On l’appelle le Paris de l’Est ou la Reine du Danube. Budapest a conservé sa facette Belle au bois dormant héritée des siècles derniers, certes. Mais elle est surtout aujourd’hui une ville où l’on crée, où l’on expérimente. Au fil de balades palpitantes, partez à la découverte de ce néomodernisme qui aimante les investisseurs et les artistes.

Carnet de voyage en page 86.

Durant les beaux jours, la place Ferenc Liszt est scindée en deux parties bien distinctes : les cafés qui ont leur terrasse au soleil et ceux qui ne l’ont pas. Mais peu importe, de gauche à droite, au pied de l’imposante statue du célèbre musicien, une jeunesse dorée se prélasse autour d’une sör (bière) ou d’un cappuccino. Et si d’aventure, la soirée devenait trop fraîche pour ceux qui préfèrent les établissements privés de soleil, ceux-ci proposent des couvertures à étendre sur les genoux… Car ici, on vient d’abord pour se montrer et être vu, et chacun affiche fièrement tous les attributs d’une société branchée et créative. Lieu de rendez-vous pour boire un verre à toute heure de la journée ou pour un dîner tardif, chaque bar rivalise d’imagination pour proposer une décoration très affirmée. Une atmosphère jazzy au Birdland, un style pop oriental dans les tonalités de rose bonbon au Leroy café, un design chic avec écrans plats pour projeter des clips au Café Miro ou encore une structure lumineuse et bariolée au Café Vian qui dispose de sa propre scène pour des lectures et des concerts de jazz.

Le goût de la mise en scène

Un palais des Arts, deux opéras, plus de deux cents musées et espaces d’exposition, une quarantaine de théâtres, des plus avant-gardistes aux plus classiques, de nombreuses salles de cinéma et un calendrier annuel riche en événements les plus divers… La culture à Budapest anime toute la vie nocturne de la capitale. Pour encourager l’affluence du plus grand nombre, les institutions hongroises ont sauvegardé un des principes de la politique communiste, aujourd’hui bannie, en offrant aux plus jeunes et aux plus âgés l’entrée gratuite dans la plupart des sites.

L’ambiance de Budapest est multiple, mais toujours ardente et mouvante, comme dans le quartier du Millénaire où le Palais des Arts et le Théâtre National se dressent côte à côte, autour d’une tour de Babel, symbole de ce nouveau centre culturel. Ces deux bâtiments somptueux semblent amarrés dans les eaux grises du Danube. Le premier, dont l’intérieur est entièrement conçu en bois exotique, évoque par sa forme un paquebot en partance, le second semble posé sur un ponton, lui-même cerné par un étang artificiel dans lequel est immergée la façade d’un théâtre classique. Cette mise en scène grandiose veut rappeler que le précédent théâtre national où se sont données les premières pièces en langue hongroise a été détruit au grand dam de la population pour construire une station de métro. Les Budapestois se sont alors cotisés pendant près de quarante ans pour construire ce nouveau réceptacle culturel que l’on atteint en parcourant une allée qui s’ouvre sur une immense sculpture blanche illustrant le rideau d’une scène. Dans le parc sont éparpillées d’autres statues en bronze qui représentent des acteurs nationaux connus dans leur plus grand rôle.

Cap sur la place Elizabeth parsemée de créations tellement audacieuses qu’elles animent toutes les conversations des passants et des riverains. Entre cours et jardins, à deux pas du quartier juif, une salle de concert prolongée par une terrasse-bar-restaurant accueille chaque soir des artistes de tout bord et des curieux, séduits par le charme suranné d’une petite cour intérieure bordée d’arcades roses surmontées de médaillons. Plus loin, le long du Danube, face à la place Vigadó où s’élève la superbe salle de concert Art nouveau de la Redoute, une statuette en bronze, coiffée d’un chapeau de clown et installée sur une rambarde, agit comme un aimant sur les Pestois qui s’y retrouvent pour se perdre dans la contemplation du fleuve, ou encore pour se laisser distraire par les portraitistes et les saltimbanques qui envahissent le Corso, cette longue promenade qui s’étire le long du Danube depuis le pont des Chaînes.

