Carole Andrieux-Favart De l’influence des couleurs et des matières
Le but principal de ce top designer ? Définir les tendances de demain pour que Renault construise pile-poil les habitacles du futur. Rencontre Avec Carole Andrieux-Favart, véritable pythie des temps modernes au Technocentre de Renault, à Guyancourt.
Le coeur névralgique de Renault bat depuis peu dans l’énorme vaisseau tout blanc de son Technocentre situé dans la vaste plaine de Guyancourt, près de Paris. Neuf mille personnes y travaillent dans différentes parties des bâtiments soigneusement délimités en zones de sécurité. La partie consacrée au design est classée sécurité maximale. Dans cet espace ultra-secret, où l’on se méfie de tout étranger trop curieux, travaillent 310 designers. Le département couleurs, matières et graphisme comprend 70 designers de 18 nationalités différentes et affichant 32 ans de moyenne d’âge. Les coloris ou les matériaux qui se retrouveront, dans un avenir proche, dans les habitacles des modèles Renault sont définis en ces lieux.
Carole Andrieux-Favart, 42 ans, dirige cette unité, dépendant hiérarchiquement de Patrick Le Quément, le directeur du design industriel de Renault, lui-même sous les ordres du très médiatique Louis Schweitzer, le grand patron de la marque française. Une hiérarchie extrêmement serrée définissant bien l’importance vitale du département couleurs, matières et graphisme.
Comment devient-on gourou des tendances et quels sont les projets futurs ? Pour la première partie de la question, Carole Andrieux-Favart se montre très prolixe. Concurrence oblige, elle reste cependant muette quant à l’avenir de son département. Une seule réflexion lui échappera cependant : l’avenir de Renault s’annonce très favorable…
Weekend Le Vif/L’Express: Depuis quand travaillez-vous pour Renault et quel est votre parcours professionnel?
Carole Andrieux-Favart: Je travaille chez Renault depuis plus d’un an. Auparavant, et durant une dizaine d’années, j’ai eu ma propre agence de design. Je travaillais sur trois domaines. Le premier relevait de l’aéronautique. Ce qui explique, en partie, ma présence ici puisque l’automobile et l’aéronautique sont tous deux des mondes consacrés au transport, avec de nombreux points communs comme celui des sièges par exemple. Le deuxième domaine concernait le conseil au niveau stratégie design et couleurs pour des agences extérieures. Il s’agissait surtout d’être à l’écoute des tendances et de savoir décoder les messages issus des cabinets tendances du secteur de la mode. Un milieu non pas hermétique mais un peu éloigné des réalités concrètes pour certains industriels. Le troisième domaine, lui, faisait plutôt partie du monde du graphisme.
Parmi vos clients y avait-il de grands noms?
Pour l’aviation, j’ai travaillé pour des bureaux d’experts travaillant pour Air France. Pour l’aviation d’affaires, je peux citer Dassault Aviation et Dassault Falcon Service et Jet Aviation, une société suisse. Dans les autres secteurs, disons que c’était plutôt du graphisme sur produits comme pour Vedette (électroménager français) ou Lacoste lunettes. Pour Lacoste, le job consistait, par exemple, à faire passer discrètement la marque au travers des charnières de lunettes. France Telecom a été également l’un de mes clients: toujours au niveau du graphisme.
Quel projet avez-vous rejoint quand vous êtes arrivée chez Renault?
J’ai rejoint le projet de l’Avantime. Projet qui était pratiquement terminé puisque notre rôle s’arrête souvent plus d’un an avant la sortie commerciale du véhicule. Pour l’Avantime, mon travail a été très ponctuel. Il y a cependant une intervention que je peux revendiquer même si c’est vraiment de l’ordre du détail. Ainsi au niveau des sièges, le tout premier projet proposait le mariage de deux cuirs: un cuir lisse et un cuir possédant un grain plus affirmé. Le dernier projet prévoyait finalement de fabriquer des sièges au cuir uniformément lisse. Une solution que je trouvais trop classique pour une voiture aussi anticonformiste. Grâce à mon intervention, on est revenu au projet initial mariant les deux cuirs.
Et actuellement?
Mon rôle n’est pas de travailler sur un projet unique. Il consiste plutôt à assurer une direction artistique. Je chapeaute des designers qui se trouvent sur plusieurs projets. A moi de leur apporter une certaine direction ou plutôt une » philosophie design » vers laquelle ils doivent ou non aller. Je dois aussi veiller à faire respecter l’identité de Renault par rapport aux autres marques du groupe (Nissan et Samsung). Après ce travail sur l’identité et comment la traduire, je dois aussi penser à rationaliser les coûts sur l’ensemble de la production. La deuxième partie de mon travail consiste, elle, à anticiper les couleurs et les matières de demain. Pour moi, l’utilisation de nouvelles matières est très importante car c’est un des élements de la création qui permettent vraiment de voir si il y a innovation dans le domaine de l’automobile.
