Barbara Witkowska Journaliste

Le Grand Sud Marocain ? Une immensité désertique sertie, çà et là, de palmeraies luxuriantes et de villages fortifiés en pisé. Ces chefs-d’ouvre d’architecture de jadis dessinent un espace hors du temps,  » le pays des mille casbahs « .

Si vous aimez vous aventurer hors des sentiers battus, à la recherche d’émotions et de couleurs rares, franchissez la chaîne de l’Atlas qui protège Marrakech des sables du Sud. Là-bas, dans la vaste plaine qui sépare l’Atlas de l’Anti- Atlas commence l’autre Maroc. Le vrai, selon les puristes. C’est, en effet, du Sud que sont issues les dynasties qui ont bâti la majeure partie de l’histoire du pays : les Almoravides et les Almohades, sans oublier l’énergique Mulay al-Rachid qui a fondé l’actuelle dynastie, celle des Alaouites. Ces immenses étendues désertiques sont peuplées de superbes et fragiles habitations de terre, trésors de l’architecture traditionnelle berbère. La construction des premiers ksour, des villages communautaires construits en pisé (mélange de terre, paille et cailloux) remonte à la nuit des temps. Plus tard apparaîtront les casbahs, ces maisons unifamiliales, comparables à nos châteaux forts. Sobrement décorées à l’extérieur, elles ont une forme rectangulaire et sont flanquées aux angles d’imposantes tours en terre, matériau thermique et simple à utiliser.

On aborde au mieux le Sud via Ouarzazate, ancienne ville de garnison. La cité a l’avantage de bénéficier d’une excellente infrastructure touristique. Nous quittons la ville en 4 x 4 en direction de la vallée du Draa qui fut jadis le plus long fleuve du Maroc, au milieu de roches rouges et mauves. C’est  » le pays le plus beau et le plus riche du Maroc « . Ainsi écrivait un spécialiste, le vicomte Charles de Foucauld (1858-1916). Il dédia à ce  » pays enchanteur  » les plus belles pages de Reconnaissance au Maroc, précis de géographie marocaine qu’il publia en 1888. Peu après Agdz, on atteint le très beau ksar de Tamnougalt au c£ur d’une palmeraie. Construit au xvie siècle sur le passage des caravanes, il était autrefois le dernier lieu d’échanges avant le désert. Lisons Charles de Foucauld :  » A mes yeux s’étendent des palmiers innombrables mêlés de mille arbres fruitiers ; entre les branches, on aperçoit, de distance en distance, un ruban d’argent : les eaux du fleuve, une foule de ksour, masses brunes ou roses hérissées de tourelles, s’échelonnent à la lisière des plantations…  » Plus d’un siècle après le passage du grand explorateur, l’émerveillement reste le même. Des cubes, des tours et de grands pans de murs. Et le pisé qui reflète la lumière du soleil en une subtile palette d’ocres. Yacob nous entraîne dans sa maison, en réalité une  » aile  » de cette authentique casbah, vieille de 150 ans, transformée en auberge et en maison d’hôtes en cours de restauration. Cinq chambres attendent déjà les visiteurs. Ferme et château à la fois, cet édifice est une splendeur. Les hommes refont le monde dans la coursive ombragée, les femmes vaquent à leurs occupations millénaires. Le temps s’égrène lentement et paisiblement, loin de la fureur du monde, derrière ces murs de 1,20 m d’épaisseur. Le thé, c’est sur le toit. La vaste terrasse offre un somptueux panorama sur la palmeraie.

La traversée du djebel Saghro, au milieu d’un océan de roches noires, ressemble à un voyage initiatique. Ce décor minéral et silencieux ressource profondément et insuffle une formidable énergie. Au bout de la piste caillouteuse se dresse le village pittoresque de Boumalne. Ce gros bourg garde l’entrée des gorges du Dadès, impressionnante succession de précipices en haut desquels la population berbère a accroché ses villages. La coloration des roches déploie une magnifique palette chromatique qui varie du mauve au brique, en passant par des roses lumineux et des bruns chaleureux, en fonction des variations d’intensité de la lumière.

Sur la route, des enfants proposent gentiment les derniers gros colliers confectionnés avec des roses odorantes. La célèbre Vallée des Roses n’est pas loin. Les récoltes sont quasi terminées (elles se déroulent entre mai et juin), mais rien ne vous empêche de faire des emplettes de quelques produits à l’eau de rose dans une des échoppes qui bordent la route. A l’intérieur, l’atmosphère est baignée d’une lumière rose, reflétée par des centaines de flacons, tubes, fioles et pots qui tapissent les murs. La reine des fleurs y distille toutes ses vertus, elle compose un savon d’amour en forme de c£ur, une crème hydratante – conseillée aux dames qui désirent se sentir fraîches comme un pétale abreuvé par la rosée du matin – ou, plus original, un onguent à s’appliquer sur le front contre l’inquiétude ou le stress.

Quelques kilomètres plus loin s’étend l’oasis de Merzouga. Les dunes, dont certaines atteignent 250 mètres de hauteur, racontent à chaque pas l’extraordinaire richesse de la vie au désert. En témoignent, par dizaines, les empreintes laissées par les scarabées, rapaces ou lézards. Le soir tombe. Nous rejoignons à dos de dromadaire un bivouac niché en plein c£ur des dunes. Les tentes individuelles sont confortablement équipées avec des lits de camp et des draps ! Il y a même des douches. Le dîner est servi sur des tables nappées de blanc autour du feu. Les plats (salades marocaines, méchoui, couscous aux sept légumes) sont absolument exquis. Entouré de sable et enveloppé, la nuit, dans un ciel scintillant de milliers d’étoiles, le voyageur a l’impression de vivre une expérience hors du temps.

Les paysages à couper le souffle dans les environs de Ouarzazate cachent de nombreux décors de cinéma. Le coup d’envoi a été donné en 1962, lorsque David Lean, a choisi comme studio à ciel ouvert le ksar Aït-Benhaddou, fondé par les Almoravides au xie siècle, pour y tourner des scènes magistrales de Lawrence d’Arabie. Situé à une trentaine de kilomètres de Ouarzazate, le site vient d’être classé patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Plus proche de la ville (8 km), la casbah de Tifoultoute. Son cadre exceptionnel servit de décor à des films comme Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli (1977) ou Les dix commandements de Cecil B. DeMille (1956). La terrasse offre une vue magnifique sur toute la vallée jusqu’au Haut Atlas. L’endroit est peu fréquenté et on passe un délicieux moment de plaisir égoïste.

Barbara Witkowska

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