Les Bisazza ont réussi à métamorphoser une prospère société de carrelages en une marque du luxe. Ceci grâce aux premiers succès de Renato Bisazza, puis au flair et à l’audace de ses enfants qui ont pressenti qu’un petit cm2 de verre allait leur ouvrir les portes du design et du monde de l’art… Visite dans leur fief italien d’Alte.

De prime abord, la visite du siège de Bisazza est à déconseiller aux personnes susceptibles d’être victimes du syndrome de Stendhal, cette affection qui fait défaillir face à quelque chose de trop beau ou de trop chargé culturellement. Pourtant, Alte, près de Vicence, où se trouvent le siège, les usines et le showroom Bisazza, n’est pas Florence. Nous sommes ici au c£ur d’une zone industrielle assez terne. Notre ordre de mission est simple : découvrir comment Vetricolor, une société de carrelages fondée en 1956, est devenue, à partir des années 2000, un empire du luxe doré sur tranche. Très facile chez nous de ne pas céder au glamour des publicités Bisazza… à Alte, le charme liquéfie le visiteur. Même les arbres semblent plantés avec esprit.

Pour rester objectif, il va falloir résister aux sirènes de cette bombe atomique du luxe. Sa particule élémentaire, c’est la tesselle, un petit cm2 de verre taillé. Bisazza produit aussi de l’aventurine, une pierre de synthèse semi-précieuse qui existe depuis le xviie siècle. Mais c’est surtout grâce à la tesselle d’or – jaune ou blanc 24 carats – que la maison subjugue. Sur les murs de la société, un milliard de ces petites tesselles colorent les murs, le sol et parfois même le mobilier de la collection Bisazza Home ou même cette Mini Cooper commandée par BMW. Le regard change. Vous détestez les imprimés fleuris old fashion ? Attendez de voir la façade du showroom littéralement possédée par Springrose Nero, une mosaïque de roses géantes. Ce décor signé Carlo dal Bianco séduirait même un taggeur. Il faut dire qu’en Italie la mosaïque fait partie de la vie depuis l’Antiquité. Une kyrielle de décors se succèdent dans le catalogue Bisazza, déclinés en collections annuelles. Le client pourra se les approprier comme s’il choisissait du tissu.

Le sur-mesure, une valeur sûre

Une fois dans la place, les visiteurs qui font usage des toilettes évoluent dans un décor couleur fraise pour les filles ou chocolat et argent pour les garçons. Les lavabos à l’étage sont à visiter pour leurs deux miroirs sphériques au pourtour d’or blanc. Même pas kitsch. A 4 188 euros l’unité, ce serait dommage ! Chez Bisazza, on n’insiste pas sur les prix – pas par pudibonderie, mais parce qu’en matière de surface à couvrir, il s’agit forcément de sur-mesure. Pourquoi décourager quand découvrir est accessible à tous ? Pour de la mosaïque à pâte de verre, on peut rêver à partir d’environ 500 euros le m2, pose comprise. Les livraisons se font par module de 36 feuilles, recouvrant exactement 3,73 m2.

Au showroom, ce message de qualité et de créativité transpire. Tout le monde ici évolue dans ce luxe avec un naturel qui laisse penser qu’il est vivable. En 1956, Renato Bisazza fonde Vetricolor, du nom de son premier produit de série, la tesselle de verre qui, grâce à lui, entre dans l’ère du semi-industriel. Le corps central des bâtiments originaux est toujours là, rénové depuis 2003 par Carlo dal Bianco, l’un des créateurs de décors attitrés de Bisazza. Peu de showrooms, même en Italie, abritent des créations aussi extraordinaires que le célèbre fauteuil Proust d’Alessandro Mendini, ici reproduit en mosaïque format XXL. Cecilia Calgaro, l’attachée de presse en Italie, nous entraîne visiter la passionnante  » matériauthèque  » composée de toutes les collections de la firme. On y découvre en avant-première les motifs au graphisme acéré du duo néerlandais Studio Job.

