BELGATTITUDE

Le Belga Queen est le nouveau resto dont tout le monde parle à Bruxelles. Somptueux, il réussit, à l’heure de la  » world food « , un pari audacieux : miser sur les terroirs et la cuisine belge.

 » Je n’avais encore rien vu de tel à Bruxelles « , souffle discrètement une jeune femme à son mari. Il y a fort à parier que cet émerveillement est partagé par tous ceux qui découvrent le nouvel antre  » hype  » de la rue du Fossé-aux-Loups. A considérer les regards qui se promènent dans la salle, ils sont plusieurs à rester médusés devant ce temple de la gastronomie  » made in Belgium « . Niché dans un immeuble dont la façade du XVIIIe siècle est en voie de classement, le Queen, comme le nomment certains, en impose. Hôtel de la Poste et banque du Crédit du Nord dans une autre vie, cette perle architecturale, qui a traversé les siècles, abrite désormais un concept de restaurant-brasserie ambitieux : 1 000 mètres carrés d’une décoration alliant la modernité épurée de l’aménagement intérieur et le classicisme strict du bâtiment. Le tout pour une scénographie sans fausse note qui fait faire à la gastronomie un pas du côté du  » lifestyle « . La légende – il y en a déjà une – veut que son concepteur, Antoine Pinto, ait anticipé ce somptueux décor en se promenant seul dans l’espace encore brut. En une illumination, il aurait tout imaginé : du sol au plafond, jusqu’au modèle des tabliers du personnel.

Avec sa magnifique verrière, ses oeils-de-boeuf et ses douze colonnes imposantes, le cadre a de quoi inspirer, en effet. Pinto a créé une réalité à la hauteur de son rêve. Que ce soit dans les cuirs des fauteuils clubs revisités, dans les luminaires aux lignes parfaites ou dans la vaisselle siglée aux initiales du lieu, le projet a été poussé jusque dans les moindres détails. Drapé de matières nobles, le Belga Queen impose une image chic et léchée conçue pour se multiplier : à court terme, à Gand et Bruges ; ensuite, à Lille, Paris et Londres.

Pour Jean-Philippe, un jeune  » foodie  » – gastronome éclairé -, la chose est entendue.  » Avec ce nouvel endroit, Bruxelles s’est enfin donné un cadre digne de ce qui se fait à Londres et à Paris, s’enthousiasme-t-il. La cuisine belge s’est trouvé une vitrine. » Pour les connaisseurs viennent à l’esprit les différents restaurants issus de la galaxie de sir Terence Conran, cet homme-orchestre, à la fois restaurateur, designer et créateur des magasins Habitat qui a bouleversé la donne gastronomique britannique.  » Bien après Paris, et surtout Londres, les restaurateurs de la capitale sont en train de forger des projets où le décor a autant d’importance que les mets servis, poursuit Jean-Philippe. Nous sommes en train de vivre un moment très excitant car tout cela génère un effet boule de neige qui permet de penser que le meilleur est à venir.  » Plus sceptique, Pierre, un homme d’affaires, attend, lui, de juger sur le long terme.  » Je me méfie de l’effet de mode, confie-t-il. La démarche est séduisante, mais pour durer, elle nécessitera une grande rigueur. « 

Un théâtre gourmand

Dès l’entrée, de part et d’autre du hall, le bar et surtout le bar à huîtres font d’emblée songer à ce que propose le très branché hôtel Sint Martin’s Lane de Londres. Plus loin, on pénètre dans le saint des saints. Le Belga Queen se présente alors comme un théâtre. Le public prend place dans une salle immense, coiffée d’une verrière magistrale, pouvant accueillir jusqu’à 200 couverts. Bordé des blasons de nos différentes provinces, l’ouvrage agit comme un puits de lumière naturelle. Cet axe central coupe la salle en deux parties rigoureusement symétriques, l’une aux tons clairs, l’autre aux tons foncés. Au bout, derrière un rideau ouvert, une scène s’offre à la vue de tous : la cuisine. Pour un effet décalé, les chefs – Thierry Verdonck et Eric Martin – y officient le soir à la lueur de néons ultraviolets.

L’homme qui a conçu ce théâtre est aussi celui qui écrit la pièce et qui en réinvente tous les jours les dialogues. A 49 ans, Antoine Pinto, n’est pas un nouveau venu dans la restauration. Ses réalisations antérieures ont marqué les esprits : la Quincaillerie, Pasta Commedia et Majestic à Bruxelles ; Alcantara Café à Lisbonne ; Dock’s Café à Anvers ; Pakhuis à Gand; Pasta Commedia à Beyrouth. Entré en gastronomie grâce à l’arrivée de la nouvelle cuisine, parce que  » on commençait à s’intéresser à l’aspect visuel de l’assiette « , ce Portugais, Belge d’adoption, est un touche-à-tout de génie. Designer visionnaire, pour le décor du Belga Queen, il a tout dessiné lui-même : les chaises, les luminaires, la vaisselle, l’aménagement de l’espace. Plus étonnant encore, il a élaboré personnellement la carte en écumant les terroirs du pays pour en extraire la substantifique moelle.

C’est du bon, c’est du belge

Mettre la cuisine belge à l’honneur est sans doute la plus belle réussite de l’endroit. Alors que la plupart des restos  » trendy  » ne jurent que par la  » fusion food  » (qui marie des ingrédients d’horizons divers sur une même assiette), l' » easy-eating  » (qui promeut des recettes du genre poulet au coca) ou la  » world food  » (qui inscrit sur une même carte des plats issus des différentes cuisines du monde), il fallait du cran. Certains prétendront que la ficelle est marketing. Pinto, lui, s’en défend.  » J’ai au total passé trente-trois ans en Belgique, il est normal que cela se soit imposé à moi comme une évidence « , plaide-t-il. La carte et la sélection de boissons sont, en effet, un bel hommage à son pays d’adoption. A noter : le nouvel art d’accommoder les spécialités belges. Sirop de Liège, jambon de la Sûre, péket ou escavèche d’anguilles sont valorisés au coeur de nouvelles harmonies, plus contemporaines.

Le Belga Queen se veut tout entier un culte à notre pays, comme en témoignent les noms des  » Belges du monde « , de James Ensor à Benoît Poelvoorde, inscrits à même la pierre dans le hall. Il y a aussi les clins d’oeil : les cornets de frites en faïence, une carte de vins dédiés aux propriétaires belges de crus français, la brouette en forme de Minotaure signée par le sculpteur Vincent Strebell… Sans oublier les toilettes entièrement transparentes qui s’opacifient au moment de fermer le verrou. Là encore, un brevet 100% belge.

Carnet d’adresses en page 97.

Recettes en page 40.

Michel Verlinden Photos: Antoine Moreno

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content