Sa vision de l’élégance, entre force et fragilité, sensualité et esprit rock, lui a taillé une place aux côtés des plus grands. Rencontre avec une créatrice qui a fait de sa dualité un atout.

Elle se serait bien vue écrivain, comme semblaient l’y destiner khâgne et hypokhâgne, les deux années de  » prépa  » littéraires qu’elle a suivies à la Sorbonne. C’est pourtant la création de vêtements et d’accessoires qu’a choisie Barbara Bui pour s’exprimer et transcrire ses émotions.  » J’étais une enfant dans son monde, se souvient-elle en souriant. J’aimais dessiner, déjà, mais par-dessus tout, fixer des sensations fugaces en les traduisant en mots. Aujourd’hui, la mode est devenue ma manière d’écrire.  » Attirée un temps par le théâtre, le hasard des rencontres l’amènera finalement à pénétrer l’univers fashion qui lui correspond si bien. Tout commence réellement en 1983, lorsque Barbara Bui ouvre, avec son complice William Halimi, un magasin de vêtements à Paris. L’enseigne, installée rue de Turbigo, sera baptisée Kabuki, clin d’£il au théâtre traditionnel japonais et référence en filigrane à la culture asiatique qui coule dans les veines de la créatrice franco-vietnamienne. Car même si elle a découvert très tard la patrie que son père a fuie pour s’exiler à Paris –  » longtemps, retourner là-bas lui était douloureux  » -, cet héritage philosophique imprègne ses collections. Ses premières créations, qu’elle vend dans sa boutique, sont en effet déjà empreintes de cette sensualité retenue et de ce goût pour l’épure qui font le style Barbara Bui.

Un style dans lequel transparaît aussi une certaine ambivalence, façon yin et yang.  » Je crée pour celle qui me ressemble, décrypte la styliste. Une femme qui exprime sa dualité, pour qui sensibilité et volonté, caractère et raffinement, esprit couture et touche rock’n’ roll ne sont pas contradictoires mais représentent autant de facettes de sa personnalité.  » Parmi les premiers succès de la créatrice, on retrouve donc des pantalons aux coupes à la fois féminines et androgynes.  » On en a beaucoup parlé parce que, quand ils sont arrivés, ils comblaient un manque, se souvient la styliste. C’étaient les années 1980, on était en plein dans le mood  » executive women « , les femmes urbaines étaient vues comme des battantes un peu froides. Leurs tenues étaient des sortes de déguisements nés des fantasmes masculins.  »

Premier défilé parisien

Cette envie de ne pas faire de la femme un cliché, de lui  » laisser de la place pour exprimer son style et mettre sa personnalité en valeur  » sera le fil rouge de la créatrice, tant dans les coupes des vêtements que dans le choix des couleurs  » qui ne doivent pas écraser ou étouffer « . Ainsi, au noir elle a préféré, pour sa collection été 07, un bleu nuit doux, qu’elle porte ce jour-là. La collection hiver 07-08 amplifie encore cette tendance  » Blue Note « . A côté des beiges et des noirs, on y retrouve en effet des tons encre marine, des cuirs bleus métallisés, des paillettes indigo. Côté matières, la créatrice mise sur les oppositions entre laine, coton, fourrure et caoutchouc pour structurer des silhouettes fortes, à la taille marquée et au buste amplifié. Zips, laque, vernis et surimpressions viennent apporter la touche rock’n’ roll chère à Barbara Bui.

 » J’admire le travail d’Yves Saint Laurent, un maître en matière d’élégance, reprend la créatrice. Il avait un côté très novateur par rapport à ce qui se faisait en ce temps-là. Il a su manier le masculin-féminin avec grâce.  » Parmi ses favoris, on compte aussi Azzedine Alaïa, Comme des garçons ou encore Martin Margiela. Et, en survolant du regard les portants de son atelier tout blanc du Marais, on ne peut s’empêcher de trouver des dénominateurs communs entre ces grands noms et Barbara Bui. Notamment, un travail sur la structure de la silhouette et la pureté des coupes, qui aboutit à une mode où rien n’est surjoué. C’est sans doute ce qui séduit, dès le premier défilé organisé en 1987, la presse et les acheteurs internationaux, captivés par le style de l’autodidacte.  » Je crois beaucoup en l’apprentissage sur le tas, confie-t-elle à ce propos. Cela décuple la motivation !  »

De fait, la styliste bouillonne d’énergie. Un an plus tard, elle ouvre en effet une boutique en son nom rue Etienne Marcel. Vient ensuite le lancement d’une seconde griffe, Initials Barbara Bui, rebaptisée Bui depuis lors.  » L’idée était de proposer de petites pièces qui complètent la marque principale et permettent de la porter de manière plus décontractée et ludique.  » Boostée par son succès, Barbara Bui entre en bourse en 1998.  » Il fallait se donner les moyens de passer un cap, d’étendre notre structure pour pouvoir répondre aux demandes sans être sans cesse submergés « , explique-t-elle.

De Moscou à Hanoï

L’année suivante, elle part à l’assaut de New York en investissant un grand espace au c£ur de Soho. Désormais, c’est dans la Big Apple qu’elle défile –  » une manière de nous faire mieux connaître là-bas  » -, avant de revenir sur les podiums parisiens en 2003. Entre-temps, on assiste au lancement de sa très belle ligne de maroquinerie.  » La ligne évolue de manière autonome, et pas seulement pour compléter les silhouettes, précise-t-elle. On vend beaucoup à des femmes qui n’achètent pas nos vêtements.  » Depuis lors, d’autres enseignes ont aussi vu le jour, sur l’avenue Montaigne, temple du chic parisien, sur la via Manzoni, à Milan et, il y a six mois… sur la place Rouge !  » Les Russes étaient en attente de vêtements qui leur donneraient une allure forte et élégante, analyse la créatrice. Elles semblent un peu revenues de cet engouement pour le clinquant qui a suivi l’ouverture de leur pays au luxe, et se tournent désormais vers un raffinement non ostentatoire.  » Dans quelques jours, c’est sur la très sélect via Sant’Andrea, à Milan, que la créatrice s’installera, tandis que, dès janvier 2008, la rue du Faubourg Saint-Honoré accueillera, sur plus de 500 m2, une nouvelle enseigne de la griffe. Et on évoque également une implantation au Japon, et des contacts suivis avec le Moyen-Orient. En vingt ans, l’élégance raffinée de Barbara Bui a ainsi gagné les quatre coins de la planète mode. Même au Vietnam, où son père a fini par se réinstaller, la plus cosmopolite des Parisiennes est reconnue.  » Mon papa en est très fier ! « , sourit-elle.

Delphine Kindermans

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