Depuis des siècles, ils domptent l’indicible désert du Kalahari au Botswana. Au coeur de la brousse,  » les dieux, un jour, sont tombés sur la tête « . Ils résistent difficilement à la modernité. Pour combien de temps encore ?

Six heures du matin. Le soleil semble s’être levé depuis des heures sur le désert du Kalahari, au Botswana. Pas l’ombre d’un nuage. La température avoisine déjà les 20 °C et une légère brise vient rafraîchir nos visages encore endormis. Un thé, quelques gâteaux et nous nous engageons, à pied, sur l’une des pistes qui s’étend à proximité de  » Deception Valley Lodge ». Cet ensemble de chalets sur pilotis, d’inspiration africaine et tout de bois décoré, se situe à la frontière de la  » Central Kalahari Game Reserve « , au centre du pays, immense savane épineuse dépourvue de relief et tapissée d’un sable poussiéreux aux reflets jaune et gris. Bruce, le manager de l’hôtel, nous accompagne gaiement au c£ur du bush (la brousse) repérant, ici, les traces d’une antilope, là, les longues épines d’un porc-épic abandonnées sur le sol. De part et d’autre du chemin s’étend une vaste plaine parsemée d’acacias, de mopanes (reconnaissables à leurs feuilles en forme de papillon), d’arbustes dégarnis et d’innombrables touffes d’herbes jaunies par le soleil. Il règne, à cette heure de la matinée, une quiétude des plus étonnantes. Et pourtant, il y a quelques heures encore, le rugissement des lions et le cri des hyènes se faisaient entendre dans la nuit.

Non loin de là, deux hommes, munis d’un arc et de quelques flèches, s’activent, taillant des bâtons de bois, grignotant des baies récoltées à proximité, déterrant une coquille d’£uf d’autruche remplie d’eau de pluie… Et ignorant presque notre  » intrusion  » sur leur territoire de chasse et de cueillette. A les voir si peu farouches, nous nous approchons sans complexe. Une peau claire, une petite taille (1,55 mètres en moyenne), des yeux en amande, de hautes pommettes et des cheveux crêpus rassemblés en petites touffes… Pas de doute, ces deux individus sont bien les fameux Bushmen découverts par le grand public dans  » Les dieux sont tombés sur la tête « , petit bijou du cinéma botswanais sorti sur les écrans du monde entier au début des années 1980. Souvenez-vous, cette bouteille de coca-cola qui, jetée d’un avion au-dessus du Kalahari, semait la discorde dans un village San (bushman)… Au point que Xi, chef de la tribu, décidait de se rendre  » au bout des terres  » pour s’en débarrasser…

Vêtus d’un simple pagne en peau d’autruche, Xhasé et Béré semblent tout droit sorti du film. Le premier est sec et musclé. Le second, plus dodu, arbore un ventre rebondi. Et pour cause : depuis toujours, il raffole des bouillies sucrées à base de flocon d’avoine. Pas étonnant que son prénom signifie  » porridge « , dans la langue de son peuple. Car, chez les Hwai-khwe (homme par excellence), comme ils se prénomment, les enfants ne sont jamais baptisés à la naissance. C’est au fil des comportements manifestés dès les premières années qu’on leur attribue un sobriquet, souvent amusant mais toujours pertinent. L’£il espiègle et le sourire aux lèvres, les deux Bochimans s’amusent à notre passage. A croire que la fascination qu’ils exercent sur nous, suscite chez eux l’hilarité… En les écoutant, on perçoit distinctement leurs  » clicks « , sortes de syllabes produites par claquement de la langue, qui donnent à leur dialecte ce rythme alerte et inimitable. A première vue, impossible de discerner leur âge. 20, 30 ou 40 ans ? Le savent-ils eux-mêmes ? Pourtant, il suffit de les regarder quelques instants pour entrevoir dans leurs traits l’histoire millénaire de ce peuple nomade d’afrique australe dont les nombreuses peintures rupestres, pour certaines évaluées à 25000 ans !, témoignent du riche passé. Pour s’en assurer, direction les collines de Tsodilo (inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco) au nord-ouest du pays, près de la frontière namibienne où se découvrent rhinocéros, élans, girafes et éléphants dessinés à l’ocre sur la roche, avec une extrême délicatesse, et juste signés de deux mains… Soit au total près de 4500 gravures, ultimes vestiges d’une civilisation en voie de disparition.

