Elle n’en a toujours fait qu’à sa tête, Yael Landman. De la lingerie, hier, cinq robes aujourd’hui, toujours sans tabou, ludiques et sexy. Confidences.

Anne-Françoise Moyson

Elle a choisi un portrait d’elle un peu mystérieux, tout flou, tout flamme, qu’elle commente avec ces mots de Grace Jones,  » one creates oneself « . Si Yael Landman doit poser pour la postérité, autant que ce soit devant l’objectif  » tellement doux  » de son amie Marie du Petit Thouars, qui vit et expose à Los Angeles. Le genre de filles qui sur un coup de tête se retrouvent à Paris, filent dans un parc à la tombée du jour, à la fin de la nuit, et improvisent une séance photos sans fards, qu’elles trouvent forcément magnifiques et mystérieuses, nous aussi.

Ce n’est pas innocent – le parfum du mystère, le sceau du secret, l’ésotérisme de l’érotisme, Yael Landman les cultive. Dans les doublures de ses robes se dévoilent des mots, corps à corps intimes, que nul ne peut lire, si ce n’est celle qui les porte, celui qui les ôte. Cela faisait déjà un petit temps qu’elle rêvait d’enchâsser la littérature à la lingerie, mais l’exercice de style était quasi impossible, faute de place, faute de plat. Quand, au printemps dernier, elle s’est mise à dessiner une nouvelle collection, des robes qui ne renient rien de son passé de corsetière, elle a vu le parti à tirer de ces centimètres de tissu plane, propice à l’impression verso, au texte perso, surprise.

Playing Is Not a Game, c’est le titre annonciateur, et avec majuscules, de sa mini-ligne de cinq robes qui correspondent à son  » état d’esprit du moment « . Ne pas abandonner ce qu’elle fait si bien depuis presque dix ans, des dessous qu’on rêve de porter dessus, mais les habiller de velours rouge, de dentelle noire et de cuir ultrafin pour mieux les transformer en robes/soutien-gorge/porte-jarretelles incendiaires. Oser le  » très osé « . Se souvenir de Mireille Darc en Guy Laroche, de son interminable chute de reins soulignée bas, très bas, d’un décolleté émouvant. S’autoriser la couture, le sur-mesure et le jeu, avec une robe cotte de mailles en plus, juste pour le plaisir, quatre exemplaires au monde, numérotés, en argent platine. Si c’est lourd ?  » Oui, mais ce n’est pas grave.  » Yael Landman n’en fait jamais qu’à sa tête, depuis toujours.  » Un peu rebelle « , petite déjà, sauf qu’alors elle en souffrait –  » parce que je n’étais pas comme les autres, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être moi-même « .

De Tel-Aviv hier à Bruxelles aujourd’hui, elle a passé sa jeune vie à (se) chercher, traverser les frontières, déménager ailleurs pour finir par se trouver. Il y eut, ado, la tentation des maths puis une bifurcation vers la mode et des études à Esmod, Paris, où on lui prédit qu’elle ne serait jamais styliste. Seule Chantal Thomass, la  » marraine de la classe  » a cru en elle,  » pour moi, c’était énorme « . Un premier job à Londres chez Agent provocateur, ce qui se faisait alors de mieux en la matière puis, de Bruxelles, lancement de sa ligne de dessous sans tabou et à son nom pour l’été 2001. Aller-retour ensuite vers Paris et Anvers, où elle dessine la lingerie pour Sonia Rykiel et A.F. Vandevorst. Puis, en 2007, envol vers New York, où elle travaille pendant un an pour Kiki de Montparnasse – lingerie et luxe y font bon ménage, le pragmatisme américain en sus.  » J’étais un peu tête en l’air, bordélique, dit-elle. J’ai beaucoup appris, c’est la meilleure école que j’aie jamais faiteà Là-bas, on vous pousse à aller plus loin, mais de manière très positive. « 

Déménagement à nouveau, de Chelsea à Bruxelles, qui lui manquait tant,  » qu’est-ce que je suis bien ici « , soupire-t-elle. Et début d’une réflexion sur la lingerie-robe, avec traîne si possible. Sur son bureau, son chat Oscar ronronne, pelotonné sur un coupon de dentelle à 40 euros le mètre, lui aussi aime les belles matières. Et les femmes, comme sa maîtresse, qui n’ont pas froid aux yeux. Qui écoutent les chansons de Serge Gainsbourg et regardent les films de David Lynch, en boucle. Qui se souviennent qu’à 23 ans elles fonçaient  » sans réfléchir « . Qui veulent  » des femmes avec des rondeurs, et des imperfections – sur mes photos, elles sont belles, mais réelles, pas des mirages « . Et qui s’en fichent royalement d’être erotically correct.

Anne-Françoise Moyson

Carnet d’adresses en page 78.

Je ne peux m’empêcher d’être moi-même.

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