Plus fortes et plus indépendantes dans la vraie vie, les femmes le sont aussi dans les dernières campagnes de parfums féminins. Des spots où les hommes, très présents, redéfinissent les contours d’un nouvel idéal masculin.

New York, mars 2013. Penélope Cruz face à son miroir incarne  » l’actrice « . Pas une actrice parmi d’autres, non. A elle toute seule, elle est l’archétype glamour du mythe hollywoodien dans toute sa splendeur. Face à elle, un homme, boxeur de pellicule, mannequin dans la vraie vie. Il est argentin. Latin. Comme celui qui partage, hors caméra, le quotidien de la belle Espagnole. Les plans, ciselés par le réalisateur américain multi-oscarisé Rob Marshall, se répondent jusqu’au mimétisme parfois. Elle lève les bras, lui le poing. Sa cape à elle rappelle son peignoir de combat. Son smoking impeccable ne démérite pas devant sa robe noire au bustier brodé de jais signée Giambattista Valli. Séparées puis ensemble, leurs deux mains parées du même anneau noir se retrouvent et s’enlacent… Bienvenue dans les coulisses de la nouvelle campagne Lancôme qui réinvente ici une autre vision du romantisme pour son parfum Trésor. Là où, jusqu’ici, l’homme, plus rêvé que réel, était quasiment absent, on se trouve désormais en présence d’un partenaire viril, puissant sans être écrasant. Un alter ego triomphant.

 » Avant d’imaginer cette campagne, nous avons mené une grande enquête en Europe et aux Etats-Unis pour essayer de cerner la vision que les femmes ont de l’amour aujourd’hui, justifie Emmanuel Greze-Masurel, senior vice-président des parfums Lancôme. L’idée, véhiculée par les contes de fées à la Disney, qu’il existe quelque part une âme soeur est encore bien présente. Mais la société a évolué. Nous n’avons plus le même rapport au mariage : les femmes ont connu le divorce de leurs parents, elles ont fait le deuil de l’image du couple qui dure éternellement.  »

CHARMANTES ÉQUATIONS

De nouvelles formes d’amour, alternatives à la relation fusionnelle dans laquelle l’un des partenaires – la femme bien souvent – avait tendance à s’effacer, ont peu à peu émergé. Au 1 + 1 = 1 de la passion fusionnelle, s’est substituée l’équation à virgule 1 + 0,5 = 1,5 de l’amour  » récréationnel « .  » Typiquement, c’était ce qu’illustrait la pub pour le N°5 de Chanel avec Nicole Kidman, rappelle Emmanuel Greze-Masurel. La star des stars réussit à s’échapper de son univers pour vivre une aventure avec un artiste bohème au terme de laquelle elle finit par rentrer dans le rang. Elle s’offre un peu de fun mais au bout du compte elle reste seule.  »

Plus pragmatiques, les partisanes de l’amour  » construction « , symbolisé par le très cartésien 1 + 1 = 2, auraient quant à elles rationnalisé leur rapport à l’amour, en posant leur mouchoir sur leurs idéaux d’autrefois. Elles se  » contenteraient  » finalement de leur meilleur ami. Un individu qu’elles respectent mais auquel elles ne succombent pas. La fille de Prada Candy L’Eau, incarnée par Léa Seydoux dans le très décalé spot de Wes Anderson, illustre la parfaite fusion entre ces deux derniers modèles : incapable de se décider entre les deux prétendants aussi maladroits que jaloux qui lui tournent autour, elle leur tient la dragée haute comme pour mieux peser le pour et le contre avant de se résigner à choisir froidement.

Reste enfin l’équation superlative de l’amour idéalisé à l’extrême.  » Elle a tout, il a tout, ensemble ils sont plus que tout et 1 + 1 = 3, poursuit Emmanuel Greze-Masurel. Dans le respect de chaque individualité, cette relation de couple va les transcender. Face à des femmes fortes, indépendantes, accomplies, il faut désormais un homme à leur hauteur qui va les laisser être ce qu’elles sont sans renoncement. Il est viril sans être macho. Il n’est pas subjugué non plus car il sait ce qu’il vaut. Même si une publicité reste un fantasme, pour que les femmes croient dans cette nouvelle image de l’amour qu’on leur vend, il faut que l’homme soit crédible, qu’elles aient envie de lâcher prise pour un type pareil.  »

Un modèle qui fonctionne aussi pour le dernier spot des parfums Jean Paul Gaultier.  » On The Dock  » met une nouvelle fois en scène la belle et le marin. Des entrailles d’un cargo à l’appartement boudoir, l’histoire se raconte aussi en parallèle pour aboutir à des retrouvailles sensuelles. Comme chez Lancôme, ces héros triomphants appartiennent à deux mondes que tout semble opposer. Il côtoie les dangers de la mer, quand elle évolue, lascive, dans le confort d’un appartement parisien. Loin du cliché de Juliette attendant patiemment et passivement son Roméo sur le balcon, libre de ses faits et gestes, la femme  » Classique  » empoigne virilement son  » Mâle  » pour mieux l’attirer à elle.

Ce pitch égalitaire sert encore de fil rouge à la nouvelle campagne en duo des parfums Play For Him et For Her de Givenchy : on assiste cette fois à un coup de foudre instantané de deux beautiful young people parfaitement assortis sur le fond – ils se croisent quand même pour la première fois dans les escalators du Centre Pompidou, à Paris – et sur la forme.

Chez Dolce & Gabbana, les équipes marketing ont même poussé la logique un cran plus loin en réunissant devant la caméra de Martin Scorsese les deux ambassadeurs emblématiques de The One et The One for Men, Scarlett Johansson et Matthew McConaughey.  » Seuls, ces deux parfums possèdent un pouvoir indescriptible, explique le duo de créateurs italiens. Celui d’ensorceler tous ceux qu’ils rencontrent. Ensemble, avec leur extraordinaire séduction multipliée par deux, ce pouvoir est absolument incroyable.  » Le spot nous plonge dans l’intimité d’un couple d’acteurs qui réussit à échapper quelques instants au tourbillon de la célébrité. Cette mise en abyme qui floute au maximum les frontières entre fiction et réalité, on en a bien un peu rêvé chez Lancôme au moment de  » caster  » l’alter ego de Penélope Cruz.  » Mais immédiatement, elle nous a dit « no way », admet Emmanuel Greze-Masurel. Bien sûr on avait en tête l’image de Javier Bardem lorsque l’on a choisi Ilay Kurelovic, mais pas seulement. Il y avait aussi l’idée de convoquer Marlon Brando, Kirk Douglas ou Clark Gable. Puisqu’on ne pouvait pas jouer la carte du double parfait, nous avons choisi de travailler le mythe de la belle et la bête : deux personnalités très différentes qui apprennent à s’aimer au-delà des apparences.  »

Chez Guerlain, il est encore question de contrastes même si le registre apparaît a priori plus classique. Elle l’attend, en apparence soumise, derrière les grilles de son harem cerné par les jardins de Shalimar. Il parcourt les steppes à brides abattues, traversant les montagnes enneigées pour retrouver sa bien-aimée. Symbole de leur amour indestructible, un palais tout entier jaillira hors de l’eau, face à ce couple que l’on croirait d’un autre temps. Pourtant, le discours marketing reste le même. Il a tout, elle aussi. Un roi, une reine, triomphants.

PAR ISABELLE WILLOT

 » Les femmes ont fait le deuil de l’image du couple qui dure éternellement.  »

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