Il scénographie – avec une créativité exubérante – les défilés des plus grandes griffes de mode. Mais pour son appartement bruxellois, Etienne Russo a choisi l’austérité. réconfortante des non-couleurs, des laques et des beaux objets intemporels.

Elle s’impose tout en grâce dans son bureau bruxellois : une photo XXL d’un mannequin évoluant sur un catwalk doté en arrière-plan d’un immense mur multicolore de 128 000 fleursà naturelles, les préférées du styliste Dries Van Noten, le commanditaire de ce défilé féerique. Dans ce même espace de travail, au quartier général de Villa Eugénie, sa société d’organisation d’événements, on est ébloui par la grande table de réunion laquée et un impressionnant alignement de livres de mode, d’architecture, de design, d’artà Tous ces albums sont déposés sur une très longue console, empilés par quatre ou cinq.  » Je n’aime pas devoir tourner la tête pour trouver le titre d’un livre, confesse Etienne Russo. En les disposant ainsi, on peut prendre le temps de les consulter, de les caresser aussi comme de beaux objets. Et puis, la couverture est bien plus parlante que la tranche.  » Cette même  » organisation  » est reproduite dans l’appartement que le scénographe s’est aménagé, au c£ur de la capitale, avec la complicité de deux architectes belges réputés, Etienne van den Berg (Iceberg) et Glenn Sestig (Glenn Sestig Architects).

Confort, calme et sérénité

Bernard Tournemenne, le partenaire de Glenn Sestig a quant à lui planché sur la palette chromatique.  » Ma proposition, explique-t-il, repose sur deux éléments : le bâtiment et la personnalité, ou plutôt le rythme de vie, d’Etienne. L’immeuble est austère, dans le style des années 40à Un élément déterminant dans le choix de ce que j’appelle des non-couleurs, c’est-à-dire, outre le noir, des tons gris neutre, gris blanc. Etienne est perpétuellement confronté à un monde très réactif. Il est plongé dans un stress permanent, une ébullition pleine de couleurs. Son briefing était d’ailleurs basé sur trois mots clés : confort, calme et sérénité. « 

Situé au rez-de-chaussée, l’appartement se déploie sur deux entités. Du hall, on accède à la salle à manger et au salon. Dans l’angle opposé de l’entrée prend naissance le long couloir – entièrement lambrissé et laqué de haut en bas – qui conduit à la chambre à coucher. Les effets de brillance et les jeux de miroir sont omniprésents. De part et d’autre du salon, à l’emplacement des cheminées, on a disposé de grandes surfaces de verre fumé. La table laquée du salon reflète, elle, le lustre cubique spécialement dessiné par Glenn Sestig.

 » C’est un intérieur qui ne peut pas être raccroché à une ville ou une culture, souligne Etienne Russo. On pourrait tout autant se trouver à Paris, Londres ou New York. Je pense que cette impression se justifie par une décoration ultralégère. Il y a peu de choses qui viennent accrocher le regard, mis à part deux ou trois éléments qui évoquent ma vie professionnelle.  » Comme Sumo, le livre  » monumental  » du célèbre photographe de mode Helmut Newton, paru aux éditions Taschen.

Dans cette mise en scène épurée règne une grande poupée customisée par Karl Lagerfeld pour Chanel. Cette Chanel x Medicom 1 000 % Be@rbrick a été produite en une série limitée de 2 000 exemplaires. Colette, la célèbre enseigne parisienne hyperpointue, en avait l’exclusivité.

Etienne Russo avoue une passion, pour la photo d’art. Une de ses acquisitions préférées – une £uvre du photographe allemand Joachim Schulz, qui fait penser à du tissu plissé – se trouve dans la chambre à coucherà Elle surmonte le lit. Tout en harmonie : un magnifique plaid, fait de cachemire et de fourrure, et bordé d’un liseré de daim.

Dissimulée derrière une des portes cloisons du couloir, la salle de bains – traitée en noir et blanc – fait également preuve de dépouillement. Tous les accessoires – dont la superbe baignoire Boffi – ont cependant été sélectionnés avec soin et l’espace, légèrement confiné, tire lui aussi parti de la réflexion des miroirs et du verre fumé.

Dans le salon, on épingle l’intrigante table Traccia aux pieds évoquant les pattes d’un oiseau imaginée par l’artiste surréaliste suisse Meret Oppenheim (1913-1985). Il s’agit de la reproduction d’un modèle de 1939 (remis en production en 2007 par la maison italienne Simon), dans une version or.  » Je recherche l’essentiel, pas l’objet, conclut Etienne Russo. Je ne suis pas partisan d’avoir le dernier mobilier à la mode. Même les canapés du salon sont intemporels. Ils sont signés du designer américain Vladimir Kagan et Tom Ford les avait choisis pour les boutiques Gucci. En fait, ce que j’apprécie le plus, c’est, dans un cadre précis, le mélange des genres. Je conçois de la même manière les défilés ou les événements que j’organise avec mon équipe. Le mélange des genres, c’est la modernité d’aujourd’hui. En tout cas, c’est comme cela que je la fais mienne.  » L’art de l’éphémère

Au début des années 80, après un cursus en section hôtelière à Namur, Etienne Russo, barman au Mirano, la boîte hyperbranchée de Bruxelles, se lance dans le mannequinat. A cette époque, vie nocturne et mode belge sont en pleine effervescence et l’idée germe en lui de rapprocher ces deux milieux dans un même job pour devenir le directeur artistique de soirées mémorables. En 1989, il organise un grand concours de stylistes au Mirano. Deux ans plus tard, il orchestre le premier défilé, à Paris, de Dries Van Noten. La collaboration avec le célèbre créateur anversois se poursuit aujourd’hui encore, tandis que d’autres grands noms de la planète fashion se sont un à un ajoutés à son CV.

 » Nous n’avons que douze minutes pour communiquer le message d’une collection au public, avait-il confié au Vif Weekend en 2007. C’est un moment intense et éphémère, dont il faut garder un maximum de souvenirs. Ce qu’il y a de magique et qui m’émeut à chaque fois, c’est la transformation d’un même lieu en quelque chose de très spécifique.  » Le grand art d’Etienne Russo ? Réussir, précisément, à incarner dans une atmosphère onirique, et pour chacun des défilés qu’il met en scène, l’esprit de la collection mais aussi l’âme du créateur. Dries Van Noten, bien entendu, la Maison Martin Margiela, Lanvin, Sonia Rykiel, Céline, Chanel, Hermès et aussi Miu Miu : toutes ces griffes prestigieuses lui ont, une fois de plus, confié la scénographie de leurs opus printemps-été 2010, présentés à Paris, du 30 septembre au 8 octobre derniers.

Carnet d’adresses en page 120.

Par Jean-Pierre Gabriel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content