Quand pourra-t-on concrètement voir votre » griffe « ?
La vie d’un projet est très longue. On ne commencera à sentir mon influence que dans trois, quatre ou cinq ans. Si on veut innover dans un domaine, il faut s’y prendre énormément à l’avance. Aujourd’hui, nous pensons à ce qui pourra exister dans dix ans. Il faut aussi que cette pensée tournée vers l’avenir soit différente de ce que peut imaginer la concurrence. Ce travail est une longue réflexion qu’il faut partager avec les autres directions au sein de Renault comme celle de la recherche, par exemple.
Où trouvez-vous principalement votre inspiration?
Il s’agit d’être à l’écoute de tous les secteurs s’occupant de la création. Avoir un regard à 360 degrés. Suivre tout à la fois ce qui se fait au niveau de l’architecture, de la concurrence, la mode, la vidéo, la hi-fi, l’électroménager qui possède un cycle de création très rapide, la recherche médicale qui innove beaucoup dans le domaine des matériaux, du spatial ou encore des sports de l’extrême où de nouveaux textiles apparaissent. A partir de cela, il faut tout analyser et savoir décoder. Certaines tendances seront rapidement exploitées car elles correspondent parfaitement à l’identité que nous voulons imprimer à la marque Renault.
La carte rétro est déjà exploitée par la concurrence comme Chrysler avec sa PT Cruiser ou Volkswagen avec la Beetle. Est-ce une tendance qui sera suivie par Renault?
Cela n’a jamais été la philosophie de Renault. Notre marque se veut visionnaire et audacieuse. Nous voulons être des » créateurs d’automobile « , c’est-à-dire aller de l’avant sans toutefois renier le passé. Un exemple? Notre Vel Satis (elle sera présentée au Salon de l’automobile de Bruxelles en 2002) est un modèle très précurseur mais il reprend des valeurs du passé de Renault. Ainsi, c’est une grande berline qui possède un côté très spacieux comme on les concevait dans les années 1920 ou 1930.
En tant que directeur chargé des matières et des couleurs, comment définiriez vous l’intérieur de la Vel Satis,
En reprenant les paroles de Patrick Le Quément: la Vel Satis est une voiture moderne et Art déco. Son intérieur est très sobre mais les matériaux utilisés sont de très grande qualité. Ainsi, le bois proposé répond-il à l’attente des clients de ce haut de gamme. Il possède une finition de bois ciré et plus satiné avec une marquetterie extrêmement sobre. Marquetterie rendue contemporaine car dans le bois plus blond et rosé on y a mis des petits carrés de bois d’essence plus sombre. Cette façon de travailler le vrai bois n’a jamais été faite auparavant. C’est dès lors une innovation dans une matière plus classique.
D’après vous, quel est le public cible de la Vel Satis?
C’est une voiture non conformiste pour des personnes exigeantes au niveau du haut de gamme. Des hommes en majorité de 40 à 50 ans qui recherchent le confort tout en étant sensibles à un intérieur sobre mais de grande qualité. Pour se démarquer de la concurrence haut de gamme comme Mercedes, BMW ou Audi, il fallait que Renault présente quelque chose de différent et de plus personnalisé. Je peux vous assurer qu’en voyant la Vel Satis les gens ne resteront pas indifférents. Qu’elle soit ou non appréciée par le public, elle créera un choc visuel. Cela n’engage que moi, mais je suis persuadée que cette voiture va extrêmement bien marcher car elle sort vraiment de la banalité. C’est un véhicule qui a vraiment du charisme.
Dans la publicité télévisée pour l’Avantime, Renault met en scène Jean Paul Gaultier. Avez-vous des contacts privilégiés avec lui?
Après diffusion de cette publicité beaucoup de personnes m’ont posé la question, mais il n’y a aucune collaboration entre lui et Renault. Cela ne veut pas dire que nous ne fréquentons pas le milieu de la mode. Dans notre équipe, 50% des designers sont issus du monde textile. Plus que les défilés de mode, nous suivons plutôt les salons en amont qui présentent les nouveaux coloris et textiles. Quand viennent les collections, il est déjà trop tard pour nous.
Quel a été votre première voiture et quel était sa couleur?
Ma première voiture était un coupé Peugeot 204 gris métallisé que j’ai hérité de mes parents. Ensuite… j’épinglerais mon Audi A4. Dans mes choix automobiles précédents, il y a eu peu de voitures françaises. A l’époque, je dois avouer que les intérieurs de celles-ci ne me plaisaient pas trop. Cela étant dit, et sans dévoiler nos secrets, je peux vous dire que je suis ravie de voir les prochaines réalisations de Renault en cette matière. Renault va vraiment faire un bond en avant. Premier choc: la Vel Satis…
Propos recueillis par Chantal Piret
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