Excessive, flamboyante mais aussi rigoureuse et pragmatique, Donatella Versace a replacé Versace au firmament de la mode glamour et contemporaine. Quinze ans après la disparition de son frère Gianni, elle raconte…
îil charbonneux et légendaires cheveux platine, pétillante et grave à la fois, Donatella Versace reçoit en ce début d’été (couture oblige) dans les salons du Ritz, à Paris, et l’on pense évidemment aux mythiques défilés jadis organisés par Gianni dans l’ancienne piscine du palace parisien. De ce frère adoré, assassiné par un déséquilibré à Miami, en 1997, il sera beaucoup question dans notre tête-à-tête, mais, en quinze ans, cette inaltérable jet-setteuse a su convaincre le cénacle de la mode et s’imposer comme une créatrice à part entière, réinsufflant énergie et féminité à la marque. 100 % Versace, 100 % Donatella. Résultat ? Les défilés de prêt-à-porter sont désormais un triomphe et, après des années difficiles, Versace a retrouvé tout son rayonnement…
Vous avez repris les rênes de la maison Versace en 1997. Comment votre style a-t-il évolué au fil de ces années ?
Ce fut un long chemin, et pas toujours facile… Gianni me protégeait beaucoup et, après sa disparition, je me suis vraiment demandé ce que j’allais faire. Nous étions si proches, comme frère et s£ur et comme partenaires. Il m’a tout appris, mais j’ai commencé peu à peu à faire entendre ma propre voix, en tant que femme aussi. J’ai commis des erreurs, mais j’ai su rebondir, essayer encore et encore pour réussir. En matière de mode, j’ai d’abord été dans une période (les années 2000) faite d’excès et d’extravagance ; ce qui était parfait pour l’époque. Et puis, j’ai évolué vers moins d’ornementation, plus d’attention portée aux coupes et aux tissus, tout en gardant ce côté glamour qui m’appartient.
À travers la couture, mais aussi le prêt-à- porter, comment définiriez-vous la femme Versace ?
Je ne crois pas qu’il y en ait une. Beaucoup se reconnaissent dans notre maison. Les femmes Versace ne sont pas italiennes ou françaises ; elles appartiennent au monde, mais elles ont des points communs. Elles sont indépendantes, modernes, libres d’esprit. Ce n’est pas l’allure qui les détermine, mais leur caractère. Ce sont des femmes qui ont confiance en elles, qui sont courageuses. Et j’aime à penser que je les aide en leur offrant mes vêtements. Quand on porte du Versace, on se sent mieux dans sa peau parce que le corps n’est plus tout à fait le même. Je leur donne une force, un sentiment de pouvoir qui n’est pas incompatible avec la sensualité.
Quelles influences nourrissent votre travail ?
La musique est une de mes grandes sources d’inspiration. J’en écoute toujours lorsque je travaille, et à plein volume ! Les sensations, les idées exprimées par la musique peuvent aussi l’être par le vêtement. Pour cette dernière collection, j’ai travaillé autour de la construction et de la déconstruction. Je me suis amusée à déconstruire deux robes, pour en créer une nouvelle. Quelque chose de neuf. Et, pour mon show, j’ai également choisi une voie inédite puisque je mêle opéra et électro, avec ce même goût de l’expérimental.
Et quelles sont vos icônes ?
Cindy Sherman a été l’une des artistes qui m’ont le plus marquée. C’est un génie, une femme tellement intelligente, tellement avant-gardiste. Ce que j’aime le plus dans ses autoportraits qu’elle crée à l’infini, c’est la représentation d’un caractère, d’une personnalité qu’elle s’amuse – là encore ! – à déconstruire et à reconstruire sans jamais perdre l’essence de ce qu’elle est. J’admire Madeleine Albright, pour ce qu’elle pense et ce qu’elle dit. Et j’adore Lady Gaga. Elle est contemporaine, révolutionnaire.
Quelles femmes avez-vous été la plus fière d’habiller ?
Lady Gaga, bien sûr. Madonna, avec laquelle nous avons fait nos premières campagnes en 1995. Il faut revoir ces images aujourd’hui pour se rappeler à quel point elles étaient modernes. Madonna était à l’époque très punk, mais elle portait pour l’occasion un vêtement ultraclassique, à contre-emploi. Elle aussi est l’emblème de la force, elle n’a jamais peur.
