Dix ans après la création de son premier studio, Sylvain Willenz lance une série limitée d’objets en verre, en coédition avec le Cirva et la galerie Victor Hunt. Une étape clé dans le parcours sans faute d’un designer bourré de talent.

Comme le vin, le design a ses toutes grandes années. Pour Sylvain Willenz, 2012 restera, à plus d’un titre, un millésime exceptionnel. Le matin de notre visite, la torpeur de l’été s’était déjà abattue dès le lever du soleil sur Bruxelles, sans réussir pourtant à étouffer le studio, blotti en arrière-cour d’un immeuble discret.  » C’est un peu mon bunker, glisse, en souriant, cet ancien diplômé du Royal College de Londres. J’ai besoin de me retirer du monde de temps en temps. Je sais, c’est un peu le cliché de l’artiste qui se retranche dans sa bulle mais c’est vraiment important pour moi de pouvoir le faire. Sinon, je suis sans cesse distrait. « 

Cela fait deux ans maintenant que le créateur bruxellois a posé ses valises et ses caisses dans ce duplex où il vit et travaille avec sa compagne et son petit garçon de deux mois et demi.  » Je ne fais pas partie de ces gens qui ont besoin de prendre le bus ou la voiture pour se mettre en condition avant d’aller au boulot, ironise Sylvain Willenz. Moi, il me suffit de descendre l’escalier et ça me convient très bien. « 

Derrière lui trône sur le mur le poster, édition 2012, de la collection complète de Cappellini, sur lequel figurent, en bonne place, ses tables Candy présentées en avril dernier lors du Salon du meuble de Milan.  » Lorsque j’ai rencontré Giulio Cappellini, à New York, pour la première fois, il y a trois ans, il m’avait donné le print de la version de l’année en cours, se rappelle Sylvain Willenz. Je l’avais affiché dans mon studio de l’époque en me jurant qu’un jour, il y aurait un meuble à moi sur ce dépliant.  » C’est aujourd’hui chose faite. Une collaboration qui a ouvert bien des portes et a surtout fait beaucoup parler de lui à l’échelon international.  » Il y a eu un « effet Cappellini », comme il y a eu un « effet Established & Sons » lorsque ces sociétés ont édité un de mes produits pour la première fois, reconnaît-il. On m’écrivait de partout pour me demander « un truc comme la lampe Torch ». Une bonne idée, un bon produit peut réellement avoir une influence sur la vie de l’entreprise qui le met en £uvre. Le fabricant de Torch a pu engager deux personnes pour le montage de mes lampes. Malheureusement, un best-seller, ça ne se crée pas sur commande. « 

Lorsqu’il regarde son travail, celui des autres designers qu’il admire comme Konstantin Grcic ou Jasper Morrison – à qui Giulio Cappellini l’a d’ailleurs comparé… -, Sylvain Willenz se dit que le secret réside sans doute dans une certaine forme de familiarité, presque de normalité.  » Réussir à ce que ce soit simple sans pour autant être ennuyeux, détaille-t-il. Une lampe comme Torch parle à tout le monde. Tout en ayant ce petit côté intrigant qui provient de sa texture et donne envie de la toucher. Simplifier, synthétiser, c’est ce qu’il y a de plus compliqué finalement. « 

Le seau en plastique que vient d’ailleurs de lui commander Xana, une entreprise belge spécialisée dans le matériel de bricolage, en est le parfait exemple.  » C’est difficile de réinventer le seau, s’exclame-t-il dans un éclat de rire. De le rendre un rien plus intéressant que ce qui existe déjà sur le marché. Alors je me suis fixé un objectif ambitieux : imaginer tout simplement le plus beau seau du monde : en termes de proportions, de petits détails. Pour y parvenir, avec mon assistant, Valérian Goalec, nous avons travaillé la texture extérieure. Je doute que les gens aient vraiment conscience de tout le boulot que nous avons mis dedans. Mais ils auront dans les mains un seau magnifique. « 

Un objet fonctionnel et accessible – dans tous les sens du terme – dont le fond portera la signature du designer bruxellois qui, en dix ans de carrière, n’a pas cessé de s’intéresser à toutes ces matières – qu’il s’agisse du caoutchouc, du plastique ou du verre – qui, au départ d’un liquide immatériel, se transforment en objet pur et dur.

