Depuis près de vingt ans, la griffe italienne bouscule les codes publicitaires. Sa nouvelle campagne ne fait pas exception. En format XXL, elle met en scène des hommes, des femmes qui font bouger l’Afrique. James Mollison a parcouru le Sénégal pour les trouver. Décryptage de ses images à haute valeur morale ajoutée.

Il n’y a pas si longtemps, les  » campagnes institutionnelles  » étaient réservées aux conseils de prévention routière de  » monsieur sécurité  » ou aux appels à l’aide souvent désespérés des ONG. Les marques, elles, se contentant de communiquer sur leurs core business à grand renfort d’images lé- chées et de people glam chic. Ces campagnes n’ont pas disparu. Mais elles se doublent dé- sormais de messages citoyens, de discours étudiés sur les valeurs du groupe financier qui se cache derrière une griffe de mode. Tan- dis que Louis Vuitton s’engage en faveur du Climate Project d’Al Gore, Tag Heuer soutient l’association humanitaire Save The Children. Quant au label Benetton, pionnier incontesté de la communication alternative, il vient de lancer, ce 15 février à Dakar, son nouveau programme d’affichage doublé d’un vaste plan média.

Sous le slogan  » Africa Works « , la campagne a pour mission de faire connaître Birima, la société de crédit coopératif fondée par le chanteur sénégalais Youssou N’Dour. En mettant en scène des hommes et des femmes au travail, pétris d’optimisme et d’envie de faire bouger les choses dans leur pays. Oubliées les images coups de poing d’Oliviero Toscani – le malade mourant du sida, le curé et la none qui s’embrassent, le tee-shirt ensanglanté d’un soldat bosniaque… Choquer pour surprendre, interpeller, conscientiser : l’exercice est d’ailleurs de plus en plus difficile à réussir. Le bizarre d’hier paraît banal aujourd’hui. Du porno chic à la Tom Ford pour Gucci à la jeune femme anorexique déshabillée par Oliviero Toscani, encore lui, pour Nolita, la pub nous a déjà tout montré.

Un Africain engagé pour l’Afrique

 » Quand Benetton a commencé ses campagnes institutionnelles, la presse ne parlait pas de leur contenu. Elle parlait plus du procédé, du caractère plus ou moins choquant des images montrées, rappelle James Mollison, jeune photographe britannique qui signe ici sa troisième campagne de communication pour le géant italien. La question était la suivante : une entreprise comme Benetton a-t-elle le droit, le devoir de parler de cela ? Si oui, de quelle manière. Ce débat-là me semble dépassé. « 

Les pubs  » pour la bonne cause  » s’étant multipliées dans le paysage médiatique, leur légitimité n’est désormais plus contestée.  » Le fait que Benetton ait une longue expérience de ces campagnes lui confère aussi une plus grande crédibilité, poursuit Valentina Zoppas, chargée des relations publiques pour le groupe. Nous n’avons pas fait cela une fois ou deux pour nous faire remarquer. Les gens veulent être certains de l’engagement réel de la société qui communique, ils ont besoin de plus de profondeur, d’un vrai discours derrière les images.

Le message tourne le dos à la controverse. Au contraire, il se doit plutôt de provoquer l’empathie.  » J’aime l’idée que ce projet soit initié par Youssou N’Dour, renchérit James Mollison. Pas une célébrité qui se pose là pour quelques jours et repart chez elle ensuite. Mais un Africain qui parle d’une Afrique qui se prend en charge. Au Sénégal, Youssou est une icône vivante ! On ne peut pas faire deux pas dans la rue sans entendre sa musique. Il vit toujours là-bas et a gardé en lui l’envie de partager avec son pays d’origine une partie de ce qu’il a reçu. Il ne s’agissait pas de le mettre en scène comme consommateur de produits Benetton. Ni de le montrer entouré de petits gamins qui meurent de faim. Nous voulions vraiment bousculer les clichés qui viennent trop vite à l’esprit quand on pense à l’Afrique : guerre, misère, malheur. « 