Jusqu’au bout de la nuit

Il est au c£ur de la capitale hongroise de ces endroits qui se murmurent presque comme un secret : ce sont les kerts, sorte de jardins nichés derrière des portes anodines, des endroits doucement déglingués où il fait bon laisser s’écouler la nuit. La vie estivale nocturne de Budapest offre l’enchantement d’une balade qui peut se terminer aux petites heures du matin, devant un dernier café ou dans les eaux fumantes d’un bain turc. Faire les kerts, c’est vagabonder d’immeuble en immeuble, aller de rencontres en rencontres au fil de la nuit. Il suffit de pousser une porte pour découvrir une cour, un jardin, un espace transformé avec créativité où l’on peut grignoter, boire un verre, jouer au baby-foot et se raconter des heures durant. Il faut laisser les habitués décider pour vous et le charme, c’est justement de ne pas savoir où vos pas vont vous mener. Une adresse suffit, tant la probabilité est grande d’être entraîné plus tard vers une autre destination. En été, ce sont les haltes idéales pour vivre de longues nuits paresseuses.

Les fêtards aiment à se retrouver au petit matin dans les piscines en plein air des bains Széchenyi. Autour d’échiquiers flottants, les joueurs purgent doucement les effets d’une nuit agitée et ils plongent régulièrement sous l’eau pour réchauffer les épaules restées trop longtemps immobiles. Les bains de Budapest ? Un art de vivre autant qu’une authentique culture sociale. Quand ils changent les eaux, certains établissements en profitent pour organiser, la veille, un gigantesque aqua-disco où l’on s’éclate en maillot de bain sur fond de sono tonitruante. Une manière d’attirer une clientèle plus jeune qui préfère souvent les piscines ouvertes et olympiques.

Pest, à l’opposé de Buda

Jeune capitale née en 1873 de la réunion de trois bourgades indépendantes et rivales, Budapest cultive encore les contrastes de ses deux rives. A droite domine Buda, la ville haute et fortifiée, avec à ses pieds Obuda, qui a grandi sur les vestiges d’Acquincum, une florissante cité romaine. A gauche s’étend à l’infini Pest, la ville basse, plate et ouverte au commerce depuis le xiie siècle. Trois quartiers se tendent ainsi la main au gré des neuf ponts qui enjambent le plus prestigieux fleuve d’Europe.

C’est à Buda que se concentrent la plupart des monuments historiques de la vieille ville, dont le plus populaire est l’église Notre-Dame, communément appelée église du roi Mathias. Tout le quartier s’articule autour de ce symbole de l’époque glorieuse du pays puisque c’est là que furent couronnés les rois de Hongrie. Du côté fleuve, l’église est protégée par le Bastion des Pêcheurs, dont le chemin de ronde, long d’un kilomètre, offre une vue incomparable sur le fleuve et les toits de Pest. A l’arrière, loin des rumeurs de l’esplanade Mathias envahie par les saltimbanques qui cherchent à appâter les touristes, s’ouvre un dédale de ruelles où règne un calme inattendu. C’est ici qu’il faut prendre le pouls de Buda, dans les jardins qui dévalent en cascades vertes vers le Danube, entre les maisons basses couleur de guimauve et de pain d’épices, ornées de fresques et de grilles en fer forgé. Les venelles pavées s’ouvrent sur de charmantes petites places, de style tantôt classique, tantôt baroque, voire rococo, où se focalise la vie de toute une communauté. A Buda, des galeries d’art plus audacieuses les unes que les autres envahissent les cours intérieures tandis que bouquinistes et antiquaires accumulent leurs trésors derrière des façades intemporelles. C’est ici aussi que les gastronomes peuvent découvrir les charmes d’une cuisine de haut vol, à la fois inventive et traditionnelle.

