De fashion addict à design addict, il n’y a qu’un pas. C’est ce que démontre brillamment la capitale nipponne qui rassemble les global stores les plus fous et les plus audacieux de la planète. Le Vif Weekend a fait le voyage…

Si Tokyo est le royaume des otakus, ces fans de mangas ou de jeux vidéo, il convient d’ajouter une autre discipline hype dans laquelle la capitale nipponne excelle : la branding architecture. Depuis le début des années 2000, cette pratique consiste à convoquer les meilleurs architectes du monde dans le seul but de concevoir des bâtiments commerciaux d’une audace folle. Face à la débauche de moyens et de créativité, Londres, New York et même les Emirats arabes font figure de petits joueursà

Baobab high-tech

C’est naturellement à Ginza, le quartier chic dans le centre-est de Tokyo, que les premières pépites ont vu le jour. La maison Hermès, dessinée par l’Italien Renzo Piano, à qui l’on doit le siège du New York Times à New York ou le Centre Pompidou à Paris, s’élève sur 13 étages et s’étend sur 6 000 m2. Le Génois a conçu un bâtiment intégralement vitré, composé de 13 000 briques de verre sans l’ombre apparente d’une poutre ou de la moindre structure porteuse. A la tombée du jour, l’enveloppe rétro-éclairée prend l’apparence d’une lanterne japonaise…

Si la marque au cabriolet orange a choisi le Japon plutôt que l’Hexagone pour y poser cet écrin de 160 millions d’euros répondant aux normes antisismiques, c’est qu’il est l’un des pays les plus rentables de sa galaxie. On trouve davantage de outlets Hermès au pays du Soleil-Levant qu’en France et au Canada réunis…

Depuis le coup d’éclat de Piano, d’autres hôtes se sont invités à Ginza avec la ferme intention d’accaparer l’attention. C’est souvent la nuit que ces temples de la mode donnent leur plein éclat. Tel un arbre phosphorescent géant, l’Armani Tower du Romain Massimiliano Fuksas est constellée de feuilles lumineuses jusqu’à la pointe de sa cime qui culmine à 55 mètres. A l’ombre de ce baobab high-tech, Dior a implanté son plus grand magasin d’Asie. Ce n’est pourtant pas la taille de l’édifice qui incite les passants à se prendre en photo au pied de l’entrée mais le subtil cannage – le motif iconique de la griffe de luxe – lumineux qui émaille sa surface, due à l’architecte japonaise Kumiko Inui.

A quelques mètres de là, les 700 000 ampoules LED de la façade de la boutique Chanel, transformée par l’Américain Peter Marino en un écran géant de dix étages, éclairent comme en plein jour Chuo-dori, la principale avenue de Ginza. Quant au joaillier Mikimoto, il a sollicité l’architecte japonais Toyo Ito pour faire de son QG un monolithe dont les fenêtres aux formes aléatoires prennent l’apparence de pétales de rose ou de bulles de champagne bleutées, selon le momentà et l’état d’euphorie que le spectacle procure.

Cartier, fortement implanté en Asie, ne pouvait rester indifférent à la frénésie ambiante. Relookée par le Français Sylvain Dubuisson en 2007, sa boutique de référence, intégrée dans un building d’une quinzaine d’étages, est sertie dans une trame couleur or qui corsète l’ensemble de la construction. La rigueur du dessin contraste avec le gratte-ciel voisin qui abrite le joaillier de Beers et dont la façade, dessinée par le Japonais Jun Mitsui, gondole de bas en haut comme une gigantesque vague d’acier prête à déferler.

La longue avenue Omotesando, dans le quartier de Shibuya, à l’ouest de la métropole, est elle aussi en proie à la fièvre bâtisseuse. Plus branchée et moins bling-bling que Ginza, elle regroupe les labels les plus chics au service d’immeubles spectaculaires. C’est ici que Louis Vuitton a confié au Nippon Jun Aoki la création de son  » global store « , le plus grand du Japon, dont l’empilement de volumes rectangulaires rappelle les malles du célèbre maroquinier. Le rez de la boutique est dévolu à une installation tout en couleurs et en néons de l’artiste Murakami tandis que le 5e étage rassemble des pièces historiques cédées par la maison parisienne. Sur le trottoir d’en face, c’est Tadao Ando, ami de François Pinault, le célèbre homme d’affaires français féru d’art contemporain, à qui l’on doit la transformation de la Pointe de la Douane et du Palazzo Grassi à Venise, qui est à l’origine de la galerie marchande Omotesando Hills qui fait la part belle au béton brut. A quelques pas, Toyo Ito – encore lui – s’est inspiré des arbres zelkova qui bordent l’avenue pour imaginer un magasin Tod’s aux ramifications de verre et de béton.

Allures de bunker

Dans cette course au name dropping, le collectif d’architectes Sanaa, révélé au monde entier avec son New Museum of Contemporary Art de Manhattan, ne pouvait que séduire un grand nom de la haute couture. Pour son vaisseau amiral de Omotesando, Dior lui a demandé de concevoir une boîte à lumière translucide en acrylique qui a coûté la coquette somme de 34 millions d’euros…

Certaines signatures méritent un sort privilégié. Celle des Suisses Herzog et de Meuron, auteurs de la Tate Modern à Londres, figure en toutes lettres sur la façade du Prada Epicenter, à l’autre extrémité de Omotesando. Royal ! Ce quadrilatère repose sur un assemblage invraisemblable de bulbes vitrés en forme de losanges qui ne manque pas d’interloquer le passant. Dans la famille des architectes star, le britannique Future Systems, lui, a conçu en pionnier – c’était en 1998 -, à quelques mètres de Prada, une boutique Comme des garçons rock’n’roll, saturée de stickers bleu électrique qui, par juxtaposition, donne l’illusion d’un grillage.

Derrière l’avenue Omotesando, des ruelles paisibles offrent une autre vision de Tokyo. Des poteaux en bois ébouriffés de fils électriques pendent par grappes d’un trottoir à l’autre, longeant des habitations de poupées hautes de deux ou trois étages seulement. Comme s’il s’agissait de cultiver un goût de la discrétion, certaines marques comme Bape, Miu Miu, Couronne, Neil Barrett – qui s’est offert la superstar anglo-irakienne Zaha Hadid pour la création de son mobilier – ou Zadig & Voltaire y ont ouvert des boutiques ultraminimalistes aux allures de bunker. Les dénicher se fait au prix de quelques errements, les numéros de rue étant absents au Japon.

Depuis quelques mois, l’engouement tokyoïte pour l’architecture commerciale expérimentale s’est propagé au-delà des prestigieux labels de haute couture et d’accessoires haut de gamme. Sur Jingumae, une avenue qui borde Omotesando au nord, dans le quartier de Harajuku, la chaîne de grands magasins H&M a démontré, fin 2008, son savoir-faire en la matière. On reste ébahi devant sa tour semi-transparente et son concept de cubes superposés en débord, tel un jeu d’éveil pour (grands) enfants,  » assemblés  » avec talent par Universal Design Studio. Et puisque la question des belles matières ne se limite pas à la mode, c’est au tour d’un constructeur de voitures, Audi, a s’être lancé le premier dans la branding architecture avec le concours du Britannique Benjamin Warner. Son Forum, surnommé l’iceberg, est un monumental bâtiment de verre plié à 45° en cinq points, plié comme une simple feuille de papier. L’art de l’origami en somme, ce qui au Japon est bien le moindre des hommages.

Par Antoine Moreno / Photos : Renaud Callebaut

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