Cet archéologue de la B.O. exhume, restaure et réédite des musiques de film devenues introuvables. Avec une précision maniaque et un sens aigu du calembour.

Très vite on se dit que, jour et nuit, il ne pense qu’à ça et depuis longtemps. Stéphane Lerouge est un fou de musique de films. Ecoutez le cinéma !, la collection qu’il dirige et qu’il a créée chez Universal Music, rassemble plus 120 albums exhumés et réédités en treize ans. La part belle est faite au cinéma populaire français des années 60 et 70, celui de Lino Ventura, de Louis de Funès ou de Jean-Paul Belmondo bondissant d’échafaudages en échafaudages, dans L’homme de Rio, sur les notes virevoltantes de Georges Delerue.  » Ces musiques qui étaient méprisées font aujourd’hui partie de la mémoire collective, le temps a joué en leur faveur « , dit-il.

Derniers titres en date dans les bacs : les partitions écrites pour le grand écran par Jacques Brel et un coffret de quinze galettes consacré à Michel Legrand. Le compositeur des Parapluies de Cherbourg tient une place à part dans le parcours de Stéphane Lerouge. Sans doute est-il l’un des premiers à avoir participé à son éducation musicale.  » J’étais un petit garçon qui collait un magnétophone à cassettes sur le poste de télé quand la une diffusait Oum le dauphin, c’était le seul moyen de prolonger le plaisir.  » Il s’ennuyait dans sa Bretagne natale. Il a grandi le long de la mer en scrutant le cinéma à la longue-vue, comme une terre promise. Un jour, il s’est arrêté de découper les fiches de Télé 7 Jours qu’il recopiait soigneusement pour exercer sa mémoire.

A 43 ans, il a gardé le goût encyclopédique. Ce Diderot de la B.O., un rien dandy, un peu cabot, possède une réserve inépuisable d’anecdotes sur le septième art. Ancien enseignant à la Sorbonne, il cultive le goût des citations décalées qu’il attribue selon son humeur au philosophe danois Søren Kierkegaard ou à Sim, le comique franchouillard.

Pour chaque projet discographique, il lui faut remettre la main sur les enregistrements originaux oubliés de tous.  » C’est un patrimoine qui a été assez mal conservé. Personne n’avait conscience de la postérité qu’il aurait un jour, y compris les compositeurs qui, une fois l’enregistrement terminé, passaient à autre chose.  » C’est perché sur un escabeau des archives d’Universal que le passionné met par hasard la main sur les masters de La piscine, le classique de Jacques Deray avec Alain Delon, mis en musique par Michel Legrand encore. Les boîtes en fer qui n’avaient pas été ouvertes depuis quarante ans révèlent des pépites :  » On y a trouvé quantité de prises alternatives qui n’avaient pas été gardées pour le film. C’était défenestrant. On les a évidemment incluses dans le CD.  » Les  » trophées de chasse « , comme il les appelle, sont parfois définitivement perdus ou retrouvés dans un état piteux… Gorgées d’humidité, les bandes doivent être séchées au four pour éviter qu’elles ne tombent en poussière. Le malade sauvé, reste à convaincre les ayants droit.  » On compte parfois quarante propriétaires différents pour un coffret. C’est comme construire le Taj Mahal avec des cure-dents.  »

Les  » film scores  » réactivés par Stéphane Lerouge séduisent les amateurs du genre et attirent l’attention des professionnels. Grâce à lui, les jeunes réalisateurs ont parfois l’idée de faire retravailler les anciens qui avaient disparu des radars. Un bonheur pour le mémorialiste qui inventorie en permanence le passé mais vante la création contemporaine.  » Il y a une vraie relève, les grands compositeurs existent toujours mais ils n’ont pas l’accès au métier qu’ils devraient avoir. Le nombre de films qui ont recours à une musique 100 % originale se raréfie. Il y a de plus en plus de cinéastes moutonniers qui se contentent de faire des copier-coller de musiques préexistantes.  » Peut-être même en puisant dans son fabuleux catalogue…

PAR ANTOINE MORENO

Une réserve inépuisable d’anecdotes sur le septième art.

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