Eaux turquoise, poissons multicolores, sables roses ou blanc nacré, voilà pour la carte postale, et elle n’est déjà pas mal ! Mais les Bahamas, immense archipel aux îles toutes différentes les unes des autres, nous baladent aussi, entre héritage colonial et traditions venues d’Afrique, à la rencontre d’un art de vivre caribéen, haut en saveurs… et en couleurs !

A dix minutes de l’aéroport de Miami apparaissent déjà sous l’avion les premières étoiles de cette étonnante constellation de 700 îles et îlets. Les Bahamas doivent leur nom à Christophe Colomb, qui dut pester en man£uvrant ses lourdes caravelles dans le labyrinthe inconnu des islas de Baja Mar ! Vues d’en haut, leurs basses eaux n’apparaissent même pas cobalt, mais turquoise pâle, si pâle que l’on distingue chaque ride du fond sableux. Si une raie manta nageait là, on la verrait, c’est sûr.

Au xviie siècle, ces eaux devinrent un vrai nid de pirates et Nassau le port d’attache de Barbe-Noire. Aujourd’hui, la capitale des Bahamas est surtout un repaire de sociétés off-shore. Mais les poissons qui nagent sur ses billets de banque et ses administrations peintes en rose bonbon lui préservent un goût de paradis, fût-il fiscal. Parlement, palais de justice, bibliothèque octogonale, tous sont couleur barbe à papa. Comme la Balcony House, jolie maison-musée flanquée d’un palmier, le palais du gouverneur, où Madame fait circuler les petits-fours lors de tea parties hebdomadaires, et le Graycliff, logis de flibustier devenu hôtel suranné, qui transforme en musée piétonnier des arts et traditions populaires (fabrique de cigares, bientôt de chocolat) son quartier colonial. En crème et vanille, la Villa Doyle en est le fleuron et abrite la National Art Gallery, où l’on peut découvrir, comme au MoMa de New York, les sirènes, les flamants roses et les hibiscus du peintre naïf Amos Ferguson.

Robinsonnade en technicolor

Nassau, escale obligatoire, est un sas de décompression salutaire entre Vieux Continent et bleu des mers du Sud. Il y fait bon nager dans la piscine indigo du Cove, siroter daiquiri et Bahama Mama au bar de la plage du One & Only Ocean Club (même maison, la patine coloniale en plus) ou collectionner les toiles élégantes que Bahama Hand Prints couvre de palmes, fruits, coquillages et autres motifs souvent inspirés de la période tahitienne de Matisse. Mais c’est assis dans un rocking-chair rose sur un balcon multicolore face aux eaux scandaleusement turquoise de Compass Point que l’on touche le bonheur du doigt. Dans les années 70, le producteur Chris Blackwell installa ici un studio d’enregistrement pointu, où défilèrent les Beatles, les Stones, U2, Bob Marley, Eric Clapton, Björk et tant d’autres qu’il fit bientôt bâtir de l’autre côté de la route un hôtel tout aussi rock’n’roll. Dix-huit cabanes sur pilotis sans chichi – juste un lit haut perché sous un ventilateur – mais peintes aux couleurs du junkanoo, le carnaval local qui met littéralement le feu aux derniers jours de l’année ! La décoratrice Barbara Hulanicki n’eut pas à chercher l’inspiration bien loin.

Sur Potter’s Cay, c’est dans des cabanes anis, citron, turquoise ou rose bonbon qu’on achète une salade de conque ou des ailerons de poulet frits avant de prendre le bateau pour les Out Islands, les îles plus lointaines de l’archipel. Remplis de sirènes callipyges en robes de plage flashy, les ferries du week-end appareillent en musique. Plus discret, le catamaran Bo Hengy vous déposera en 2 h 45 sur le Government’s Dock d’Harbour Island. Ces quais, qui ont vu défiler pirates, pilleurs d’épaves, charpentiers de marine, pêcheurs d’éponges et exportateurs d’ananas, sont aujourd’hui dévolus aux touristes. Près de The Shack, la cabane rose et verte qui vend d’exquis beignets de conque, il faut louer une voiturette de golf. Tout le monde circule ainsi sur l’île, mères de famille transportant quatre enfants et deux régimes de bananes ou touristes américains écarlates et apprêtés pour aller dîner, et tout le monde se salue. C’est la règle.

 » Harbour Island, home of friendly people « , rappelle un panneau près de l’hôtel The Landing, où vous aurez intérêt à poser vos valises. C’est India Hicks, mannequin, décoratrice, fille du designer David Hicks, petite-fille de lord Mountbatten et belle figure de l’île, qui fut chargée de transformer une maison de planteur de 1800 et une maison de marin de 1820 en un hôtel au charme colonial, tout droit sorti d’un roman de Graham Greene ou Somerset Maugham, avec sa grande varangue à l’étage, ses parquets sombres patinés par les allers-retours à la plage, ses lits à baldaquin en acajou et ses fauteuils Adirondack posés sur des terrasses à persiennes blanches ouvrant sur le port. Pas de télé dans les chambres ; le spectacle est dans la rue.

