Dix ans après avoir explosé avec Will Hunting, il est devenu l’une des valeurs sûres de Hollywood. Après Ocean’s 13 et Raisons d’Etat, le voilà aujourd’hui à l’affiche de La Vengeance dans la peau. Itinéraire d’un acteur consciencieux et de plus en plus bosseur.

En l’espace de quelques semaines Matt Damon se retrouve à l’affiche de trois longs-métrages très attendus, chacun pour des raisons différentes, qui reflètent l’étendue de sa palette de comédien. Ocean’s 13 de Steven Soderbergh ; Raisons d’Etat, film d’auteur ambitieux de Robert De Niro ; et maintenant La Vengeance dans la peau, où il reprend le rôle de Jason Bourne, ex-agent secret, dont le succès international lui a permis d’ancrer sa position de valeur sûre de Hollywood. Un homme fort mais jamais craint. Un Monsieur Tout-le-monde, un boy next door en qui chacun peut s’identifier et sur lequel on n’a jamais entendu le moindre commentaire négatif dans le monde du show-business.

Comment en arrive-t-on à un tel statut ? Un petit retour en arrière s’impose pour comprendre les racines de ce boulimique de travail. Matthew Paige Damon est né le 8 octobre 1970 à Cambridge, dans le Massachusetts. Son père, conseiller fiscal, et sa mère, institutrice, divorcent alors qu’il n’a que 2 ans et son grand frère Kyle (aujourd’hui sculpteur), à peine 5. Le petit Matthew part vivre avec sa mère dans une maison communautaire à Boston, avec six autres familles. Au cours de cette enfance un rien mouvementée, il fait une rencontre décisive. Il a tout juste 10 ans lorsqu’il fait la connaissance d’un petit garçon de deux ans son cadet, dont la mère enseignante est amie avec la sienne et qui souffre aussi du divorce de ses parents. Ce gamin n’est autre que Ben Affleck.

Les deux copains se découvrent rapidement un autre point commun : le goût de la comédie. Ils prennent des cours, s’inscrivent dans une troupe de théâtre et décident de faire ensemble le grand saut : partir pour Los Angeles, partager un appartement et conquérir Hollywood. Après les années de galère, de castings ratés (Joaquin Phoenix lui souffle le rôle principal de Prête à tout, de Gus Van Sant, qu’il retrouvera vite, et Edward Norton, alors débutant, décroche devant lui celui de Peur primale) en refus, Edward Zwick l’engage pour un court rôle dans A l’épreuve du feu. Nous sommes en 1996 et les mois qui viennent vont bouleverser sa vie. Face à Denzel Washington, il incarne un vétéran de la guerre du Golfe devenu junkie. Même s’il a peu de scènes, il s’investit à 200 % et,  » à l’américaine « , perd 18 kg pour devenir le personnage, avec un régime mêlant course à pied… et brocolis. Et le travail paie. Les fameux décideurs de Hollywood le remarquent enfin à l’écran. Et en découvrant le film, un certain Francis Ford Coppola décide de lui confier le premier rôle de l’ Idéaliste, pour lequel – dans un souci constant de perfectionnisme – il ira travailler gratuitement comme barman à Knoxville, Tennessee, pour parfaire son accent du sud américain.

Parallèlement à cette carrière de comédien, dont l’horizon s’éclaircit peu à peu, Damon a décidé de se prendre en main. Il comprend que, pour jouer les premiers rôles qui lui tiennent à c£ur, il doit les écrire lui-même. Il se replonge dans une nouvelle commencée quelque temps plus tôt : Will Hunting. L’histoire d’un orphelin issu de la classe ouvrière de Boston, au QI exceptionnel mais inadapté à la vie sociale, qui va s’en sortir avec l’aide d’un thérapeute compréhensif. Il demande à son camarade Affleck d’écrire à quatre mains un scénario d’après cette nouvelle.

