Longtemps cantonnées dans l’illustration de contes pour enfants ou, en dessin, façon pin-up sur papier glacé, les filles se créent leur petite bulle dans le milieu réputé macho du 9e art.

Claire Brétecher, célèbre  » femme libérée  » des années 1970, a initié cette petite révolution féminine avec son personnage Cellulite. Après un creux de près de trente ans, une nouvelle vague de BD de filles inonde les rayons. Ce genre autobiographique qui se rapproche fortement de la chick lit, variante contemporaine et délurée du traditionnel roman sentimental, s’impose. Il trouve sa genèse dans les magazines féminins et les blogs, espaces où l’on n’a pas peur d’étaler son linge – propre ou sale – en public. Le style se nourrit de phénomènes actuels comme le célibat et la tendance à l’individualisme.

Et si, en définitive, le  » moi je  » n’était qu’un pur fantasme ? L’important, en définitive, ne serait-ce pas que la catharsis à l’£uvre nous procure un bon moment de défoulement ? En cette année de la BD, cinq illustratrices de talent se sont pliées au jeu de l’autoportrait pour Le Vif Weekend. Mais entre sa propre image et le personnage de papier, il y a parfois un fossé.

Les nouvelles héroïnes de BD s’appellent Joséphine, Eva, Gloria, Gally, CÄät, Valentine, ou tout simplement Mademoiselle. Le nombrilisme est leur meilleure arme pour s’imposer dans l’univers masculin des bulles. Le quotidien de ces narcissiques trentenaires, clones d’Ugly Betty ou de Carrie Bradshaw, est principalement  » parigot branchouille « . Ces  » célibertines  » nous confient leurs préoccupations cyclothymiques de filles subissant les diktats de la mode, le tout saupoudré de succulente autodérision.

 » Ce type de BD place la femme dans une perspective  » post-féministe  » qui englobe les jeunes femmes d’aujourd’hui ayant bénéficié des avancées du féminisme sans pour autant être militantes, explique Séverine Olivier, doctorante en Philosophie et Lettres à l’ULB et spécialisée en Chick Lit. Elles défendent leur indépendance mais ne renoncent pas nécessairement à leurs rêves de prince charmant. Femme moderne, la nouvelle héroïne de BD n’est jamais poursuivie pour ses possibles inconséquences, sa chasse aux hommes ou ses besoins compulsifs, alors que ces comportements lui auraient valu par le passé réprobation ou châtiment. « 

Parodies de notre société de (sur)consommation, les saynètes possèdent un puissant pouvoir d’identification.  » Attisées par le voyeurisme  » à la Facebook « , ces BD prônent l’héroïsation du quotidien « , souligne le sociologue Nicolas Marquis.  » Elles font l’apologie de l’ordinaire et permet au lecteur de s’accepter tel quel dans sa vie de tous les jours.  » Et il est vrai que la liste des sujets sur lesquels gloser est longue pour ces exhibitionnistes jusqu’au bout des ongles. Et quand l’horloge biologique s’emballe et que les poussées d’hormones explosent, les demoiselles usent d’humour et de cynisme avec brio. Reste à voir si une fois le cap de la trentaine franchi, leur vie rangée ne lassera pas le lecteur, à moins qu’il n’ait déjà frôlé l’overdose d’égocentrisme avant cette étape.

Un dossier de Caroline Lallemand

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