Avec érudition et drôlerie, Juliette Nothomb nous livre chaque semaine ses recettes, tours de main et réflexions culinaires. Tout un art, brodé à petits points avec un humour bien de famille…

UN SAINT PAS ASSEZ HONORÉ

Avec la suffisance qui me caractérise, je n’ai pas l’habitude de faire mon mea culpa, surtout devant mes honorables lecteurs face auxquels je m’efforce de sauver les meubles de ma réputation. Pourtant, il me faut aujourd’hui vous confesser que, bien malgré moi je vous l’accorde, ma piété n’a pas toujours été exemplaire. Durant mon enfance, une fois stoïquement avalé le dîner obligatoire, je me complaisais en délicieux espoirs à la perspective du dessert qui allait récompenser mon martyre vespéral. Crème, glace, crêpes ou tarte allaient certainement succéder aux tristes aliments qu’on m’avait fait ingurgiter à coups de pilon comme on l’eût fait à un oison pas consentant.  » Qu’est-ce qu’y a pour dessert ?  » serinais-je avec un optimisme tout enfantin.  » Un saint-honoré « , m’entendais-je répondre 7 jours sur 8. Traduction : yaourt… Dans cette famille où seules ma s£ur et moi étions des suikerbeks, ce dessert modeste et frugal semblait aller de soi. Imaginez alors les rêves délirants qui, pendant des années, firent saliver comme les chutes du Niagara les fillettes glycomanes. Du saint-honoré, on n’avait jamais vu ça. Mais, pour qu’on nous le cite comme Référence Universelle, il devait s’agir du gâteau le plus mirifique sur Terre – le mystère étant aiguillonné par le fait que cette pâtisserie franco-française n’existait guère à l’époque qu’au pays de la baguette et du camembert.

Auréolé du jamais-vu, le somptueux péché de gourmandise revêtit pendant des années des aspects de Jardin d’Eden mâtiné de Verger des Hespérides. Je peux vous assurer que contrairement aux prophéties de tristes sires qui proclament que fantasme est toujours déçu par réalité, le jour où, mon enfance ayant mis les voiles depuis belle lurette, je pus enfin déguster cet affriolant dessert, je fus propulsée fissa au 7e Nirvana. Alors, je demande pardon à saint H. si à mon estomac défendant je ne lui ai pas fait mes dévotions durant mes tendres années. Négociant mon rachat par mon zèle gourmand teinté de prosélytisme tentateur, je vous conjure de vous adonner, comme moi, à sa dégustation, le 16 mai prochain, fête de saint Honoré, patron des boulangers. Je vous entends déjà pleurer de tendresse :  » Rhâââh, c’est-y qu’elle avait raison, la tante Juju, une fois de plus ! « .

P.S. : pensez tout de même à le commander, au risque de ne quitter la pâtisserie qu’avec un modeste éclair…

GOLIATH DES GÂTEAUX

Caractéristique qui ajoute à la gourmandise du saint-honoré : il est toujours volumineux, même en portion individuelle. Pâte feuilletée, couronne de pâte à choux surmontée de petits choux collés au caramel, avalanche de crème Chiboust (crème pâtissière collée à la gélatine et montée aux blancs d’£uf en neige) et parfois encanaillé de chantilly, ses nombreuses composantes en font une montagne de plaisir qui cachera le motif de votre assiette. Alors, mangez-le au goûter ou ne le faites pas précéder d’un cassoulet toulousain ou d’un stoemp-saucisses…

Bonne fille, malgré son usurpation à l’avènement de saint Honoré et son invasion quasi quotidienne de ma cuiller, je ne me suis jamais lassée du yaourt. Pourquoi ne pas réconcilier le sobre Bulgare et le saint décadent en un dessert gourmand tempéré d’une note acidulée bienvenue au milieu des volutes de crème et de caramel ? Cuisez un rond de pâte feuilletée toute prête, collez sur le pourtour des petits choux du pâtissier avec du caramel puis garnissez le centre d’une mousse réalisée avec 1/3 de yaourt entier égoutté dans une passoire, 1/3 de chantilly et 1/3 de blancs en neige, le tout sucré à votre goût. Dégustez fissa parce que cette garniture délicate ne  » tient  » pas longtemps. Alors, faites-vous violence (hum !).

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