On ne dénombrerait en effet plus que 50000 Sans contre 300000, il y a trois cents ans. La plupart sont aujourd’hui sédentarisés, employés dans des exploitations agricoles et réduits à une vie de pauvreté en marge de la société, victimes de la prospection minière, de l’exploitation du tourisme et d’une politique d’exclusion du gouvernement. Seule une poignée, 800 au plus, subsistent encore selon leur mode de vie séculaire échappant, ainsi, au racisme, au chômage et à l’alcoolisme…

Parmi eux, la tribu Ju Hoansi, implantée au nord du Kalahari. Ici, les jours coulent doucement, sans heurt ni tragédie. Musique, discussion, câlin ou cueillette… Chacun vaque à ses occupations. Les enfants s’amusent avec des morceaux d’os, les femmes assemblent coquillages et perles de bois pour en faire des colliers. Coupés du monde et préservés des flux touristiques, ces groupes sont quasi inaccessibles. Un homme, pourtant, propose à quelques privilégiés d’intégrer leur camp le temps d’un voyage initiatique et inspiré. Son nom : Mike Penman, un Sud-Africain installé au Botswana depuis une quinzaine d’années, spécialisé dans les safaris de luxe et célèbre pour ses nombreux documentaires diffusés sur les chaînes de télévision américaines National Geographic et Discovery. Passionné par la faune et la flore depuis son plus jeune âge, ce guide naturaliste n’a peur de rien. Et surtout pas des lions qu’il approche, à quatre pattes, à près de 1,50 mètre de distance… Un véritable exploit !

Avant d’investir les villages bushmen accompagné d’étrangers,  » Mister Lion  » a dû convaincre les habitants de sa démarche et, plus encore, de sa sincérité. Il passe alors plusieurs semaines en leur compagnie, s’impliquant dans leurs activités de jour comme de nuit, les suivant à la chasse, préparant le feu, taillant le bois, apprenant l’usage de telle ou telle plante, écoutant, observant et liant, ainsi, au fil des heures, une réelle complicité.  » L’objectif était bien sûr d’amener des personnes, mais dans un souci d’intégration totale, de sorte que les Sans ne soient en rien perturbés dans leur quotidien « , se souvient Penman.

Pour les participants, l’expérience se révèle des plus authentiques. Exit le confort de la vie moderne ! Au programme : nuit dans les huttes du village, dégustation de racines et longue marche dans la brousse.  » Ici, les Bochimans ne font pas de démonstration, ni de show, ajoute- t-il. Les visiteurs s’adaptent à leur quotidien, heure par heure, jour après jour, sans jamais savoir de quoi le lendemain sera fait.  » Une occasion unique de s’initier aux coutumes ancestrales de ce peuple fascinant. Comme préparer le feu avec une poignée d’herbes sèches et quelques baguettes de bois, tanner une peau d’antilope pour réaliser un carquois, broyer les noix de mangetti pour en extraire la farine, fabriquer une corde à partir de fibres végétales, déguster le miel d’une ruche sauvage cachée dans un acacia, récolter de l’eau fraîche dans un concombre sauvage, sculpter les flèches puis les enduire du poison qui paralysera la proie, disposer dans la brousse de petits pièges à lacets pour capturer les faisans… Bref, suivre pas à pas ces hommes qui, de siècles en siècles, ne cessent de dompter cet indicible désert, dénichant l’eau là où dominent d’immenses étendues sableuses, ramassant les baies et les graines là où la sécheresse rend toute récolte impossible. Un véritable retour aux sources. Et Denis Ody de conclure dans son superbe ouvrage  » Namibie, voyage au sud de l’Afrique « , écrit avec Jacques-Yves Cousteau :  » La culture bushman disparaîtra au siècle prochain. Mais ces hommes et leurs enfants vivront et mêleront leurs épices au parfum de l’humanité.  »

Marion Tours

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