La suite, tout le monde la connaît. Succès public, accueil critique unanime et pluie de récompenses, dont l’oscar du meilleur scénario pour les duettistes. Affleck et Damon multiplient les Unes des journaux. Leur success story est une preuve vivante de l’éternité du rêve américain, pays où tout semble possible. Hollywood est à leurs pieds. Vient alors le moment des choix. Et là, contrairement à leur amitié qui restera intacte, leurs chemins vont peu à peu diverger. Tout commence lors de la promotion de Will Hunting. Alors qu’enfin ils accèdent à leur rêve de gosse – devenir célèbres et surtout vivre de leur passion -, Damon craint déjà de lasser. A l’étonnement furibard de Weinstein qui ne jure que par le matraquage promotionnel, il refuse de poser pour la couverture de Rolling Stone, arguant du fait que même sa grand-mère commence à se fatiguer de voir sa tête partout !

Matt Damon va jouer la carte des cinéastes sans chercher à avoir son nom seul en haut de l’affiche. Il passe devant les caméras de Steven Spielberg ( Il faut sauver le soldat Ryan), Anthony Minghella ( Le Talentueux M. Ripley), Robert Redford ( La Légende de Bagger Vance) et Steven Soderbergh ( Ocean’s Eleven), en laissant la vedette à Tom Hanks, Jude Law, Will Smith, George Clooney et autres Brad Pitt.

En 2001, il s’enthousiasme pour le scénario de De si jolis chevaux, de Billy Bob Thornton. Ce sera le bide total. Après les échecs successifs de ce film, de La Légende de Bagger Vance et du Talentueux M. Ripley, il sent que les  » décideurs  » commencent à se détourner de lui. Il sait le choix de son prochain film décisif. C’est alors qu’on lui propose d’incarner le héros d’une série de romans d’espionnage de Robert Ludlum : Jason Bourne, agent et tueur à gages. L’offre ne l’emballe guère, à première vue. Il n’acceptera que lorsque le réalisateur Doug Liman (Go !), venu du cinéma indépendant, lui explique ses intentions : faire de ce héros un anti-James Bond, un homme surentraîné qui ne cherche pas à faire joli, mais à faire mal. Le tout mis en images dans un rythme plutôt lent, loin des canons habituels du cinéma d’action. Lui qui a pour obsession d’être digne de l’argent qu’on lui propose va se régaler. Pendant cinq mois, en amont du tournage, il prend des cours de boxe et d’un art martial nommé khali. A l’écran, le film séduit, ringardise en effet 007 et remet Matt Damon au centre du jeu hollywoodien, grâce à son triomphe international.

Il y a de la lucidité chez Damon, on s’étonne d’ailleurs que les oscars n’aient pas encore récompensé à sa juste valeur le travail du comédien. Il aurait mérité au moins une nomination pour son interprétation de mafieux infiltré dans le dernier Scorsese, qui lui permettait de retourner à Boston, neuf ans après Will Hunting. Et une statuette n’aurait pas été de trop pour saluer son jeu – récompensé d’ailleurs d’un prix collectif à Berlin – dans Raisons d’Etat, sur lequel De Niro travaillait depuis dix ans. Dans ce grand film politique, il livre une prestation saisissante en petite main de la CIA, marié à Angelina Jolie et si obsédé par son travail qu’il va se retrouver isolé de ses proches et de celui qu’il était. Le film, à travers le prisme d’un individu, témoigne de la paranoïa américaine aiguë depuis la guerre froide. On découvre là un Damon glacial et violent. Une nouvelle corde à son arc.

Cet acteur mène en tout cas sa barque à merveille, restant fidèle à des rôles (les prochaines aventures de Jason Bourne sortent le 12 septembre), à des bandes (la dream team d’ Ocean’s 13 a valu à Cannes une de ses plus belles montées des marches) et à des réalisateurs (il a retrouvé Coppola pour Youth without Youth) sans donner l’impression de se répéter. Et, en dépit de son statut, il a l’intelligence de toujours collaborer avec des metteurs en scène indépendants comme Kenneth Lonergan ( Tu peux compter sur moi) pour le film Margaret, un drame autour d’un terrible accident de la circulation, dont il vient de terminer le tournage au côté d’Anna Paquin ( X-Men, l’affrontement final). Ni rebelle à la Marlon Brando, ni héros américain à la James Stewart, Matt Damon a su tracer un sillon singulier dans la jungle hollywoodienne. Un acteur respecté. Un homme aimé.

Thierry Cheze

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