Non, les vêtements abîmés et déchirés ne sont pas voués à être jetés à la poubelle. Selon leur état, 95 % d’entre eux peuvent être réutilisés, upcyclés ou recyclés. Une belle façon d’oeuvrer pour le bien de la planète. Illustration avec le projet Close the Loop, mis en place par H&M.

A chaque saison, c’est pareil. On n’a plus rien à se mettre. On a envie de renouveler son dressing. De lui injecter quelques pièces tendance. A force, les fringues s’entassent. Et lorsqu’un désir de grand nettoyage nous prend, on ne sait pas très bien quoi faire, entre donner ce qui est encore en bon état et jeter ce qui est abîmé, dépareillé, déchiré.

S’il n’y a pour l’instant aucunes statistiques en Belgique, les chiffres constatés en Suède donnent déjà une idée de l’ampleur de la problématique.  » Sur 15 kilos de vêtements consommés par personne et par an, 8 kilos sont inutilisés ou jetés, précise Cecilia Brannsten, chef de projet en développement durable chez H&M. Quatre kilos sont conservés, tandis que les 3 restants sont collectés. Il existe donc un grand volume d’habits qui peuvent être recyclés.  »

Montré du doigt par les activistes pro- environnement, qui critiquent la consommation à outrance prônée par son business model, le groupe H&M a décidé de prendre le problème à bras-le-corps, en s’intéressant de près à ces questions de durabilité. Depuis plusieurs années, il met en place des procédures de réduction, de réutilisation et de recyclage des déchets.  » Etre une grosse entreprise comme la nôtre a l’avantage de pouvoir dégager des ressources conséquentes, pour se donner les moyens de sa politique « , explique la Suédoise. Une volonté qui n’est pas de façade. Pour preuve, le groupe Corporate Knight a fait figurer la société dans son classement 2016 des 100 entreprises mondiales qui s’efforcent de concilier responsabilité sociétale et performance financière. Adidas apparaît à la 5e place, le groupe de fast fashion suédois à la 20e, Marks & Spencer Group à la 21e , le consortium de luxe Kering à la 43e place, et c’en est tout pour les labels de mode.

 » La raison principale de notre démarche est d’ordre environnemental, justifie Cecilia Brannsten. Il faut changer la manière dont nous envisageons la mode : réduire les ressources utilisées, limiter la quantité de déchets incinérés…  » Autre motif invoqué : la croissance attendue de la population, et plus particulièrement de la classe moyenne, à qui il va falloir fournir nourriture, eau, fuel et vêtements.  » Cela va générer une pression énorme sur ces denrées mises à notre disposition.  » Or, en ce qui concerne les matériaux utilisés dans l’industrie textile, le polyester est un dérivé du pétrole ; et le coton nécessite un apport en eau, en pesticides et en herbicides important, sans oublier d’immenses superficies de terrain, qui pourraient être allouées à d’autres besoins, comme la production de denrées alimentaires. Pas super pour la planète, donc.  » Il est dès lors primordial de faire évoluer notre mode de fonctionnement, plaide la chef de projet suédoise. Nous devons diminuer notre dépendance à ces matériaux et avons besoin de maximaliser nos ressources recyclées, et ce d’autant plus si nous voulons continuer à être une entreprise performante.  »

LE TRI À GRANDE ÉCHELLE

En marge de différentes initiatives – par exemple, l’ambition que tous ses fournisseurs paient le salaire minimum vital aux travailleurs pour 2018 ou que la totalité du coton provienne de sources durables, dès 2020 -, H&M a lancé son projet Close the Loop, en 2013. L’objectif ? Boucler la boucle, c’est-à-dire faire en sorte qu’un vieux vêtement retrouve une nouvelle vie, plutôt que d’être jeté. Concrètement, des bornes de collecte sont présentes non-stop dans toutes les boutiques de l’enseigne, afin que puissent y être déposées les fringues inutilisées. Aucune condition n’est imposée : toutes les marques sont acceptées ; les pièces orphelines ou abîmées également. En échange, un bon de réduction de 15 % est offert pour tout sac apporté.  » Si, au départ, les clients participaient à ce programme pour recevoir leur remise, il n’en est plus de même lorsqu’ils reviennent, constate Sylvie Van Acker, sustainability manager chez H&M Belgique. Désormais, ils veulent savoir ce que l’on fait de ces textiles. Il existe une connexion émotionnelle entre les consommateurs et leurs vêtements. Ils ont besoin que ce lien ne soit pas rompu…  »

A noter qu’une campagne spéciale sera lancée la semaine du 18 avril, pour sensibiliser davantage le public à la problématique. Associée à l’initiative, la chanteuse M.I.A. a réalisé une vidéo mettant en avant l’impact environnemental des habits finissant à la décharge. Objectif de cette World Recycle Week ? Recueillir mille tonnes de textiles usagés à travers le monde.

Une fois collectées, ces fripes sont acheminées vers l’un des centres de l’entreprise I :CO (pour I Collect), filiale du groupe Soex et spécialiste du tri et du recyclage, une sorte d’équivalent international de nos Petits Riens. A l’échelle européenne, c’est en Allemagne, près de Wolfen, au sud-ouest de Berlin, que tout se passe. Sur 89 000 m2, soit l’équivalent de 13 terrains de football, 700 personnes, réparties en trois shifts, s’affairent comme dans une ruche. Chaque jour, entre 35 et 40 camions apportent des sacs débordant d’habits, chaussures, linge de maison ou même d’immenses peluches. Soit un apport quotidien de 400 tonnes de textiles, répartis dans des sacs jaunes, qui cheminent via des rails, au plafond.

