AYELEN PAROLIN, BÊTE DE SCÈNE

Quelle évidence : cette danseuse-chorégraphe ne craint pas de se laisser traverser par la transe. Que ce soit à Buenos Aires, Bruxelles ou Mexico – elle y présente actuellement son nouvel opus, La Esclava, avant de le partager en octobre prochain à la Biennale de Charleroi Danses puis aux Brigittines, à Bruxelles. Attention, brûlant.

Entre la jeune femme de la photo et celle, en chair et en os, qui commande un grand café avec croissant dans ce salon de thé ixellois, à une rue du Théâtre de L où elle a pour l’heure ses quartiers, on pourrait croire qu’une tornade est passée : Ayelen Parolin voulait un  » changement radical « , elle porte désormais les cheveux courts, très, coupe garçon, elle trouve que cela ne lui va pas, elle a tort, ses yeux crèvent davantage encore son visage – elle a l’exact regard de ceux qui se mettent en danger,  » cela n’en vaut pas la peine autrement « .

Si elle commence à danser à 5 ans, c’est parce que sa mère s’inquiète pour elle, qui passe trop de temps devant le miroir à parler toute seule. Elle l’inscrit au cours, sans lui demander son avis. Les débuts sont difficiles, Ayelen n’aime ni les entrechats, ni les règles, et encore moins la nouvelle prof  » très méchante  » qui ne cesse de lui répéter  » tu es maigre pour rien « . Mais comme elle est têtue et jusqu’au-boutiste, elle qui a l’impression de n’être pas souple se met à travailler intensément, tâte du jazz, du classique, du flamenco, des claquettes, puis enchaîne – Ecole nationale de danse et théâtre San Martin, à Buenos Aires. Au détour d’un festival, elle découvre Wim Vandekeybus puis le travail de Rosas et d’Anne Teresa de Keersmaeker,  » je veux faire ça « . Elle s’envolera pour Bruxelles, c’est tout vu. En attendant, elle cumule les boulots, fait quelques pas à la télé nationale, dans Pasión Tropical, le  » pire  » programme qui soit, où  » les danseuses sont juste là pour montrer leur cul « . En huit mois, elle a gagné dix mille dollars, s’envole pour New York où elle suit encore quelques cours avant de se présenter à l’école P.A.R.T.S. où bat le coeur de Rosas. Pas un instant, elle n’avait imaginé qu’elle raterait l’audition, elle tombe des nues, il lui faut inventer la suite de son parcours, elle a 24 ans, le nouveau siècle se profile à l’horizon. Elle s’inscrit alors, boulimique, à tout ce que Bruxelles compte de formations dansées, tombe amoureuse, ne prend pas son avion de retour, part se former chez Mathilde Monnier, à Montpellier, apprend peu à peu à décoder la vieille Europe, sa culture, ses gens, le français, cela lui prend du temps, Ayelen confesse qu’elle est  » très lente « .

Chez les êtres de feu, la vitesse d’ingestion n’est pas la même, est-ce pour ralentir un peu les incendies qui les consument ? A l’époque, elle court les auditions, mais rien ne se concrétise jamais, elle est à ce point désespérée qu’elle imagine son retour en Argentine, la tête basse. C’était compter sans La Ribot, performeuse espagnole qui lui donne un vrai bon conseil d’amie :  » Danse un solo.  » Elle aime les missions impossibles, s’exécute, crée comme elle peut, c’est-à-dire avec ses tripes, magnifiquement – sa date de naissance en guise de titre : 25.06.76 et pour contenu, son autobiographie. On est en 2004. Onze ans plus tard, Ayelen Parolin le danse toujours, avec bonheur, ici ou ailleurs, à New York, à Mexico aujourd’hui et cette définition d’elle tient toujours la route,  » des mouvements  » qui correspondent à trois mots censés la qualifier :  » impulsif, changeant et le troisième je ne me souviens pas…  » Elle qui adore être sur scène enchaîne désormais les créations, comme interprète d’elle ou des autres, comme chorégraphe, sans qu’il faille jamais poser de choix. Exigeante toujours. Radicale. Viscérale. Se jouant de la limite, si ténue, entre le contrôle et le lâcher-prise. Ne négligeant jamais la puissance salvatrice de la transe. Pieds nus ou en talons, sur le fil du rasoir, si dense.

www.ayelenparolin.be

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

Chez les êtres de feu, la vitesse d’ingestion n’est pas la même, est-ce pour ralentir un peu les incendies qui les consument ?

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