Bordé de volcans enneigés, craquelé par la sécheresse, coloré au fluo par ses lagunes minérales et ses lacs de sel, l’Atacama est un enfer pour la vie mais un chef-d’oeuvre d’esthétisme.

Parfaitement conique, culminant à près de 6 000 mètres, le volcan Licancabur marque la frontière entre la Bolivie et le Chili. A ses pieds débute l’Atacama, 1 000 kilomètres de long. Le désert le plus sec de la planète. Très peu de vie, quasi pas de faune, encore moins de plantes. Dans certaines zones, parfois, il ne pleut pas durant plusieurs années et les plus jeunes enfants sont très surpris lorsqu’ils assistent à leur première averse. Certaines stations météo reculées n’ont même encore jamais enregistré de précipitations !

San Pedro de Atacama, oasis au milieu de rien, doit son existence à une rivière venue des Andes qui la raccroche à la vie. Avec ses commerces improbables, ses ruelles poussiéreuses, ses maisons en terre et son église immaculée à la charpente en bois de cactus sortie tout droit d’un western, le village garde un fort caractère, à tel point que le Chili l’a classé Monument national. Une ambiance  » old style  » issue de la volonté de la communauté atacameño de ne pas défigurer San Pedro. D’où des règles contraignantes – comme l’approvisionnement des épiceries en charrettes à bras -, voire surprenantes puisque les bars n’y sont pas tolérés. Pour boire un verre, il faut s’attabler dans un restaurant et commander quelques empanadas, par exemple. Et si, à certains endroits, la musique live agrémente les soirées, tout doit s’arrêter à minuit. Et pas question de danser, sous peine de forte amende. Des lois édictées, dit-on, pour éviter les excès, surtout lorsque les mineurs descendent en ville. Mais la jeunesse locale a trouvé la parade, organisant des soirées clandestines en plein désert. Avec le risque, calculé, d’une descente de police…

MONTAGNES DE SEL

Au sud de San Pedro, le salar d’Atacama couvre le plateau jusqu’à l’horizon d’un hérissement de croûtes de sel qui craquent comme des gaufrettes lorsqu’on marche dessus. C’est la troisième plus grande mer de sel asséchée de la planète. En tant que visiteur, on ne peut réellement visiter que la lagune de Chaxa où nidifie une colonie de flamants roses. Qui ont la particularité de danser sur leurs pattes lorsqu’ils recherchent de la nourriture. Malgré son aridité, c’est pourtant autour du salar que se concentrent les quelques villages, regroupés en général autour d’une vieille église blanche. Les Indiens Aymaras vivent là dans la précarité, cultivant quelques mètres carrés de maïs et de quinoa. Comme à Toconao, hameau situé sur la Quebrada de Jere. Les visages qu’on y croise semblent sortis d’un album de Tintin. En lisière des maisons, quelques touffes de végétation pointent dans le désert. Un verdoyant verger s’y blottit, grâce à un torrent venu des volcans. Sur la route qui mène à Socaire, le chauffeur arrête le moteur juste avant une montée. Frein à main lâché, la jeep se met à grimper la pente toute seule. C’est l’un des seuls endroits au monde où se produit ce phénomène inexpliqué, qui serait d’origine magnétique et en rapport avec la composition du sous-sol…

A l’ouest, la terrible cordillère du Sel barre l’horizon entre les Andes et l’océan. Un enfer minéral exempt de toute végétation. Le long de la route qui grimpe vers les crêtes, la roche se dresse comme un troupeau de dinosaures figés pour l’éternité. Mais le plus bouleversant demande encore un peu de patience : quelques centaines de mètres à parcourir dans la poussière pour déboucher sur la rougeoyante Vallée de la Mort. Elle n’a pas toujours porté ce nom lugubre et avait été plus justement baptisée en son temps  » Vallée de Mars  » par un missionnaire jésuite liégeois, le père Gustave Le Paige. Par déformation, les Chiliens l’ont appelée vallée de la  » muerte  » et le nom est resté. Alors que la journée touche à sa fin, un nouveau phénomène bizarre se produit au coeur de cet univers minéral, dans une partie de la cordillère quasi toujours ignorée des visiteurs. Le canyon est d’un blanc lumineux en raison des dépôts de sel, témoins fossiles d’une rivière qui coulait ici il y a 25 millions d’années. Au moment où le dernier rayon de soleil disparaît, les parois se mettent soudainement à craquer en raison du brusque changement de température, provoquant la sensation que toute la montagne va s’écrouler…

Un peu plus loin, changement total de couleur. On passe du rouge et du blanc au gris et au noir au fur et à mesure que l’on approche de la Vallée de la Lune. On ne pouvait trouver meilleur nom à cet immense amphithéâtre sans vie constellé d’étranges rochers pointus. L’ambiance est spatiale, il ne manque que la légère attraction lunaire ! C’est là que Stanley Kubrick a tourné certaines scènes de 2001, l’odyssée de l’espace. C’est là aussi que, parfois, sont testés les futurs véhicules spatiaux avant d’être envoyés vers Mars. Face à l’amphithéâtre jaune et rouge, une vaste dune de sable noir en forme de croissant. Le clou du spectacle est pour bientôt. Il faut d’abord grimper l’arête de la dune et s’installer. Doucement alors, le soleil fait éclater de rougeur les roches de la cordillère avant de laisser la place aux étoiles. Rideau.

