L’histoire de notre capitale est liée à cette voie d’eau qui la traverse de part en part. Longtemps boudés par les habitants, ses abords sont aujourd’hui largement réinvestis. Découverte de ce territoire en mutation.

C’est une promenade urbaine atypique. De celles qui n’ont pas pour but de faire respirer l’odeur authentique de la ville à l’ombre de ses belles façades. De celles que guide l’envie d’en savoir plus, le besoin de comprendre. De celles qu’on pourra reparcourir régulièrement, dans les prochaines années, tant les changements attendus vont lui donner un visage toujours plus novateur. De celles enfin que l’on peut effectuer à pied, en voiture ou à vélo, cette option étant la meilleure pour couper court lorsque la circulation se révèle trop dense. Car nous sommes en ville, dans des quartiers pas toujours exemplaires d’un point de vue urbanistique, le long de ce canal qui fit les belles heures de Bruxelles et qui rame à peaufiner sa reconversion.

Créé pour relier la mer à Bruxelles au XVIIe siècle, il fut prolongé vers Charleroi au XIXe, dans le sillage du développement du secteur du charbon. Et puis, comme d’autres métropoles, celle-ci subit de plein fouet le recul de l’industrie ; de nombreux sites à front de quais furent abandonnés et les rives perdirent de leur lustre. Ce n’est qu’en 1989, avec la création de la Région bruxelloise, et plus tard, en 1994, avec la naissance des contrats de quartier, que l’endroit retrouva espoir en son avenir.  » Ces contrats permettent, au départ de modestes projets pertinents et en travaillant sur la cohésion sociale et économique à petite échelle, de recréer un développement urbain plus large « , se réjouit le Maître Architecte bruxellois (bMa) Olivier Bastin, rappelant que ces programmes de revitalisation ont déjà fait bouger pas mal de choses sur des communes telles que Molenbeek et Anderlecht. Cet architecte, qui a fondé le bureau bruxellois L’Escaut et (co)signé sous ce nom de nombreux bâtiments, à l’instar du théâtre National, à Bruxelles, occupe la place de Maître Architecte pour la Région bruxelloise depuis novembre 2009. Aujourd’hui à la fin de son mandat, il pose un regard objectif sur le travail accompli dans sa mission consistant à convaincre les différents niveaux de pouvoir de l’importance d’une politique cohérente en matière d’art de bâtir, et de concours notamment, pour éviter les travers du passé et orienter la ville vers le futur.  » Ce ne fut pas facile et il reste beaucoup à faire. Il y a de nombreux échelons de décision. Il faut trouver sa place. Ce fut passionnant mais je ne rempilerai pas, je pense qu’il faut de la fraîcheur à ce poste. Nous pouvons néanmoins dire qu’avec mon équipe, nous avons réussi une série de « frappes chirurgicales », des interventions pas toujours spectaculaires mais qui vont pouvoir redonner une impulsion, à des territoires en quête d’identité.  » Nombre de ces projets se trouvent le long du canal. Visite guidée, en attendant l’expo du bMa, en septembre prochain (*).

La balade pourrait commencer à hauteur du campus du Ceria, quais de Veeweyde ou d’Aa, à Anderlecht, là où le paysage a encore un petit air de province. On y voit des avirons filer silencieusement et même quelques péniches habitées. De là, on prend la direction du nord, pour suivre l’eau jusqu’à l’autre bout de la ville, du côté de l’emblématique incinérateur de Neder-over-Heembeek. Première étape, les abattoirs d’Anderlecht et leur grande halle métallique datant de la fin du XIXe siècle, aujourd’hui classée. A l’initiative de l’entreprise qui gère cette institution, avec la collaboration du bMa, un master plan est établi pour offrir un souffle nouveau à la zone, autour de la chaussée de Mons et de la rue Rospy Chaudron. Un marché couvert verra le jour grâce au financement du programme européen FEDER. Des commerces et des logements redonneront des couleurs à cette partie densément peuplée de la commune. Même si peu de choses sont encore visibles, nul doute que ça bougera bientôt dans le coin.

