A la tête de la maison Balmain, le nouveau directeur artistique Christophe Lebourg réinvente avec classe et discernement l’esprit  » Jolie Madame « . Rencontre avec un admirateur inconditionnel de feu Pierre Balmain.

Carnet d’adresses en page 137.

Au numéro 44 de la très chic rue François Ier dans le VIIIe arrondissement de Paris, là même où Pierre Balmain fonda son label de couture en 1945, la boutique fait totalement peau neuve pour servir d’écrin à la collection du printemps-été 2004. Coup sur coup, et dans une volonté d’étendre sa marque à des points stratégiques, Balmain, qui a racheté au groupe Clarins l’usine de production Thierry Mugler, a ouvert une enseigne sur la parisienne avenue Montaigne, mais aussi à Bruxelles, à Cannes et à Toulouse. Aux rênes de la création, Christophe Lebourg (40 ans) remplace Laurent Mercier qui, en trois saisons, n’avait pas réussi à redonner à la griffe le souffle dont elle avait besoin. Succédant à Erik Mortensen, Oscar de La Renta, Andrew GN et Gilles Dufour qui dessinèrent les collections de Balmain après la disparition du couturier en 1982 à l’âge de 68 ans, Christophe Lebourg signe une collection fraîche, un brin désinvolte et  » commercialement correcte « , où l’esprit Balmain est élégamment repensé à l’aune du xxIe siècle. Célèbre, surtout, pour ses fabuleuses robes du soir dont l’opulence évitait le tape-à-l’£il, Pierre Balmain, architecte de formation, aimait décrire la couture comme  » l’architecture du mouvement « . Cet homme très cultivé, humaniste dans l’âme et curieux de tout, avait travaillé notamment chez Molyneux avec Christian Dior avant d’ouvrir sa propre maison voici presque soixante ans. Sa signature û taille étroite, épaules marquées et jupons amples û sera le symbole d’un nouveau luxe d’après-guerre, à l’instar de la silhouette New-Look de Dior, justement. Sachant promouvoir sa griffe comme personne û il découvrit très vite l’importance des marchés américains et asiatiques û, Pierre Balmain habille les  » people  » de l’époque : Marlene Dietrich, Dalida, Sophia Loren, Katharine Hepburn, Brigitte Bardot, etc.

Baptisée  » Balmain Beautiful « , en clin d’£il au style  » Jolie Madame  » initié par Pierre Balmain en 1952, la collection printemps-été 2004 s’ouvre sur une série de petites robes blanches et noires taillées près du corps et fendues au côté. S’ensuivent des corsages aux couleurs rafraîchissantes (rose électrique, jaune moutarde, melon, etc.) jouant la carte de l’asymétrie et coupés à vif, une série de costumes ajustés à pantalon style smoking et enfin, des robes du soir û framboise, lilas, potiron et paprika û, élaborées à partir de voiles triangulaires ou drapées à la façon des toges antiques. Ces créations en prêt-à-porter précèdent la collection de haute couture qui sera présentée, elle, en juillet prochain, suite au désir des dirigeants de Balmain de renouer avec cette tradition de luxe (NDLR : les défilés coutures avaient été interrompus un moment chez Balmain) qui caractérise depuis toujours l’esprit de la maison.

Le leitmotiv de Christophe Lebourg, qui a développé sa propre marque dix ans durant (de 1983 à 1993) et assuré la direction artistique de plusieurs labels tels que Cacharel, Callaghan ou Rodier ? Proposer une mode dans l’idée qu’il se fait de la maison Balmain dotée d’un patrimoine fabuleux, et essayer de déployer la marque en la rendant la plus compréhensible possible aux yeux des clientes. Commentaires.

Weekend Le Vif/L’Express : En quelle proportion l’héritage de Pierre Balmain influence-t-il votre première collection ?

Christophe Lebourg : Pour moi, c’est quasi comme si la maison Balmain était mienne, sans prétention aucune. Je ne suis pas un styliste de plus sur la liste ; j’essaie de demeurer le plus proche possible de Pierre Balmain, le couturier mais aussi l’homme, qui mettait l’accent sur le grand luxe et l’image d’une femme un peu inaccessible, qui fait rêver. Pour l’été 2004, l’influence de Balmain se ressent principalement au niveau de la pureté des lignes traitées à la manière d’un architecte. J’ai aussi renoué avec le rapport que Pierre Balmain entretenait avec la culture ; cette collection réfère à deux artistes : le peintre Fontana, qui  » scratche  » véritablement la peinture sur la toile et l’architecte brésilien Oscar Niemeyer pour le traitement des courbes et de la douceur des lignes. En fait, j’ai davantage appuyé sur le côté architectural que sur le côté hyperluxueux.

Comment a démarré votre collaboration avec Balmain ?

