En pratique, page 8. La semaine prochaine : l’archipel des Kornati.

 » L es Seychelles, c’est le paradis terrestre d’avant la faute.  » Non, vous ne lisez pas la poésie à deux sous d’une quelconque agence de voyages voulant vendre de la plage et des cocotiers, mais un extrait du carnet de voyage du général anglais Gordon, l’un des premiers Européens à visiter, au nom de Sa Gracieuse Majesté, au XVIIe siècle, ce chapelet d’une cinquantaine d’îles échouées dans l’océan Indien entre les Maldives et Madagascar. On ignorait qu’un militaire û britannique, qui plus est û pût se montrer si lyrique, mais il est vrai qu’aujourd’hui, comme il y a quatre siècles, la beauté de l’archipel reste saisissante, tel un persistant matin du monde.

Au palmarès des îles mythiques, les Seychelles et leurs plages réputées les plus belles du monde û Anse Intendance (à Mahé), Anse Lazio (à Praslin) ou Anse Source d’argent (à La Digue) û tiennent une place de choix dans l’imaginaire des couples en voyage de noces mais aussi pour les scientifiques du monde entier, qui voient en ces terres (dont 42 % sont classées en réserve naturelle) un véritable conservatoire de la biodiversité. Forêts primaires ouvertes désormais à la visite, glacis à l’atmosphère étrange, comme suspendu au-dessus de profondeurs outremer, monts entiers plantés de grandioses sandragons ou de takamakas centenaires au parfum de caramel. La luxuriante nature seychelloise invite les voyageurs à passer de l’autre côté de la carte postale et à s’éloigner des rivages bordés de cocotiers. Des cocotiers, d’ailleurs, de moins en moins nombreux. Explication de Beate Sacke, naturaliste allemande employée sur l’île privée de Frégate (voisine de Mahé, l’île principale) pour un projet pilote de conservation.  » Comme la découverte de l’archipel a été tardive, l’impact de l’être humain sur le milieu a été quasi inexistant, du moins au c£ur des terres. En revanche, sur les zones côtières, les propriétaires ont planté des cocoteraies avec des arbres venus du Pacifique afin de produire de l’huile de coprah. Lorsque les exploitations ont été abandonnées, au XXe siècle, les espaces colonisés par le cocotier se sont étendus. A présent, nous cherchons à réduire leur nombre « , indique la jeune femme en arrachant sans peine du sol sablonneux un arbuste d’un bon mètre. Cet hôte envahissant risquait de détruire l’habitat de nombre d’espèces, désormais protégées. Le projet de Frégate en est à sa huitième année et, ici comme sur les autres îles, la forêt regagne le terrain perdu au siècle dernier : bois citron piqué d’odorantes petites fleurs blanches, badamier aux fruits sucrés, takamaka ou encore figuier… Par cette riche végétation alléchée, la pie chanteuse ou l’oiseau-lunette, espèces endémiques en voie de disparition il y a dix ans, se sont réimplantés et forment désormais de véritables petites colonies.

Quittons l’île de Frégate pour Mahé, première terre de l’archipel. Victoria, la capitale de poche du pays, blottit ses maisons créoles autour de la Clock Tower, une réplique de Big Ben. De là, une route grimpe entre les habitations, s’accroche aux terrasses, vire et tourne à l’assaut du morne qui surplombe la ville. Suivons cette voie buissonnière, joliment appelée  » chemin du Sans-Souci « . La côte devient plus raide cependant que nous nous enfonçons dans le parc naturel du Morne seychellois (qui représente 20 % de la surface de Mahé et culmine à près de 1 000 mètres). A 10 kilomètres des plages, la lumière peine à trouer les frondaisons des arbres millénaires. Là, au bord de la route, qui n’est plus guère qu’un fin chemin de goudron jonché de feuilles, nous attend Roy Youpa, l’un des guides choisis par le ministère de l’Environnement pour accompagner les visiteurs.  » Nous sommes ici en zone protégée. Jusqu’à il y a deux ans, seuls des chercheurs mandatés par l’Office national des forêts pouvaient espérer grimper à Congo Rouge, le but de notre promenade « , explique Roy tout en saisissant une  » Sooglossus gardineri « , une minuscule grenouille de la taille d’un ongle û espèce spécifique à la forêt de Mahé. La balade débute par une traversée de la forêt secondaire qui raconte aussi l’histoire coloniale du pays. Dans les pas de Pierre Poivre, les colons implantèrent, avec succès, des épices dans la zone humide de l’île. A l’heure du matin où la tiédeur monte de la mer pour exhaler les parfums de la forêt, les volutes poivrées des graines de cardamome se mélangent aux parfums médicinaux de la girofle ou à ceux, plus veloutés, des écorces de cannelle…

Mahé entre terre et mer

Le ministère de l’Environnement a ainsi balisé une dizaine de sentiers de randonnée sur Mahé, de la petite promenade d’une heure à la traversée entière de l’île. La variété des paysages est immense ; à Copolia, les roches anthracite, lunaires, se couvrent d’un tapis couleur rubis et pourpre, que l’on croirait de velours ; ce sont de délicates petites fleurs carnivores qui éclosent à la moindre ondée. A Mare aux cochons, au centre de l’île, la forêt tropicale s’ouvre sur une large pelouse grasse et verte où trônent les ruines d’une mission. Pour atteindre la crique d’Anse Major, au nord-ouest de Mahé, on doit suivre un vertigineux sentier accroché à la falaise où figurent encore, en lettres de sang, les cryptogrammes laissés par les pirates, longtemps maîtres de ces eaux…

Moins aventureuse est, à Praslin, deuxième île de l’archipel, la balade au c£ur de la vallée de Mai, classée au Patrimoine mondial de l’humanité. Victorin Laboudallon accompagne le visiteur à la découverte de cet écosystème unique au monde : une forêt de cocos de mer, palmiers endémiques de Praslin, sexués et qui produisent des noix aux formes suggestives (appelées aussi cocos-fesses). Aujourd’hui, la réserve compte 6 745 de ces arbres mais aussi nombre de pandanus, vacoas, lataniers millepattes, capucins ou calices du pape. Si la vallée de Mai est une étape du circuit touristique habituel, les chemins de traverse sur lesquels Victorin entraîne ses compagnons sont tout sauf fréquentés : la plaine des Hollandais et ses orangers plantés par les (brefs) colonisateurs ou la traversée de La Digue (la troisième île de l’archipel, située à une demi-heure de bateau de Praslin) par un sentier tortueux qui part, à l’ouest, du lagon et rallie la côte est par une forêt de takamakas géants…

A travers feuillages et palmes mêlés, on aperçoit, au bout du sentier, une trouée bleue, un écran de lumière, comme un vertige. Et, gansant l’océan Indien, les plus belles plages du monde. Bien méritées.

Céline Lis

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