Dilutions de fleurs, vapeurs tropicales ou évocations polaires… Quelle que soit sa forme, l’eau n’a jamais autant inspiré la parfumerie. Au point d’immerger toutes les créations de ce printemps.

On connaissait l’extrait, le parfum et l’eau de toilette. Désormais, les fragrances se déclinent toutes en eaux. Une version moins concentrée ?  » Pas forcément, répond Judith Gross, directrice du marketing d’International Flavors & Fragrances. Il n’y a aucune législation qui régule ces appellations.  » Ni d’ailleurs une palette olfactive réservée à l’eau, puisqu’elle ne sent rien mais qu’elle évoque des centaines de sensations différentes.  » Longtemps associée à l’eau de Cologne, aux agrumes et aux aromates, l’eau emprunte depuis les années 90 des voies marines, vertes ou transparentes, comme les muscs blancs « , rappelle le parfumeur Jean-Christophe Hérault, dont on devrait beaucoup entendre parler cette année.  » À présent, on réconcilie la fraîcheur avec des effets cotonneux réconfortants « , ajoute-t-il. À l’heure de la prise de conscience écologique, l’eau doit aussi purifier. Le designer Philippe Di Méo a d’ailleurs lancé son  » eau bénite « , baptisée Sancti (chez L’Éclaireur, à Paris). Blasphémateur ? Plutôt le signe que, loin d’être une agression olfactive, cet engouement pour les eaux est le symbole d’une véritable quête de repos des sens, un besoin d’élévation de l’esprit… voire d’apesanteur. Démonstration en trois actes.

Carnet d’adresses en page 64.

EAUX DOUCES

Délicates. Tendres. Bienveillantes. Les eaux parfumées de 2012 ont de l’ambition !  » Elles renouent avec les eaux de santé du XVIIIe siècle, censées faire du bien à l’âme « , déclare l’historienne de la beauté Elisabeth de Feydeau, qui voit ces nouveaux parfums comme des  » eaux matricielles « . Lovées dans des flacons au teint nude, elles diffusent une pureté olfactive à travers des overdoses de muscs blancs, de bois synthétiques ultralégers, de notes ambrées proches de l’odeur de la peau ou d’oxydes de fleurs. Pour preuve : le lancement de l’Eau délicate, une variation lactée et veloutée de For Her, de Narciso Rodriguez, ou Body Mist, la déclinaison éthérée et sans alcool du dernier-né de Burberry. Même trait de caractère chez Jean Paul Gaultier avec Classique X Collection L’Eau, une vapeur subtile de pivoine et de fleur d’oranger ; chez Chanel, qui offre un flacon Twist & Play à la déclinaison fruitée Chance Eau tendre ; ou encore chez Guerlain, qui sort Shalimar Parfum Initial L’Eau. Thierry Wasser, le parfumeur de la maison, avait déjà réinterprété Shalimar dans une version plus moderne au printemps 2011. Ici, il gagne encore en apesanteur, grâce à l’essence de néroli et au jasmin. D’autres comme Roger & Gallet proposent des gestes hybrides aux propriétés hydratantes – Eau des bienfaits -, non sans rappeler la pionnière du genre : l’Eau dynamisante, de Clarins, créée en 1987.  » C’est une tendance qui reconnecte à l’ablution du baptême et aux rites de purification « , ajoute Judith Gross. Toujours dans l’espoir d’adoucir son quotidien.

EAUX GLACÉES

Expert des matières premières les plus denses, Serge Lutens lance il y a deux ans un pied de nez olfactif : une odeur de linge propre, nommée L’Eau. Une démarche artistique qui a déconcerté les fans et enthousiasmé le public en quête de transparence. Cette fois, il baisse la température et s’offre une Eau froide, métallique et cinglante, comme un glaçon sur une peau brûlante. Un frisson d’eucalyptus, d’aldéhydes – ces notes synthétiques qui sentent le repassage à sec – et d’encens de Somalie.  » Les aldéhydes sont souvent utilisés pour évoquer le froid, explique Jean-Claude Ellena, parfumeur de la maison Hermès. Ernest Beaux, le créateur du N° 5 de Chanel (le premier parfum qui en regorge), disait qu’ils lui rappelaient la banquise. Il y en a même un au joli nom d’Hivernal que j’ai utilisé dans l’Eau claire des merveilles pour donner l’illusion du scintillement glacial des étoiles. Mais le frisson s’exprime aussi à travers ce que j’appelle les épices froides, courtes en bouche, comme la cardamome, le poivre, la coriandre, la baie rose ou le genièvre.  » Une sensation qu’on retrouve dans Voyage d’Hermès Parfum, déclinaison intense de l’eau de toilette lancée en 2010. Quant à Tom Ford, il joue aussi le grand frisson avec les effets camphrés de Lavender Palm, une lavande composée spécialement pour l’ouverture de sa boutique à Beverly Hills. Un accord fougère ultrachic qui se réchauffe et se féminise au fil des heures.

EAUX DE PLUIE

De l’averse au déluge, l’eau tombée du ciel a le pouvoir de métamorphoser le parfum des fleurs. Un thème impressionniste marqué par des chefs-d’£uvre comme le bouquet d’iris d’Après l’ondée de Guerlain (1906) ou, plus récemment, le très humide Angéliques sous la pluie des Editions de parfums Frédéric Malle (2000), ainsi qu’Un jardin après la mousson d’Hermès (2008), inspiré par la région du Kerala, en Inde. Obsédée par l’ylang-ylang, Lyn Harris, créatrice des parfums Miller Harris, vient de lui dédier la Pluie, une écriture ronde et confortable, assouplie par l’absolu de cassier et la fleur d’oranger, une trace de lavande rafraîchissante en prime. À l’opposé, Tropical Rain, de Marc Jacobs, renoue avec les notes marines qui ont fait le succès de best-sellers comme Aqua di Gio d’Armani et relance son hit floral aquatique dans un cube de verre (aux Galeries Lafayette Haussmann, Printemps et chez Marc Jacobs, à Paris). Et, chez Dior, sort Miss Dior Eau fraîche, une variation inédite qui réconcilie le patchouli avec la transparence de l’eau du ciel. Même romantisme chez Chloé, qui offre une déclinaison au blockbuster signé du nez Michel Almairac, une Eau flirtant avec la rosée du matin, les citrons pressés et l’eau de rose distillée à la vapeur. Un ingrédient habituellement réservé au soin, qui vient flouter les contours des parfums à l’instar de la Rose fraîche d’Yves Rocher. Autant d’expressions libres d’une nature imbibée d’eau…

PAR LILI BARBERY-COULON / PHOTOS : ERIC DEGRANGE

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