Tout le quartier est un bijou d’architecture Nouvelle-Angleterre adaptée aux tropiques. Sobres et solides, bâties le plus souvent par des charpentiers de marine pour résister aux ouragans, ces maisons de poupée bien alignées sont aussi ravissantes, car les Loyalistes américains qui les bâtirent au xviiie siècle souhaitaient donner une image plus pimpante au repaire de marins dans lequel ils avaient échoué ! Almond Tree, Jewel in the Crown, Strawberry House ou Miss Lena’s arborent des toits en shingles ourlés de fins lambrequins, des porches à colonnes ou balustrade et des varangues fermées de louvers , indispensables persiennes bahaméennes qui laissent respirer la maison, filtrant la brise et la lumière, mais tenant à l’écart la chaleur et les averses tropicales. L’après-midi et jusqu’au soir, toute l’île converge vers le port et Bay Street. Et, armé d’une Kalik fraîche achetée à l’épicerie d’en face, l’on pourrait passer des heures sur la terrasse de Queen Conch (la meilleure salade de conque de l’île !) à regarder les enfants se jeter à l’eau à peine rentrés de l’école et les pêcheurs s’affairer autour des bateauxà

Saint-Trop des tropiques

Le matin, en revanche, c’est de l’autre côté de l’île, sur la plage de Pink Sands, qu’il faut être dès l’aube : 5 km de grève couleur lait-fraise et une eau turquoise 30 °C lui ont bâti une solide réputation auprès de la jet-set internationale. Brooke Shields, Richard Gere ont leurs habitudes au Pink Sands. Uma Thurman possède une villa sur la dune et l’on peut louer à la semaine (paradisiaque !) la luxueuse Southern Cross, où les journées s’écoulent lentement, à l’ombre des cocotiers ou au bord de la piscine gris bleu, en attendant de dîner (le chef de la maison Fabrice Gomet, ancien de chez Bocuse, excelle dans la langouste rôtie au rhum et à l’ananas !) et de s’endormir dans une chambre toute blanche en écoutant le chuchotement des palmes et des vagues.

À l’heure du déjeuner, stars et ordinary people se retrouvent dans l’une des trois jolies adresses ouvertes sur la plage : le Blue Bar du Pink Sands, lambrequins lavande et parasols noirs, le Beach Bar tout blanc de l’hôtel Coral Sands ou Sip-Sip, notre restaurant favori en bleu roi et vert anis, où Julie Lightbourn fait la cuisine bahaméenne simple et goûteuse, à base de fruits, légumes et poisson frais, dont tout le monde a envie. Fille des îles, Julie s’est offertune maison de vacances sur l’île voisine, Eleuthera, où elle retrouve la beauté sauvage des plages de son enfance. Lenny Kravitz, l’enfant du pays, vit lui aussi à Gregory Town une partie de l’année et il n’est pas rare de le croiser, déjeunant d’un Spicy Jerk Wrap au Laughing Lizard Café ou s’offrant une jam session chez Elvina’s le vendredi soir.

Étonnant de voir combien Eleuthera, à 10 minutes à peine, semble authentiquement bahaméenne, comparée à ce discret Saint-Trop des tropiques qu’est Harbour Island. Entre Atlantique et mer Caraïbe, cette longue île de 160 km est parcourue par une Queen’s Highway le long de laquelle on trouve tout, ou presque, sauf les champs d’ananas, et des plages divines, quasi désertes, qu’il faut aller chercher au bout de pistes sableuses. En chemin, la route offre un cours d’ethnologie bahaméenne accéléré. On y croise des familles endimanchées à la sortie de l’église où un barbecue géant les attend, des ados trop maquillées promenées sur des pick-up pour un concours de beauté et de grosses dames à bigoudis roses faisant de l’essence au General Store de Governor’s Harbour, la première capitale de l’archipel. Entre son amour de bibliothèque rose et la belle Wesley Methodist Church aux volets bleus, c’est la fête tous les vendredis soir : fish fry et rum bubbas autour de la baie.

Plus au sud encore, après Windermere, où Jacques Cousteau et la famille royale d’Angleterre avaient leurs habitudes, c’est Tarpum Bay, avec ses vieux cottages couleur dragées et sa ravissante église Saint Columba. Sous un porche, une vieille dame contemple le crépuscule depuis sa balancelle. Des gamins plongent du haut de la jetée dans l’eau dorée. Eleuthera, l’île de la Liberté, n’a pas volé son nomà

Carnet pratique en page 128.

Par Julie Daurel / Photos : Nicolas Millet

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