DES OBJETS EN VERRE D’EXCEPTION

 » Tout a commencé au cours d’un workshop organisé par Vitra, se souvient Sylvain Willenz. Nous nous étions retrouvés en face d’un container rempli de bambous, de tous les diamètres. James Carrigan avec qui je planchais sur ce projet n’était pas plus inspiré que moi. Jusqu’à ce que nous décidions d’associer ce matériau naturel à quelque chose de synthétique et de coloré. Nous voulions créer un contraste fort. Et ça a marché ! Avec le banc et le tabouret, nous avons gagné le Grand Prix de la Biennale Interieur, en 2002. Je n’ai jamais eu autant d’articles publiés sur un objet dans le monde entier !  » Baptisée Dr. Bamboozle, cette assise hybride, présentée deux années de suite à Milan, ne trouvera pourtant jamais d’éditeur.  » C’était une erreur de vouloir lancer une production industrielle, analyse Sylvain Willenz. Ce type de pièce, plutôt expérimentale, se prêtait davantage à une édition en galerie. « 

Comme de nombreux jeunes designers, le Bruxellois de 34 ans espère aujourd’hui toucher une autre clientèle d’amateurs de beaux objets.  » Lorsque l’on crée pour un galeriste, les contraintes de production ne sont pas les mêmes qu’avec un éditeur industriel et les liens qui se tissent non plus, confesse Sylvain Willenz. Il y a une vraie demande du marché pour des pièces exceptionnelles. Mais tout le monde n’a pas la place chez lui pour un grand fauteuil en mousse au look expérimental. Je suis convaincu en revanche qu’avec des accessoires – comme les bols, les plateaux, les lampes… – il y a une vraie carte à jouer. « 

Pour faire atterrir son projet de designer en résidence au Cirva (centre international sur le verre et les arts plastiques), Sylvain Willenz a fait le choix de s’associer avec Alexis Ryngaert, propriétaire de la galerie bruxelloise Victor Hunt.  » De 2008 à 2012, je me suis rendu plusieurs fois par an à Marseille, avec pour seul cahier de charge de réussir à produire l’impossible avec du verre, explique-t-il. Les créateurs débarquent avec leurs idées. En face d’eux, ils ont les souffleurs qui en ont déjà vu d’autres et qui ne sont pas commodes à impressionner ! Les premières fois, on s’entend dire : « ah, oui, jeter des billes dans du verre en fusion, Gaetano Pesce a déjà tenté ça dans les années 80. » Et puis tout à coup, il y a quelque chose qui se passe. On arrive à éveiller l’intérêt des souffleurs. Le challenge est là. Et on fait tout ensemble pour le faire aboutir.  » De cette expérience hors du commun, documentée dans un ouvrage (1) racontant toute l’aventure en images, sont nées les tables Shift, les plateaux Blocks et les lampes Spot Light. Montrés une première fois pendant Design September, à Bruxelles, ces objets édités, bien sûr, en série limitée feront halte à Courtrai avant de s’envoler en décembre, vers la prestigieuse foire Design Miami et se poser ensuite à Dubai en 2013.

UN NOM QUI FAIT SENS

De cet apprentissage verrier, subsiste sur l’étagère qui fait face au bureau une collection d’échantillons voisinant avec quelques gadgets glanés par Sylvain Willenz au gré de ses voyages aux quatre coins du monde.  » J’adore visiter les supermarchés quand je suis à l’étranger, lâche-t-il. J’y fais toujours un détour par le rayon Enfant parce que c’est là que l’on trouve les trucs les plus dingues.  » Comme ces ballons à gonfler couverts de taches de couleurs, source d’inspiration de la version Splash très Jackson Pollock des sacs en caoutchouc Stuff. À côté d’une bougie géante en forme de botte du Père Noël –  » du genre que personne n’allume jamais « , note-t-il -, trône un porte-savon.  » Très moche, dans le rôle du porte-savon, précise Sylvain Willenz. Mais sa forme, ses lignes qui me font penser à celles d’une petite chaise longue pourraient bien m’inspirer un jour. « 

Pour faire naître un objet. Ou tout simplement le nommer. L’ultime étape, décisive, d’un processus créatif qui parfois a duré plusieurs années.  » J’essaie que ce soit court, deux ou trois syllabes, pas plus, précise Sylvain Willenz. Que ce soit malin surtout, ni cucul, ni cliché.  » La patère en nez de clown, opportunément baptisée Pif, en est un bel exemple. Pour les différentes versions de ses nouvelles lampes soufflées au Cirva, celui qui fut élu Designer de l’année en 2009 par Le Vif Weekend a même osé des références gourmandes : Cupcake, Ice, Licorice, Stracciatella. Dans le processus de fabrication, ces boules de verre sont roulées dans des filaments de différentes couleurs qui collent et se déforment sur la sphère, laissant à sa surface des motifs presque enfantins.  » Parce que mon travail est la plupart du temps très graphique, j’aime qu’il puisse aussi être léger, aléatoire même, conclut Sylvain Willenz. Tout ne doit pas toujours être « design ». Le sérieux n’empêche pas le fun, non ? « 

(1) Glassworks, Sylvain Willenz, Victor Hunt, Cirva.

PAR ISABELLE WILLOT / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

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