 » Chacune de ces pièces est identifiée manuellement, lors d’un tri préalable « , explique Paul Dietzsch-Doertenbach, responsable des ventes et du marketing d’I :CO, lors de la visite des infrastructures. Les chemises, classées avec les chemises ; les pantalons, les manteaux, etc. Ceux-ci sont lancés par les travailleurs dans de larges bacs, à grande vitesse, rentabilité oblige. Vient ensuite la seconde étape, où chaque textile est analysé et touché de près, rapidement, pour estimer sa qualité.  » Il s’agit de déterminer le meilleur usage qui pourra en être fait.  » S’il est encore portable, il sera vendu en seconde main. Sinon, ce sont ses caractéristiques propres qui décideront de son avenir. Les tissus absorbants seront transformés en chiffons, pour des sociétés de nettoyage. Les pièces 100 % coton ou laine seront mécaniquement recyclées, avec passage par six étapes, durant lesquelles les textiles seront progressivement étirés et effilochés, pour retrouver les fibres originelles. Comprimées, ces dernières pourront tout aussi bien servir pour l’isolation des bâtiments, dans l’industrie automobile, comme bâches de protection pour la peinture ou encore être mixées à d’autres fibres naturelles, plus solides, pour fabriquer de nouveaux vêtements – la première collection de denims recyclés d’H&M a par exemple été lancée en septembre dernier. A noter que même les Zips, boutons, etc. seront triés et utilisés ensuite par l’industrie métallurgique, tandis que la poussière et les dernières fripes, à la composition non identifiée, seront récupérées, en guise de combustible. En tout, ce sont pas moins de 250 critères de sélection qui peuvent être pris en compte, durant le parcours de ces vêtements en quête de nouvelle vie.

UN PARI POUR L’AVENIR

I :CO récupère la marchandise de 60 partenaires – dont le groupe H&M -, répartis sur tous les continents. Les boutiques belges de l’enseigne de fast fashion ont ainsi récolté 928 tonnes de textiles depuis 2013, avec une progression prometteuse chaque année. A titre de comparaison, on est loin des 3 850 tonnes de l’Allemagne ou des 2 200 tonnes de l’Espagne, mais bien au-dessus des 10 tonnes de l’Australie ou des 268 tonnes du Canada.  » Cela montre à quel point le changement des mentalités est une question culturelle, confie la responsable suédoise du projet. Depuis le lancement de Close the Loop, nous avons collecté plus de 24 000 tonnes de vêtements qui n’étaient plus portés, ce qui représente l’équivalent de 120 millions de tee-shirts.  »

L’argent généré par la vente de ces objets à I :CO permet non seulement à H&M de couvrir les frais logistiques de l’opération, mais également de verser 2 cents par kilo à une association, choisie par chaque pays participant.  » Pour la Belgique, il s’agit d’Unicef, à qui nous avons déjà pu donner un peu plus de 18 500 euros « , précise Sylvie Van Acker. Enfin, les fonds restants sont transmis à la Fondation H&M Conscious, qui mène des projets de recherche et d’innovation sur la manière de transformer les anciens textiles en nouvelles fibres.  » Les défis pour franchir les barrières technologiques actuelles sont encore énormes, poursuivent Cecilia Brannsten et Paul Dietzsch-Doertenbach. Il y a par exemple moyen d’améliorer le processus de tri, afin de déterminer plus facilement et de façon automatisée les composants de chaque vêtement. A terme, le recyclage devrait aussi pouvoir être appliqué à des produits fabriqués à partir d’un mix de matériaux différents, comme le coton et le polyester.  » De gros challenges en perspective, d’autant que toute découverte mise au jour en laboratoire doit pouvoir être traduite à un échelon industriel.  » Nous ne sommes qu’au début du voyage « , conclut la Suédoise, confiante et pleine d’espoir pour l’avenir.

PAR CATHERINE PLEECK

SUR 15 KILOS DE VÊTEMENTS CONSOMMÉS PAR PERSONNE ET PAR AN, 8 KILOS SONT INUTILISÉS OU JETÉS, 4 KILOS SONT CONSERVÉS, TANDIS QUE 3 KILOS SEULEMENT SONT COLLECTÉS POUR ÊTRE RECYCLÉS.

POUR UN JEANS, 1 500 LITRES D’EAU SONT NÉCESSAIRES… RIEN QUE POUR FAIRE POUSSER LE COTON.

CHAQUE JOUR, CE SONT ENTRE 35 ET 40 CAMIONS QUI APPORTENT DES SACS DÉBORDANT DE VÊTEMENTS, CHAUSSURES, ET LINGE DE MAISON. SOIT UN APPORT QUOTIDIEN DE 400 TONNES DE TEXTILES.

SUR LES MILLIERS DE TONNES DE TEXTILES JETÉS CHAQUE ANNÉE, 95 % POURRAIENT ÊTRE RÉUTILISÉS OU RECYCLÉS.

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