Etre une femme et faire figure d’autorité dans le domaine du vin, voilà qui a de quoi surprendre. Née à Chiraz, en Iran, Sepideh Sedaghatnia tient de son environnement familial son amour pour le jus de la treille. L’Iranienne a été sacrée Sommelier de l’année 2014 par le guide Gault&Millau.

Il est rare de rencontrer une personne qui dégage autant d’énergie que Sepideh Sedaghatnia, surtout quand elle parle de sa passion. La sommelière du très sélect ‘t Zilte, à Anvers, vit pour le vin.  » En Iran, on ne peut pas en acheter dans le commerce, mais les gens en produisent pour leur propre consommation. C’était le cas de mon père et de mon oncle. A Ispahan, où j’ai grandi, j’aidais à égrapper et à fouler le raisin aux pieds. J’ai ensuite pu y goûter. C’est à ce moment-là qu’est né en moi l’amour du divin breuvage, qui occupe une place éminente dans la culture persane. Le poète Hafez, qui vivait à Chiraz au XIVe siècle, fait souvent allusion au plaisir procuré par sa dégustation, qui vous transporte dans un autre monde.  »

A l’école secondaire, Sepideh choisit une orientation scientifique.  » Mes parents voulaient que j’aille à l’université pour devenir ingénieur. L’Iran est une société axée sur les performances, avec une population jeune. Pour se positionner sur le marché du travail, on a intérêt à être bardé de diplômes. Et cela vaut aussi pour les filles. Pendant l’été, j’aimais fréquenter l’académie des arts. Je me serais bien orientée dans cette voie, mais ma famille ne me l’a pas permis. Au début, j’étudiais la physique et la chimie un peu contre mon gré, mais avec le temps, j’ai pris plaisir à travailler en labo. Et mes rudiments de chimie m’ont ensuite été utiles à l’université du vin de Suze-la-Rousse, en France.  »

A l’âge de 17 ans, vous émigrez en Belgique. Comment votre passion pour le vin s’est-elle épanouie chez nous ?

Originaire d’un pays chaud, dans tous les sens du terme, j’en découvrais un autre dont j’ignorais la langue, où je ne connaissais personne et où les gens sont plutôt réservés. Pendant les vacances, j’ai pu travailler dans un hôtel à Lichtaart et m’y faire des amis. L’énergie, le dynamisme et l’hospitalité du secteur de l’horeca m’ont plu. Mes rapides progrès en néerlandais m’ont également été utiles. J’ai appris les règles de base du métier à l’école hôtelière de Geel. J’étais particulièrement intéressée par la connaissance des boissons : l’approche analytique du vin me convenait parfaitement.

Quelle sont la part d’inné et la part d’acquis dans la dégustation du vin ?

Tout le monde n’est pas aussi doué, mais je pense que n’importe qui peut apprécier le vin. En revanche, il faut être passionné, car je ne connais aucune boisson aussi complexe. Plus vous entraînez votre nez et vos papilles, plus vous pourrez distinguer de saveurs. Votre palette gustative évolue aussi. Il y a un monde de différences entre ce que j’aimais hier et aujourd’hui. Au début, mon choix se portait sur des crus de caractère, corsés et tanniques : un malbec, un chardonnay à la saveur beurrée prononcée… Je le constate aussi chez mes jeunes collègues : au premier abord, on penche pour le goût, et par la suite, pour le raffinement, l’élégance, le reflet de la nature dans le verre et l’équilibre.

Les femmes auraient-elles en général un meilleur  » nez  » que les hommes ?

Je suis convaincue que les femmes ont une palette gustative plus large. Nous sommes aussi plus conscientes des saveurs et des odeurs. Mon compagnon aime cuisiner, mais si je lui tends du thym et de l’origan, par exemple, il peut difficilement les distinguer. Au début de ma formation en dégustation de vin, j’allais parfois dans une parfumerie pour sentir les flacons et en identifier les ingrédients. Lors de ma dernière année de spécialisation, nous étions six filles et un garçon. Aujourd’hui, je suis la seule du groupe à travailler dans le métier. C’est dommage, car c’est une profession merveilleuse, bien que difficile : dans l’horeca, on est sur la brèche tôt le matin jusque tard le soir, un rythme difficilement conciliable avec une grossesse et la vie de famille.

Comment choisissez-vous les vins en accompagnement d’un nouveau menu pour le ‘t Zilte ?

C’est un travail d’équipe qui nous prend quand même une ou deux semaines. Notre cuisine est saisonnière. Tout part d’une idée du chef, Viki Geunes, en concertation avec sa femme, le sous-chef et moi-même. Nous nous mettons alors à peaufiner et à analyser ce plat, et je demande des échantillons à mes fournisseurs. Nous collaborons avec des professionnels pointus, spécialisés par exemple dans certains pays : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, etc. Ils cherchent en permanence des nouveautés. Je fais de même en me rendant aux grands salons du vin de Bordeaux, au ProWein à Düsseldorf et au Vinitaly à Vérone. Je reçois des vignerons et je visite des vignobles. Après avoir testé un certain nombre de vins en vue d’un plat déterminé, j’effectue ma sélection. Disons que sur une vingtaine de vins goûtés, j’en retiens trois. Je les soumets ensuite au chef et au sous-chef. Je peux raisonner en termes analytiques, mais ils connaissent, eux, la composition exacte de la préparation, dont la sensation en bouche – mousse, crumble… – est aussi importante. Dans la plupart des cas, nous arrivons à trouver les bonnes combinaisons. La passion, la qualité et l’innovation jouent un rôle déterminant dans ma vision et, pour moi, vin et mets doivent se renforcer mutuellement et donner lieu à une expérience gustative unique.

PAR LINDA ASSELBERGS / PHOTOS : FILIP VAN ROE

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