Sur la rive gauche, le climat n’est plus le même. Pest, c’est un peu le miroir renversé de Buda. Centre nerveux de la capitale hongroise, c’est ici que se traitent les affaires. Avec ses vastes artères croisées à perte de vue, on a tôt fait d’assimiler le tracé du quartier. L’espace urbain dessiné à la fin du xixe siècle aligne des kilomètres de façade couleur sable qui se sont répandues sur la plaine comme une coulée de lave. L’avenue Andrassy, bâtie sur le modèle des Champs-Elysées parisiens, est certainement la plus belle avenue de Budapest. Parisienne et commerçante dans sa première partie, elle se poursuit jusqu’à l’imposante place des Héros dans un décor aéré d’ambassades, d’hôtels particuliers et d’élégantes bâtisses cernées par des jardins exubérants.

Retour au centre de Pest, véritable toile d’araignée formée d’avenues et de places d’où émergent coupoles, clochers et tourelles. Sur les façades 1900 fleurissent des cohortes d’enseignes lumineuses qui témoignent du dynamisme de la vie commerçante. D’ambitieux projets privés voient le jour. Après le Méridien installé dans le Seasons entièrement Art nouveau du magnifique palais Gresham, l’Institut de Ballet va se transformer à son tour en un palace de deux cents chambres.

L’Art nouveau est au c£ur de Pest. Il habille de nombreux édifices comme les Halles centrales, éblouissante structure arachnéenne enveloppée d’un riche manteau de briques polychromes et de pierre. La gare de l’Ouest, conçue par Gustave Eiffel, a tout d’un palais d’acier et de verre. Le musée des Arts décoratifs fait surgir un mirage de centaines d’arcatures dignes d’un château des Mille et Une Nuits. L’Académie de Musique est une débauche de mosaïques à fond d’or et de céramiques irisées. Et quand on lève le nez sur le bulbe ottoman de la grande synagogue, la plus grande d’Europe, on ne sait plus si on est en Orient ou en Occident. Et c’est qu’ils se sont tous donné rendez-vous au fil des siècles sur les rives du Danube : Mongols, Turcs, Autrichiens et Soviétiques. C’est sans doute de cet éclectisme urbain que Budapest tire toute son énergie et son harmonie.

Le Danube : ni bleu, ni vert, juste gris

Colonne vertébrale de Budapest, le Danube, avec son large ruban d’argent, est le point de rendez-vous incontournable des touristes mais aussi des Hongrois. Durant les longues soirées d’été, ils flânent sur le pont Marguerite d’où la vue est unique sur une cité qui s’illumine de mille feux dès que le soleil disparaît derrière les collines de Buda. Le Pont des Chaînes, dont les trois arches monumentales sont arrimées l’une à l’autre par de lourds câbles garnis d’une multitude de lampions, s’étire dans toute sa splendeur étincelante au-dessus des eaux lisses du fleuve, parcouru par de petits bateaux-mouches dont les mouvements évoquent dans la nuit un ballet capricieux de farfadets phosphorescents. A gauche, l’imposant bâtiment du Parlement, architecture inspirée par le palais de Westminster à Londres, apparaît presque féerique dans les dentelles de ses tours néogothiques, chatoyantes sous les feux qui l’éclairent. A droite s’élève, lumineux, massif et prestigieux, le château royal. Partout, la nuit est lézardée par les lueurs scintillantes des nombreux clochers d’églises.

D’autres préfèrent les longues promenades le long des quais, entre le silence qui s’étire sur les eaux grises du fleuve et le brouhaha des voitures qui tracent dans la nuit un cordon de lumières frémissantes. Les amoureux aux baisers interminables se retrouvent sur les bancs publics de l’île Marguerite qui paraît s’assoupir à l’ancre, au milieu du fleuve. Refuge ombragé et paisible pour ceux qui recherchent la quiétude, avec à leurs pieds le clapotis des eaux qui s’écrasent sur les galets et, en face, la magie scintillante des rives et des ponts illuminés.

Texte : Christiane Goor

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