Photographiés par James Mollison avec leurs outils de travail, les citoyens lambda – un pêcheur, un peintre en bâtiment, un bijoutier, deux vendeuses d’étoffes… – deviennent les symboles vivants d’un continent qui avance la tête haute.  » Il faut que tout le monde prenne conscience de la valeur du microcrédit, insiste Youssou N’Dour. L’Afrique ne demande pas la charité, mais des fonds remboursables pour développer une idée, réaliser un projet. « 

Pour trouver ces entrepreneurs, James Mollison et son équipe – une assistante photo, un graphiste – ont loué un camion de déménagement pour sillonner tout le pays. Au total : près de 2 000 kilomètres de pistes parcourus à travers le Sénégal, 100 visages apprivoisés par l’appareil, autant de rencontres qui de prime abord n’allaient pas toujours de soi.  » Ce n’est pas facile d’expliquer aux gens ce que vous comptez faire de leur image, reconnaît le photographe, si vous ne parlez pas la langue et que vous avez en face de vous des hommes et des femmes qui ne comprennent pas ce qu’est une campagne de pub comme celle-là. J’avais avec moi un Polaroid, ce qui m’a beaucoup aidé car ils pouvaient voir et garder une photo. Nous avons aussi décidé de les payer, ce qui est normal finalement puisque c’est une société commerciale qui est derrière une campagne.  » Juste aussi, tout simplement, lorsque l’on sait ce que certains labels sont prêts à débourser pour s’offrir un top ou une star comme égérie…

Une campagne garantie sans stylisme

 » Bien sûr, on peut aussi se poser la question : est-ce moral de mettre ainsi en scène des personnes défavorisées dans une publicité, objecte lui-même James Mollison. Ne valait-il pas mieux donner l’argent de la campagne à des projets humanitaires ? Quoi qu’il en soit, des sociétés comme Benetton ont un budget pub et feront toujours des campagnes. Dans ce cas, autant qu’elles servent à créer une prise de conscience sur ce qui se passe en Afrique. Birima, l’association de Youssou N’Dour, ne pourrait jamais s’offrir une telle visibilité médiatique. « 

Car le battage ne s’arrêtera pas aux affiches : pour asseoir l’effet people, un grand concert aura lieu, à Paris, le 5 avril prochain, doublé de la sortie d’un single, reprise du titre Birima, avec en guest stars Patti Smith et Simphiwe Dana, Irene Grandi et Francesco Renga. Mais aussi un dessin animé réalisé tout spécialement pour la communauté sénégalaise expliquant les enjeux du microcrédit, des brochures et un site Internet, conçus par Fabrica, le centre de recherche en communication de Benetton. Sans oublier les tee-shirts vendus dans les boutiques de la marque et dont le design est directement inspiré des héros de cette campagne garantie sans stylisme ajouté.

 » Nous restions très peu de temps au même endroit, rappelle James Mollison. Nous cherchions des métiers qui parlent d’eux-mêmes, il nous fallait des outils, des accessoires. En ce sens, on peut parler de casting car nous recherchions des modèles qui correspondaient à ce profil, on les choisissait pour leur style naturel. Les deux femmes qui se promenaient au marché avec leurs tissus sur la tête, elles étaient dans la vie comme sur les images. Il n’y a pas eu de montage. Car lorsque nous avions trouvé nos candidats, pas question qu’ils aillent se changer ou chercher quoi que ce soit chez eux. C’était des hommes et des femmes au travail. On ne voulait surtout pas qu’ils aient l’air endimanchés. « 

Ensuite, devant la grande toile blanche déroulée sur la place du village ou dans le camion de déménagement transformé en studio photo, ils ont pris la pose. Instants figés de la vraie vie. Celles des gens ordinaires qui, nous le promettent les gourous de la com, seront les stars des campagnes phares de demain.

Internet : www.birima.org

Isabelle Willot

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