Dans le même quartier, entre le quai Fernand Demets et la rue de Birmingham, on trouve également des terrains appelés à accueillir prochainement un Ecopole, soit une plate-forme regroupant divers acteurs autour du réemploi des déchets. A proximité, une autre friche est amenée à devenir l’école fondamentale Bonne-Mariemont, doublée de logements. Une meunerie, elle, sera transformée en centre d’accueil pour entreprises et centre d’interprétation. On traverse ensuite l’eau pour atterrir sur le quai de l’Industrie. A l’angle de la rue de Liverpool, sous l’impulsion de B612, un bureau d’architecte bruxellois bien connu, poussera bientôt un complexe qui alliera logements, antenne de quartier et accueil extrascolaire… Autant de projets lancés en collaboration avec le bMa.

JEU DE CACHE-CACHE

Plus loin, se dressent l’écluse et ses Terrasses. Ce complexe de logements à l’architecture discutable pour ceux qui recherchent des volumes épurés, a néanmoins le mérite, à une époque où la revitalisation n’était pas encore très dynamique et que la Région ne disposait pas de bouwmeester – la première pierre fut posée en 2006 -, d’avoir ramené des habitants sur les berges. Le temps de prendre la mesure du l’infrastructure – mais aussi de la maison de quartier voisine, dessinée par le Bruxellois Pierre Blondel dans un langage plus contemporain – et nous voilà déjà à la porte de Ninove, futur siège d’une nouvelle  » frappe  » architecturale. L’équipe de Xavier De Geyter, pointure de l’art de bâtir belge déjà en charge de la place Rogier dans la capitale, y élabore un  » schéma d’orientation  » pour le réaménagement du quartier.

Le centre-ville se rapproche, l’urbanisme reste un peu chaotique, mais des interventions neuves se distinguent de-ci, de-là. A la manière d’un chercheur d’or, les amateurs de beaux immeubles ancrés dans le nouveau millénaire repèrent quelques pépites… Ainsi, quai du Hainaut, l’ancienne brasserie Bellevue a été réhabilitée pour devenir l’hôtel Meininger, un établissement touristique low cost, branché et durable. On aperçoit aussi, émergeant à l’arrière des maisons, rue du Cheval noir, un volume en zinc atypique. Ce sont des ateliers et logements d’artistes conçus par L’Escaut, en association avec l’atelier Gigogne. Non loin de là, le lifting de la tour de logements sociaux de la rue Fernand Brunfaut est à l’étude, toujours supervisé par le bMa.

DIRECTION LE PORT

La chasse au trésor continue au-delà de la chaussée de Gand – menant à la place communale de Molenbeek, récemment liftée par les Bruxellois de l’atelier a practice. Ici, sur les berges bétonnées, les lofts se sont multipliés… Traversée de la petite ceinture. Un coup d’oeil au quai des Péniches, qui vibre jusqu’au 10 août prochain au rythme de Bruxelles-les-Bains, et en face au quai des Matériaux où un espace vert doit voir le jour… Un regard en contre-plongée à cette fameuse tour de logements de 140 mètres de hauteur, Up-site, qui a fait couler beaucoup d’encre quant à sa position en bord de canal, stratégique pour les uns, défigurante pour les autres… Déjà Tour & Taxis, autre colossal chantier pour ce troisième millénaire, à Bruxelles, pointe à l’horizon. Le volume noir, aux vertus passives, qui trône en face des entrepôts, sera bientôt occupé par Bruxelles-Environnement tandis que l’ensemble du site, qui accueillera un parc de 20 hectares, devrait se développer sur la base d’un plan du paysagiste Michel Desvigne. Plus loin, s’étire le terminal TIR, un complexe d’entrepôts dont la façade le long de l’avenue du Port est devenue le support d’une intégration d’art dans l’espace public, oeuvre de Philippe Van Snick. On remarque aussi, dans la même zone, en retrait, l’îlot entre les rues Claessens, Tivoli et Wautier qui se transforme en quartier durable ; ou la rue Dieudonné Lefèbvre où est en train de naître le projet Greenbiz, qui comprendra un incubateur d’entreprises environnementales.

Au-delà du Monument au Travail de Constantin Meunier, les rives deviennent plus industrielles, mais piétons et cyclistes y trouvent encore leur place, sur certains quais (en passe d’être) aménagés. Direction le port de plaisance où cette promenade s’achève avec des accents maritimes, face aux voiliers prêts à prendre le large… Promis, on remettra le couvert dans trois mois pour ne rien rater de cette métamorphose à grande échelle.

(*) bMa / Man of Thoughts, siège de BNP Paribas Fortis, 3, Montagne du Parc, à 1000 Bruxelles. Du 12 au 25 septembre prochain.

PAR FANNY BOUVRY / PHOTOS : UTKU PEKLI

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