Le poil, symbole ancestral de virilité, n’a plus la cote. Face à la déferlante d’images de beaux mecs lisses de partout véhiculées dans les pubs et les médias, les hommes lui font la chasse. Sur le dos, sous les bras et. – oui, oui, – là en bas, aussi.

Si l’on en croit le dernier slogan marketing prôné par Gillette sur le très fréquenté site Internet www.gillette.com/bodyshaving, les arbres ont toujours l’air plus grands lorsque l’on prend la peine d’éliminer arbustes et fougères à leurs pieds. N’allez pas croire pour autant que le géant de la lame se soit lancé dans l’équipement de tondeuses à gazon. Messieurs, c’est bel et bien de l’entretien de votre  » jardin secret  » qu’il est question. Et la tendance porte un nom : le manscaping – une contraction de man et landscaping signifiant respectivement homme et jardinage en anglais -, soit le traitement plus ou moins radical de la pilosité localisée (parfois très) en dessous du cou.

Pour en venir à bout, tous les moyens sont bons : rasage, bien sûr, mais aussi épilation à la cire, voire définitive à la lumière pulsée. Le sujet d’ailleurs est de moins en moins tabou, sans doute grâce à la pléthore de vidéos  » do it yourself  » mises en ligne sur le Net par les principaux acteurs du secteur. Si le top modèle canadien Jislain Duval engagé par Nivea (www.niveaformen.fr), pour promouvoir en images le gel douche de rasage Active 3, semble prendre la chose très au sérieux – surtout lorsqu’il démontre, geste à la clé, comment procéder pour ne pas se couper les mamelons lorsqu’on se rase le torse -, les autres fleurent bon l’humour potache digne des dialogues des bromantiques comédies chères aux ados et aux hommes de moins de 30 ans. Soit la cible apparemment très sensible à cette nouvelle attitude.

Selon Adam Rapoport, style editor de l’édition américaine du magazine GQ, la pratique concernerait surtout les hommes jeunes  » désireux de montrer leurs pectoraux et leurs tablettes de chocolat, sans que les poils ne leur fassent de l’ombre. Les types d’un certain âge ont assez confiance en eux pour assumer : ok, j’ai des poils sur le torse, et j’assure « . Pourtant, GQ – y compris dans sa version française – et d’autres titres destinés aux hétéros urbains soucieux des tendances n’ont eu de cesse ces dernières années de mettre en avant des hommes à la pilosité réduite à portion congrue.  » La mode de l’homme imberbe est de plus en plus suivie par les sportifs et les célébrités, assure-t-on chez Philips. Les « vrais » hommes contemporains aiment comme eux être rasés à la perfection.  » Une esthétique qui dérive aussi des catwalks des défilés et des publications gay. D’ailleurs, histoire de coller à une certaine image du journaliste de mode homo, l’humoriste britannique Sacha Baron Cohen, plutôt dru du poil au naturel, s’est infligé plusieurs  » épilathons  » pour mieux se glisser dans la peau de Brüno.

La loi du vestiaire

 » La pression sociale est de plus en plus forte, reconnaît Fabio Latragna, le patron de l’institut bruxellois Monsieur K, spécialisé dans les soins au masculin. Dans les pubs et dans les magazines, on ne voit plus que des beaux mecs imberbes et super bien faits. Comme de plus en plus d’hommes – gays et hétéros – se font épiler, quand les types se retrouvent dans les vestiaires par exemple, après le sport, ils comparent. Et cela incite les récalcitrants à s’y mettre. « 

26% d’épilation du maillot

Une enquête réalisée en 2008 par Gillette dans 12 pays européens confirme la tendance : exit le velu, bonjour le lisse. Si l’on y apprend sans trop de surprise que 88 % des Européens se rasent la barbe, on y découvre aussi que 26 % des hommes s’épilent le maillot et s’entretiennent les poils des jambes (1), maisà dans la discrétion.  » De nouveaux clients pour l’épilation, nous en avons tous les jours, confirme Fabio Latragna. Comme c’est tout neuf pour eux, ils ont peur du regard des femmes et ne se voient pas entrer dans un salon d’esthétique mixte. « 

Que l’on parle de rasage à la maison ou d’épilation à la cire en institut, il semble aussi que les hommes fassent assez facilement table rase des poils du dos et des aisselles même si là, beaucoup préfèrent encore une coupe courte et nette qu’une éradication complète. Et comme un poil arraché en entraîne – vite – un autre, ils sont de plus en plus nombreux à s’attaquer à la  » zone intime « , laissant à quelques extrémistes seulement le soin de faire aussi disparaître complètement toute pilosité de leur torse et de leurs jambes.

La comparaison avec le sort réservé au poil féminin est évidemment tentante, surtout lorsque l’on sait qu’il a fallu attendre les années 1920 pour que les femmes commencent à s’épiler les aisselles afin de succomber à la mode des robes à manches courtes. Dix ans plus tard, les journalistes beauté réglaient leur sort aux poils des jambes. La tendance ne s’est jamais inversée, bien au contraire. Il y a donc fort à parier qu’il en soit de même au rayon masculin. Car derrière ce qui n’a l’air, à première vue, que d’une toquade de modeux se cache une industrieà lourde. Comme le signalait début août dernier le très sérieux Wall Street Journal dans un édito consacré à ce phénomène, rien qu’aux Etats-Unis, le marché du poil au sens large représentait en 2008 plus de1,8 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Quant aux ventes de rasoirs électriques spécialisés dans le traitement du corps – comme le Bodygroom de Philips qui y va aussi de sa petite vidéo coquine ( www.shaveeverywhere.com) ou le Boducruzer de Braun -, leurs ventes seraient en croissance de plus de 50 % chaque année.

Les femmes soumises depuis près d’un siècle à la tyrannie de la peau lisse tiendraient-elles enfin leur revanche ? A voir avec quelle sauvagerie la petite compagne de Scrat, l’écureuil hystérique de Ice Age 3 se plaît – telle une Dalila des temps modernes -, à le dépouiller de sa toison, on pourrait presque le croire. Mais les commentaires laissés par les filles sur les sites de manscaping incitent plutôt à la prudence. A les lire, l’homme  » totally nude  » c’est (encore) très peu pour elles. A méditer, messieurs, avant de tailler vos buissons de trop prèsà

Banc d’essai en page 96.

Par Isabelle Willot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content