Eh bien les responsables de Balmain et moi nous nous sommes rencontrés en juillet 2003 et directement entendus sur la conception de l’avenir de la maison. Pour moi, Pierre Balmain symbolisait avant tout la haute couture à l’instar d’Yves Saint Laurent, Chanel ou Dior et depuis vingt-trois ans que j’exerce ce métier, j’ai toujours eu envie de travailler dans une telle maison. C’est comme si j’étais en héritage direct avec Pierre Balmain. En fait, je me sens encore plus proche de l’homme que du style : il y avait chez Balmain un humanisme, une magie, une modernité très actuelle pour l’époque dans la manière, par exemple qu’il avait de promouvoir sa griffe dans et hors frontières. Chaque jour, sous son portrait qui trône dans mon bureau, je m’imprègne de sa personnalité…

Avez-vous beaucoup consulté les archives de la maison Balmain ?

On dispose ici d’une quantité non négligeable d’archives ; j’ai pas mal examiné les photos mais je ne voulais pas reprendre forcément les mêmes modèles, éviter de tomber dans le cliché. J’ai plutôt essayé de m’imprégner de la manière de vivre des années 1950 riches en inventivité tous azimuts. L’intérêt, aussi, au niveau du vêtement, c’est qu’il puisse être porté aussi bien par une femme de 25 ans que par une de 65 ans, qu’il puisse avoir un petit côté vintage tout en restant ancré dans son époque : je recherche la pérennité d’un style tant au niveau de la façon de porter le vêtement qu’au niveau des formes de la femme qui l’arbore. Pierre Balmain habillait tous les gabarits de femmes et c’est une philosophie que je respecte énormément. Le vêtement est là pour exister, comme un objet, et chaque pièce a son importance. C’est une démarche que l’on retrouve chez Miuccia Prada, par exemple.

Quel a été votre parcours avant votre fonction actuelle ?

A 17 ans, j’ai étudié un an la mode à la chambre syndicale de la couture à Paris puis j’ai suivi des cours à la  » Paris American School « . Ensuite, j’ai travaillé avec la grande créatrice France Andrevie, une femme extraordinaire qui m’a appris beaucoup sur le métier. J’ai aussi dessiné des collections de chaussures chez Yohji Yamamoto, j’ai bossé notamment chez Montana, Cacharel, Lanvin et Rodier. J’ai aussi lancé ma marque personnelle à 21 ans et ce, pendant dix ans. Dernièrement, je m’occupais d’une ligne de jersey hommes chez Eminence. J’ai donc touché un peu à tous les aspects du stylisme en sachant qu’un jour, j’entrerais également dans une maison de couture… Maintenant, la boucle est bouclée. Mais cela ne signifie pas qu’il faut stopper là : chaque jour est un apprentissage, le passage vers une étape supplémentaire.

Avez-vous toute latitude pour exprimer vos idées personnelles ou devez-vous tenir compte de codes maison stricts et précis ?

C’est moi-même qui m’impose des codes, vestimentaires ou autres, car j’estime que la maison Balmain a besoin de directives afin de replacer son style dans un cadre précis, tout en y injectant mon propre savoir-faire. Quelqu’un qui a très bien réussi cette osmose, par exemple, c’est Karl Lagerfeld chez Chanel. Ce que les gens attendent de Balmain, je le répète, c’est une atmosphère de pur luxe, de robes d’apparat, etc. qui cristallisent des moments particuliers dans l’existence des femmes.

Prudente, la première collection que vous signez pour Balmain est aussi résolument commerciale…

C’est une collection sage, sans remous et que j’ai dû bâtir en peu de temps (un peu plus d’un mois). Les réactions de la presse n’ont pas été négatives mais on a reproché à la collection de manquer de luxe et c’est intéressant car cela signifie que cette maison peut se permettre des créations hors du commun. Voilà vers quoi nous devons nous diriger tant pour la couture que pour les prochaines collections de prêt-à-porter. Avec nos ateliers dans la maison, les compétences de l’unité de production Thierry Mugler récemment acquise et le réseau de boutiques-pilotes, nous disposons de tous les outils nécessaires pour relever ces nouveaux challenges. Nous allons renouer avec cet aspect glamour qui faisait les belles heures de la maison Balmain il y a cinquante ans.

Que fallait-il changer radicalement au style de Balmain après le départ de Laurent Mercier ?

Toutes les personnes qui se sont succédé aux rênes artistiques de Balmain (Karl Lagerfeld, Oscar De La Renta, Gilles Dufour, etc.) n’ont pas forcément fait du tort ou du bien à la griffe. Aujourd’hui, ce qui importe, c’est de réinstaller les codes typiques à Balmain, revenir à cette histoire de savoir-vivre, d’élégance simultanément naturelle et luxueuse. Cette maison, qui n’appartient à aucun mégagroupe de mode et ne représente pas des millions et des millions d’euros d’intérêts, possède une âme, un côté convivial et une dimension humaine û j’ai six personnes au studio de création et vingt-cinq aux ateliers de fabrication û, où je me glisse avec un réel bonheur. L’idéal, ce serait d’avoir un peu plus de recul par rapport au rythme des collections ; le temps, c’est un luxe aussi.

Propos recueillis par Marianne Hublet

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