Ce maître luthier touche-à-tout a trouvé sa voie à la croisée des chemins, en ressuscitant la cigar box guitare, cordophone primitif dont la caisse est un coffret à cigares.

Triste mois de mai. Un vieux poste de radio pleure la mort de B.B. King, le soir est tombé trop tôt, comme la pluie qui n’en finit pas. Un coup d’oeil au mur suffit pourtant à réchauffer l’atmosphère. Cohiba, Partagas, Padron, les boîtes de  » puros  » évoquent des latitudes aussi chaudes que les sons qui y résonnent. Il n’en reste qu’une poignée. Les autres ont été vendues, dont la première, à un roadie du légendaire David Crosby après seulement deux jours dans la vitrine bruxelloise d’Azzato. C’est là qu’officie Rafael Van Mulders, maître luthier et ambassadeur énamouré de la cigar box.

Son C.V. musical en impose. Dès 6 ans, il étudie le piano et le cor d’harmonie, puis se met à la batterie, pour parfaire son sens du rythme et parce que ça frime autrement qu’un cuivre quand on est ado. Suite à un accident de moto avant ses examens finaux, il plaque tout. Ou plutôt, il entame une seconde vie. Biberonné aux bios de rock stars, ce vieux pirate de Keith Richards en tête, il consomme sa rupture académique et commence la guitare en autodidacte. Outre la gratte, il s’essaye à l’harmonica, au sitar, à la flûte irlandaise ou au saz turc. A 18 ans, il s’inscrit en philo, mais renonce après un mois, avant de se rendre à l’évidence, grâce à un pote qui lui souffle l’idée : et pourquoi pas la lutherie ?

Au terme d’une longue formation, il rejoint donc la prestigieuse maison Azzato. Mais alors qu’il a fabriqué des violons et vu des milliers de guitares défiler dans ses mains, Rafael éprouve le besoin de revenir aux fondamentaux. Il creuse les racines du blues et développe une irrépressible attirance pour les instruments rudimentaires. La curieuse Gretsch rectangulaire de Bo Diddley l’amène à découvrir les cigar box guitars.  » A partir de là, tout a résonné dans ma tête. J’avais trouvé une forme d’expression à la fois simple et pure. Chaque CBG est unique, avec sa propre voix, sa signature.  » S’il considère son art comme un hommage aux illustres bluesmans qui s’y employèrent avec trois bouts de ficelle, sa production est à des années-lumière de leurs antiques bricolages. Le gars connaît ses gammes et préfère la précision de son coup de main à celle des machines.  » Il restera parfois des imperfections, mais c’est le meilleur de moi-même. Et si le résultat est nickel, je ne le dois à personne d’autre. J’ai besoin de concret, alors que toute la société high-tech prône la dématérialisation. Je pense qu’en oubliant le toucher et le travail de la matière, on loupe un truc essentiel.  » Par amour du son, Raf privilégie l’émotion à la virtuosité, et tant pis si l’application d’un savoir-faire traditionnel à un objet intrinsèquement roots fait tiquer les puristes.  » Je ne suis pas un luthier sauvage, mais un luthier « chez » les sauvages « , dit-il en référence au sorcier sonore Max Vandervorst.

Très vite, ses créations suscitent de l’intérêt chez nous – notamment de la part de Kris Dane (dEUS, Ghinzu), Thomas de Hemptinne (Great Mountain Fire), ou Sylvain Vanholme (Wallace Collection) -, mais aussi à l’étranger, au point d’intégrer le prochain ouvrage du photographe Maxime Ruiz, une consécration. Pourtant, certains clients peinent à réaliser qu’après avoir déduit TVA, marge du revendeur, prix du matos et impôts, il monnaye son expertise pour quelques euros.  » J’y laisse bien plus que mon sang et ma sueur « , avoue-t-il. Artisan et artiste versatile,  » qui règle mieux les instruments des autres que les siens « , rebelle timide et freestyler classique, Rafael Van Mulders se considère comme  » carrefour d’influences et de sonorités « . Une expression qui rappelle forcément l’un des grands mythes du blues, les crossroads, l’endroit hors du temps où le bluesman Robert Johnson céda son âme au diable. Raf aura trouvé sa voie sans pacte faustien, même s’il laisse un peu d’âme dans chacune des pièces qu’il vend.

www.jug-instruments.be

PAR MATHIEU NGUYEN

 » En oubliant le toucher et le travail de la matière, on loupe un truc essentiel. « 

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