LES ÉTOILES À LIVRE OUVERT

L’Atacama est un paradis pour les pêcheurs d’astres. Pratiquement chaque nuit est illuminée par la Voie lactée. La sécheresse extrême et l’absence de pollution lumineuse ouvrent le ciel comme un livre aux télescopes les plus puissants de la planète. Dont ceux du célèbre et ambitieux projet international Alma, inauguré il y a un peu plus d’un an. Installé à plus de 5 000 mètres d’altitude, ce radiotélescope géant composé de 66 antennes doit notamment permettre de comprendre la formation des étoiles et de découvrir de nouvelles exoplanètes. Non loin, avec du matériel moins coûteux et moins volumineux mais avec passion, plusieurs astronomes organisent leurs propres sessions d’observation. Comme Jorge, qui a installé son petit observatoire près de San Pedro, en plein désert. Confortablement installé, la tête vers la voûte céleste, on l’écoute d’abord passer en revue quelques rudiments d’astronomie. Il explique avec fierté que les astres les plus brillants sont visibles dans le ciel de l’hémisphère Sud, à commencer par Sirius. Notre célèbre étoile polaire ne figure même pas parmi les vingt plus lumineuses ! Ensuite, Jorge invite ses hôtes à observer à l’oeil nu quelques-unes des 88 constellations, la Voie lactée ou les nébuleuses. Avant de passer à la pratique. Les télescopes sont alors pointés vers des cibles précises du ciel et notamment vers Mars la rouge. Jorge dispose aussi de tripodes et se fait un plaisir d’aider les fans de photo à immortaliser les nuits étoilées du désert.

ENTRE CHAUD ET FROID

Monotone, l’Atacama ? Bien au contraire. De plus en plus de sociétés touristiques proposent des découvertes sportives, comme les randonnées en VTT. Mais lorsqu’il s’agit de pénétrer les pistes caillouteuses ou sablonneuses, rien de mieux que le cheval. Ou la marche à pied. Dans le canyon de Guatin, par exemple, parmi les cactus cierges gigantesques et les roseaux cola de zorro (queue de renard). Un autre miracle de la nature, irrigué par une rivière tiède où s’entremêlent les eaux thermales chaudes de la Puritama et les eaux froides de la Purifica. Mais la grande tendance, c’est le surf sur les immenses dunes de sable de la cordillère.

Plus au nord, à la frontière bolivienne, il faut un peu de courage pour rejoindre le site d’El Tatio. D’abord se lever vers 3 h 30 du matin, puis enfiler trois heures de route cahotante en 4 x 4. Là, au pied des Andes, des geysers, des marmites de boue, des fumerolles et des ruisseaux aux eaux chargées et colorées témoignent du volcanisme ambiant. L’équipement hivernal est de rigueur, car même au coeur de l’été, il gèle tous les jours au lever du soleil. C’est l’heure où le contact entre l’eau chaude et l’air glacial produit le plus de condensation. Attention, néanmoins : l’endroit peut se révéler dangereux aussi et s’approcher trop près d’un geyser ou d’une marmite de boue peut virer à l’accident – chaque année, plusieurs visiteurs sont gravement brûlés, voire tués. Certains bouclent la visite par un bain dans l’une des sources chaudes qui sourdent en lisière de la plaine. Avant de déguster, pour le petit-déjeuner, des oeufs cuits sur geyser. Au retour, halte au pittoresque village de Chiu Chiu. Son église, avec ses murs en adobe, son toit de chaume, ses portes et son plafond en bois de cactus, est l’une des plus anciennes du Chili. Quelque 300 Indiens habitent ici, élevant des lamas et cultivant quelques lopins de pois et de céréales.

L’aridité de l’Atacama est en grande partie due aux innombrables reliefs, souvent volcaniques, qui cerclent la région, eux-mêmes entrecoupés de hauts plateaux. Ces écosystèmes recèlent eux aussi de merveilles. Comme les deux lagunes jumelles de Miscanti et Miñiques, à 120 kilomètres au sud de San Pedro. Plus la route grimpe, plus on croise lamas et vigognes, qui paissent les quelques herbes blondes et drues égrenant la puña. L’air se fait rare et, au moindre effort, les poumons s’essoufflent. On dépasse les 4 000 mètres, le ciel prend des tons d’un azur de plus en plus intense, inconnus chez nous. On atteint finalement la Reserva Nacional Los Flamencos. En contrebas de volcans éteints, les deux lagunes inondées de soleil forment un kaléidoscope de couleurs vives. L’Atacama est la preuve que, même soumise aux pires conditions, la nature continue d’émerveiller.

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

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