de bois laqués rouge sang ! Dans une combinaison de gris et de blanc, et avec une étonnante sobriété de la part du designer, on y trouve un luxe ouaté où les tablettes de nuit en cuir ressemblent à des boîtes à gants de voitures anglaises !

1 000 loupiottes

Plus classique, au second étage, l’architecte britannique Norman Foster, propose un ensemble élégant, moderne, réussi mais sans coup d’éclat. Comme la plupart des propositions contemporaines, salle de bains et espace de repos sont mixés dans un espace unique. Un étage plus haut, le néo-minimaliste britannique David Chipperfield choisit également une mise en scène discrète avec un sol en terre cuite et un double plafond en pente bleu nuit.

Carrément hors catégorie, le 10e étage se singularise par l’intervention de Arata Isozaki. Rompu aux exercices spectaculaires depuis son génial building Disney à Orlando, le Japonais semble s’être assagi en puisant aux origines nipponnes du bien-être domestique. Ses panneaux de bois ajourés qui rappellent les  » sojis  » japonais, théâtralisent pleinement les lieux, à peine éclairés. Très personnel également, le travail des stylistes espagnols Victorio & Lucchino qui au 5e étage ont voulu recréer une alcôve baroque, drapée de lins et de motifs. Le résultat des Sévillans est néanmoins décevant, dépourvu de fantaisie et de folie, même légère. Nettement plus ludique, au 7e, la réalisation tout en courbes sinueuses et rouge vif de l’Israélien Ron Arad. Son lit circulaire et sa salle de bains aux 1 000 loupiottes a des allures de claque du début de siècle passé. C’est à la limite du bon goût et l’on imagine Ron, sous ses fameux bérets, bien amusé par ce pied de nez lancé au décorativement correct.

L’Espagnol Javier Mariscal, réputé aussi bien pour son mobilier que pour son travail graphique, a été chargé de transformer à sa manière le 11e étage. Touches de couleurs, références cartoonesques, le designer barcelonais est fidèle à lui-même, attachant, désinhibé et sans prétention. Et le culminant 12e étage ? Jean Nouvel a pris du retard mais l’inauguration du top est imminente, dit-on. Que le Français prenne son temps. Avant d’arriver à destination, il y a quelques escales qui valent bien le détour.

Antoine Moreno

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