La légendaire cristallerie française s’installe dans le somptueux hôtel des Noailles, à Paris, réinventé par Philippe Starck. Sur 3 000 mètres carrés, le Musée Baccarat célèbre un mélange unique de féerie, de luxe et d’humour aussi. Etincelant.

Carnet d’adresses en page 57.

A Paris, et pour une fois, le verdict est unanime : le nouvel espace Baccarat transfiguré par le créateur Philippe Starck est une merveille absolue. Même les plus farouches détracteurs du célèbre designer û ô combien nombreux û ne tarissent plus d’éloges à propos du  » 11, place des Etats-Unis « , adresse de l’hôtel particulier investi dans le XVIe arrondissement parisien par la légendaire cristallerie française.

On reconnaîtra sans peine l’empreinte du designer, faite de démesure, d’humour et de détournements de codes. Exemple : un tapis féerique, incrusté de fibres optiques, guide dès l’entrée le visiteur vers le hall d’accueil où trône un canapé hors du commun : un tronc d’arbre surpiqué de dossiers de chaises. Starck est bien passé par là ! A gauche, au pied du majestueux escalier de pierre, une chaise en cuir et verre de trois mètres de hauteur dissout les règles de proportions. A droite, derrière une porte capitonnée, se cache la boutique… Le lieu se déploie dans une vertigineuse perspective de tables de cristal ornées de coupes, verres et autres calices de prestige. Alignées à l’infini, recouvertes de miroirs criblés eux aussi de fibres optiques, les tables créent un jeu étonnant : objets et espace se réfléchissent pour mieux se confondre. Pour parfaire le travail d’illusion, les imposants lustres lamellés suspendus au plafond ont le pouvoir de se mouvoir… Les luminaires ont en effet la faculté de tourner lentement sur eux-mêmes grâce à un puissant moteur rotatif dissimulé sous les stucs ! Une débauche de luxe génialement contredite par un recours à des effets minimalistes : les murs anthracites, non traités, apparaissent dans leur plus simple appareil. On y décèle çà et là les marques de mesure inscrites au crayon gras…

A l’étage de cet espace, dont seulement un tiers des trois mille mètres carrés rénovés sont accessibles au public, se niche la galerie-musée. C’est le peintre û et ami du designer û Gérard Garouste qui en a décoré la rotonde de l’entrée. Spécialiste des grands thèmes mythologiques, l’artiste a imaginé une variation autour de l’Alchimie. Une allégorie colorée de l’eau, de la terre, de l’air et du feu, soit les quatre éléments nécessaires à la fabrication du cristal. La galerie qui lui fait suite consiste en un sobre alignement monochrome de cubes de verre où sont exposées quelques-unes des pièces maîtresses de Baccarat, entre autres celles réalisées pour les différentes Expositions universelles. Au même niveau, le restaurant, qui répond au nom de Cristal Room, est situé dans l’un des fastueux salons privés que compte la demeure. Un mélange de briques crues, de lambris et de dorures où Starck distille quelques notes d’humour, comme ces canapés roses recouverts d’un motif de profil  » antiquisant « . C’est dans ce lieu même que la vicomtesse de Noailles, célèbre propriétaire de l’hôtel particulier au début du siècle, prenait ses repas. Marie-Laure de Noailles forma avec son mari Charles, un couple tonitruant de mécènes avant-gardistes qui organisa au  » 11, place des Etats-Unis  » des fêtes mémorables en compagnie de Luis Buñuel ou Jean Cocteau. Laissé à l’abandon depuis une dizaine d’années, l’édifice a été racheté, il y a deux ans par Baccarat.

Ce nouvel espace est un double défi pour la marque détenue par la Société du Louvre, filiale des champagnes Taittinger. Poursuivre le rajeunissement de l’image de la société entrepris il y a plusieurs années et la diversification de ses activités (une collection de sacs et de montres sont apparues en 2002) tout en conservant le précieux patrimoine qui a fait la réputation de la marque à travers les siècles. Pour rappel, c’est en 1764, sur autorisation du roi de France Louis XV, que la verrerie a été fondée dans le village de Baccarat en Lorraine dans l’est de la France. Habitué des commandes royales puis républicaines, fournisseur officiel de la cour de Russie sous le tsar Nicolas II, Baccarat compta parmi ses clients aussi bien des empereurs, des présidents (Roosevelt, entre autres), des maharadjahs que Joséphine Baker. L’Elysée est encore et toujours friande des services de table du célèbre verrier.

Depuis le début des années 1970, la société fait épisodiquement appel à des artistes de renom (Dali, César) ou des designers réputés (Andrée Putman, Jean-Marie Massaud) pour redessiner de nouveaux produits, plus contemporains, sans pour autant se risquer à une modernité radicale. Le choix de Philippe Starck pour  » orchestrer  » son nouveau QG marque un parti pris plus affirmé. Un pari branché et risqué qui semble désormais gagné.

Antoine Moreno

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