Vous avez dit que la reine d’Angleterre était » rock’n’roll « . Comment aimeriez-vous l’habiller ?
Elle est rock dans un certain sens. C’est une personnalité, un » people » qui occupe la scène depuis plus de soixante ans. Elle possède un caractère qui touche profondément les gens. J’aimerais beaucoup créer des vêtements pour elle et je l’habillerais en noir, couleur qu’elle ne porte jamais.
Vous avez également travaillé pour H&M. Est-ce important pour vous de rendre Versace accessible à toutes les femmes ?
J’ai adoré travailler pour H&M ! Ce fut une expérience passionnante. J’ai initié cette collaboration à la suite de designers importants (Alber Elbaz, par exemple), pour lesquels j’ai une grande admiration et j’avais très peur de passer derrière eux ! Mais cela a été un succès qui m’a donné confiance et surtout envie de faire connaître Versace à un public plus large.
Votre mode se nourrit d’une belle extravagance. Comment regardez-vous la vague minimaliste qui surgit aujourd’hui ?
Je crois qu’elle est l’expression de l’époque. Et j’ai aussi le désir d’être minimaliste, à ma manière, avec un petit pas de côté. On peut être minimale tout en étant sexy, sensuelle. J’aime l’épure, en revanche, je déteste les vêtements sans forme.
Vous dites que la mode doit faire passer un message. Quel est le vôtre ?
La mode est une arme. Elle doit aider les femmes à atteindre leur but : un job, un amour… Peu importe. La mode doit aider à séduire pour obtenir ce que l’on veut. Et elle peut se révéler très précieuse.
Dans votre collection automne-hiver 12-13, vous avez largement réinterprété les codes médiévaux. Pourquoi ?
C’est un vestiaire qui avait particulièrement inspiré Gianni pour la collection Atelier Haute Couture de l’hiver 1998, qui avait été présentée au Ritz. J’aime aussi beaucoup cet esprit, ce travail sur les croix byzantines, les velours, les cottes de mailles… Je n’avais pas osé jusqu’à présent m’en emparer, sans doute par peur de l’émotion que j’allais ressentir. Mais j’ai eu le courage d’exhumer cette collection de nos archives et je l’ai trouvée tellement forte que j’ai voulu la faire renaître. Je pense aussi que ces références sont dans l’air du temps. Les femmes ont plus que jamais besoin de se battre pour leurs idées, leur liberté.
Pour la première fois, vous vous êtes confrontée au travail de votre frère…
Ma collection est, en fait, très différente. Il y a bien sûr des points communs : l’esprit, les matières. Mais je suis une femme et j’ai donc un autre regard. Je pense à mon frère en disant cela, et aussi à tous les designers hommes. Les créatrices ont une autre sensibilité aux matières, aux proportions, parce que, en dessinant un vêtement, elles pensent tout de suite qu’elles pourraient elles-mêmes le porter. Nous sommes plus pragmatiques. Si elle se situe dans le même esprit, cette collection est plus féminine que celle de Gianni. Je me suis beaucoup inspirée de Jeanne d’Arc, qui est pour moi un symbole important, celui d’une femme qui a vraiment combattu pour un idéal, et qui est d’ailleurs morte pour cela.
Quelles pièces de cette collection préférez-vous ?
Je les aime toutes, avec ces croix comme leitmotiv, brodées ou imprimées sur des velours. Je crois que j’ai un petit faible pour les robes corset. Toujours mon goût pour les formes !
Votre frère a été élu, en 1997, l’homme le plus innovateur. Pensez-vous que vous aussi êtes novatrice ? De quelle façon l’êtes-vous ?
C’est Versace qui est novateur ! Nous pensons toujours à de nouvelles matières, de nouvelles inspirations. La mode, c’est le changement, et il est inscrit dans l’ADN de la maison. Aujourd’hui plus que jamais, seul celui qui innove peut survivre.
Votre devise ?
Pour moi, » non » n’est jamais une réponse…
PROPOS RECUEILLIS PAR LYDIA BACRIE
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