Reine de la Polynésie française, Bora Bora est une grande séductrice. Personne ne résiste à l’attrait de ce merveilleux jardin d’Eden.

Bleu profond des mers du Sud, turquoise acide des lagons et camaïeus de verts tropicaux. Bora Bora, l’une des perles du Pacifique Sud, est une grande séductrice. Floraisons d’hibiscus, bougainvillées, frangipaniers, gardénias, mais aussi palmiers, manguiers, arbres à pain, pandanus perpétuent ici le mythe du jardin d’Eden. Le xviiie siècle avait déjà célébré les îles d’Océanie, Nouvelle Cythère dédiée à l’instar de la Cythère grecque, au culte de Vénus, l’Aphrodite des latins. Nombreux sont les étrangers venus traquer Vénus en Polynésie à Bora (38 km2) devenue Comptoir français le 19 mars 1888 avant d’être intégré dans les Territoires français d’outre-mer en 1957. A commencer par le capitaine Cook, dont l' » Endeavour « , un navire charbonnier à fond plat, jeta l’ancre à Tahiti et à Bora à 260 km de là, en 1769. Venu à la mer par génie et par hasard, Cook comptait bien y observer Vénus, mais éclipsée, condition nécessaire pour calculer la distance de la terre au soleil. Le vaillant capitaine succomba au charme des îles. Les Tahitiens le déifièrent en le faisant roi de Matavaï.

On ne saura jamais pourquoi le grand aventurier baptisa l’île Pora Pora (le  » b  » n’existe pas en tahitien) alors qu’elle s’appelait Vavau (puanteur !) ou Fanui, du nom de sa plus grande baie. Sa topographie est des plus simples : un volcan vieux de trois millions d’années, encerclé d’un lagon aux cent nuances de verts et de bleus, lui-même bordé par un récif corallien qui s’ouvre par une seule passe, celle de Teavanui, en face de Vaitapé. Ce chef-lieu, blotti au pied du mont Pahia (619 m), compte cinq boutiques, la mairie, un monument dédié à Alain Gerbault (qui a arrêté ici, dans les années 1930, sa longue traversée des océans), un temple et… une gendarmerie hérissée d’antennes. Sans oublier le centre artisanal encombré de souvenirs : colliers de coquillages, jupes de  » more « , plats de bois, pièces de  » tapa « …  » Jusqu’en 1935 la place de Vaitapé comptait des flamboyants tricentenaires avec des bancs de pierre et deux tombes de marins, raconte le vieux Teahio chargé de poissons en chapelet et de son harpon qu’il manie avec une adresse héréditaire. Gerbault les a fait arracher pour réaliser un terrain de football.  » Tout le monde, sauf Teahio, a certes oublié aujourd’hui cette histoire, car le Polynésien vit toujours le moment présent. Quand il mange, c’est avec entrain, quand il boit, c’est jusqu’à la dernière goutte, quand il gratte sa guitare, les cordes lui claquent dans les mains et quand il danse, il ne peut plus s’arrêter. Pêcher, construire une maison, repeindre sa pirogue à balancier ou conduire son scooter pétaradant l’amuse. Ici, le travail n’est pas banni, il est simplement considéré comme une façon bizarre de passer le temps. C’est ce que pense aussi Taotu, un colosse qui a transformé les ruines de l’ex-hôtel Hyatt sur le lagon en faré (petite construction sur pilotis) lacustre flanqué d’un drapeau indépendantiste. On le dit un peu fou ! N’a-t-il pas descendu avec son bulldozer un des canons de vingt tonnes oubliés par l’armée américaine après la Seconde Guerre mondiale sur les hauteurs de l’île, rappelant ainsi que Bora, alors forte de 1 000 habitants, fut occupée par quatre mille soldats américains pendant la guerre du Pacifique.

Mais Bora c’est aussi de plus en plus le tourisme de luxe. Les hôtels s’y pressent. Respectueux de la tradition, ils ont construit des bungalows aux toits en pandanus ou en niau (palmes de cocotier) ou ont colonisé le lagon avec des grappes de  » faré  » sur pilotis. Huit cents dollars la nuit, c’est le prix à payer, par exemple, pour séjourner au Bora Bora Nui Resort & Spa ouvert en septembre 2002. Ce soir-là, une troupe de danseurs donne un spectacle  » folklorique  » aux clients de l’hôtel. Entraînés dans un tamouré endiablé, les  » popa’a  » (les Blancs) sont aux anges.  » Le tourisme, c’est notre seule chance. A part la perliculture en lagon et quelques familles qui s’obstinent à casser du coprah… « , explique, catégorique, Evan Temarii, brûlé par le soleil, tout en pilotant une de ses six pirogues à balancier. Evan emploie huit salariés pour une activité qu’il a créée : l’éducation de requins et de raies sur le lagon turquoise de Bora Bora. Pour le plus grand plaisir de ses clients, venus assister à leur repas… Les plus hardis pourront caresser les raies, voire les embrasser en poussant des cris d’effroi… Les bataillons de touristes débarqués des pirogues pourront aussi s’adonner aux joies du pique-nique sur le motu Tapu, îlot corallien jadis fief sacré réservé à la famille royale, demeuré intact depuis le xviiie siècle. C’est ici qu’en 1930 le cinéaste Alfred Murnau réalisait son chef-d’£uvre  » Tabou « , un film muet exceptionnel, figeant sur celluloïd les plus belles pages de l’histoire de l’île… Rappelant aussi que ce coin du Pacifique a connu, au fil du temps, l’un des métissages humains les plus riches de la planète.

Gaston Tong San est issu du milieu commerçant, longtemps tenu par les Chinois. Doué pour les études, il est revenu dans son île avec un diplôme d’ingénieur des Travaux publics. Aujourd’hui ministre de l’Equipement et maire de Bora, il a pour préoccupation essentielle l’eau. Car, ici, tant le captage que le passage des canalisations posent problème.  » L’imbroglio foncier nous oblige à des acrobaties. Ici, on paie l’eau ! A Bora, nous avons pris le virage touristique. Nous le voulons haut de gamme, car c’est lui qui procure le plus d’emplois directs. Pour une perturbation minimale de notre environnement… !  » Qui reprochera à Bora de vouloir préserver son exceptionnelle richesse, tel un tableau de maître !

Texte : Gabrielle Lanceleur

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