Notre deuxième sherpa, Luisa Mariani Raschi, responsable Formation et Qualité chez Bisazza, est la mémoire de la maison. Luisa est incollable sur le Bisazza des sixties. Elle raconte la saga sans faire de pathos, avec ses fours électriques remplaçant le gaz pour augmenter la production. Bisazza est aujourd’hui le plus gros producteur de mosaïque dans le domaine du design et de la décoration. Dans les seventies, la marque est alors réputée dans le monde entier pour son savoir-faire en matière de façades carrelés de bâtiments. Des dômes de mosquées brillent encore aujourd’hui en Malaisie sous la lumière des tesselles de Bisazza parées d’or et d’écritures coraniques.

Début des années 1980, des logiciels sont utilisés pour faire au départ d’une image une mosaïque en traitant les pixels comme autant de tesselles. La machine donne aussi le plan de pose. Ainsi, le portrait géant d’une statue de Bonaparte est livré aujourd’hui en plaques de mosaïque prêtes à poser. Autre choc esthétique, ces fonds de piscine semés d’éclats dorés ou ce kilim en mosaïque posé sur une terrasse. En 1992, Piero Bisazza, le fils, investit avec succès le marché américain en démarrant par la Floride. En 2000, il reprend le flambeau paternel avec sa s£ur Rossella. Depuis la création de leur showroom star à New York en 2003, ils ont multiplié ces lieux extraordinaires dans les grandes capitales européennes et des filiales se sont développées jusqu’en Australie et en Inde.

A l’usine, on voit des femmes disséminer à la main des tesselles d’or sur des plaques de mosaïque de couleur posées sur papier. Absorbées par la tâche, elles ne répondront pas à notre curiosité, comme déconnectées de la renommée hors des frontières de la maison dont elles sont les chevilles ouvrières. Rossella Bisazza nous dira plus tard qu’elle évite de montrer la fabrication des tesselles d’or pour préserver le secret – du fait main, en soufflant du verre très fin sur de l’or.

Designers et artistes de premier plan

Autre choc, sur le mur, la version mosaïque en grand format du beau portrait au nez de clown du designer néerlandais Marcel Wanders qui scintille et nous laisse pantois. Pour en savoir plus sur cette entreprise qui met l’accent sur la créativité, rendez-vous est pris avec Rossella Bisazza au showroom parisien. Tenue friday wear revue par Chanel, parlant un élégant français mâtiné d’italien, Rosella s’exprime librement. On apprend que la communication interne est parfois plus difficile que l’externe et qu’au salon de Milan, il n’y a pas que les futurs objets cultes du xxie siècle. Rossella est l’interlocutrice des designers, des architectes et des artistes de premier plan travaillant avec Bisazza. Avec son frère Piero, ils choisissent ensemble les heureux élus. Ils travaillent sans directeur artistique. Il y en a eu : le grand architecte Alessandro Mendini au début des années 1980 puis l’extravagant designer italien Fabio Novembre, de 2000 à 2003. Mais les Bisazza ont préféré les remplacer par un cabinet de style, le Bisazza Design Studio. Ils sollicitent désormais des collaborations diverses pour faire évoluer la marque dans plusieurs directions. L’identité Bisazza a besoin de cette énergie pour, insiste Rossella,  » repousser les limites de l’utilisation de la mosaïque avec des idées folles mais intéressantes « .

Pour Bisazza, les années 1980 constituent une période de mutation. Alessandro Mendini leur ouvre les portes du monde du design en mettant au point de nouvelles gammes. Tesselles de choc, performances informatiques, fabrication manuelle préservée, commandes d’£uvres d’artistes par la Fondation Bisazza qui soutient la mosaïque dans l’art : tout cela fait de la firme l’égale de grands noms du luxe et du rêve.  » Ce n’était pas évident, ce n’était que du carrelage « , défend Rossella qui assume l’ensemble du chemin parcouru. Son frère parle même de  » business primaire de la mosaïque pour revêtements « . Les Bisazza veulent autre chose, mais avec un soin infini.  » Nous sommes des outsiders, prétend Rossella, différents des éditeurs de mobilier par exemple.  » Depuis l’arrivée aux commandes de Piero en 2000, le message des possibilités infinies de la mosaïque dans toutes les pièces de la maison est passé. Volontairement, joyeusement, les Bisazza ont su mettre du rêve dans la mosaïque.

Guy-Claude Agboton

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