La plasticienne au nom rustique, militante écolo inspirée par le Japon, vient de signer l’habillage d’un parfum éphémère pour Issey Miyake. Une première pour cette fille de la montagne qui a grandi avec un Opinel dans la poche.

C’est un lutin en bonnet jaune et chaussettes assorties qui nous accueille en toute simplicité.  » On avait dit qu’on se tutoyait, non ? Je suis à toi dans 5 minutes.  » Le temps pour Mademoiselle Maurice de descendre de son escabeau et de s’extraire de la vitrine du magasin Issey Miyake, rue Royale à Paris. C’est ici, à deux pas des Tuileries, qu’elle a pris brièvement ses quartiers d’hiver, invitée par la marque de mode et de beauté. Ses compositions à base de papiers pliés et colorés ornent désormais les boutiques amirales du roi du tissu plissé dans la Ville lumière, mais aussi à Londres, Tokyo et New York, ainsi que les flacons de parfum City Blossom, une récente édition limitée de L’Eau d’Issey, qu’elle a customisée.

C’est la première fois que la Française conquiert l’univers du luxe. Plus habituée à investir les galeries d’art et les murs sans grade des métropoles, cette fille un peu sauvage, qui a grandi à la montagne avec, dixit,  » un Opinel dans la poche « , ne change pas pour autant de méthode. Elle débarque avec ses sacs en kraft remplis de petites  » cocottes  » multicolores qu’elle assemble et juxtapose, une à une, à la verticale.  » Je fais des croquis en amont pour avoir une vague idée de ce que je vais faire, mais une fois que je commence, j’avance au feeling. Je pose un élément puis l’autre et les choses s’enchaînent de manière imprévue.  »

La plasticienne de 31 ans, architecte d’intérieur de formation, a toujours été attirée par la rue et l’utilisation de matériaux recyclables. Avec elle, pas d’aérosol ni de colle à carrelages comme chez Banksy ou Invader. Dès ses débuts, la street artist compose avec des bouts de laine et des morceaux de rubans. Tout en délicatesse. L’idée de réinterpréter l’art de l’origami n’a pourtant rien d’une révélation feutrée. Elle lui vient du tremblement de terre qui a fait vaciller le Japon le 11 mars 2011.  » A l’époque, je vivais à Tokyo. J’étais au 32e étage d’une tour quand a eu lieu le séisme. Mais le plus traumatisant, cela a été la suite, l’accident de la centrale atomique de Fukushima. Ma peur du nucléaire n’a pas cessé d’enfler, même après mon retour en France. J’ai voulu parler de ça. J’ai tracé sur un mur de la ville un grand « NON », entouré de centaines de papiers blancs. C’était la première fois que j’utilisais le pliage de cette manière.  »

Mais après coup, elle revoit sa copie, doutant de la subtilité de son message politique.  » C’était trop frontal, trop négatif. Et la monochromie avait un côté déprimant ! Alors j’ai atténué le propos et introduit la couleur. J’avais envie de susciter une émotion plus positive. Je crois qu’on peut faire passer beaucoup de choses par la douceur.  » Depuis, Mademoiselle Maurice – Marie de son vrai prénom – décline ses fragmentations spectrales et biodégradables à Montréal, Malmö, Hong Kong, Athènes ou, il y a peu, San Francisco, la green city branchée qui se promet de produire zéro déchet d’ici à 2020, et qu’elle a adorée. Mais à force de lui répéter que ses interventions diaphanes sont  » kawaï  » – mignon en japonais -, cette militante verte, qui reverse une partie de ses gains à des associations environnementales, craint parfois d’être taxée de naïve.  » C’est peut-être pour ça que, dans mes dernières créations, j’ai eu envie de rajouter des mots tels que fuck ou bullshit « , dit en riant la jeune trentenaire qui se cache derrière son double masculin. Cet avatar, ce patronyme rustique, elle ne l’a pas choisi par hasard.  » Ça me rappelle ma campagne et mon côté garçon manqué. J’ai passé mon enfance à grimper dans les arbres. Quand je retourne en Haute-Savoie, chez mes parents, j’adore aller boire un « canon » de rouge avec les hommes du village et parler comme un charretier. C’est certain, je me sens plus Maurice que Mademoiselle.  » C’est noté, Marie.

PAR ANTOINE MORENO

 » On peut faire passer beaucoup de choses par la douceur. « 

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