Graphique et ludique, le design de Sylvain Willenz a ce petit supplément d’âme qui vous donne envie de lui ouvrir votre porte. Jusqu’au 3 janvier 2010, Grand-Hornu Images vous invite à découvrir ses objets élégants teintés de fantaisie. Parmi eux, la lampe Torch, créée pour Established & Sons et déclinée aussi en rouge vif, tout spécialement pour Le Vif Weekend.

Ne pas se fier aux apparences. Sous ses allures de dandy cool, Sylvain Willenz est un garçon déterminé. Prêt à prendre le temps de trouver sa voie, de faire les bons choix. Refusant de se perdre dans une foultitude de projets, de recycler ses bonnes idées d’un éditeur à l’autre, il a su poser les jalons d’une carrière plus que prometteuse. Son style graphique, nourri de sa passion pour les cartoons américains et les BD alternatives de L’Association, a séduit, l’an dernier, l’éditeur british et pointu Established & Sons. Sa lampe Torch (ci-dessous) est rapidement devenue l’un de leurs best-sellers. Disponible à l’origine en gris clair et en noir, elle s’habillera bientôt de rouge – LA couleur fashion de cet hiver – et sera proposée en prévente exclusive pour les lecteurs du Vif Weekend ( lire page 36). Conforté par ce succès, le designer bruxellois a intégré la dream team d’E&S – qui réunit des pointures comme Zaha Hadid, les frères Bouroullec ou encore Jaime Hayon – et planche déjà, pour le fabricant londonien, sur un troisième projet de lampe qui sera présenté au Salon du meuble de Milan en 2010.

 » Cela ne nous intéresse pas de travailler en one shot avec nos créateurs, justifie Maurizio Mussati, directeur artistique d’E&S. Nous recherchons des gens capables de s’inscrire dans la durée, de proposer des projets cohérents avec la ligne d’Established & Sons. Sylvain est encore très jeune mais il correspond tout à fait à ce profil. Dans sa démarche, il est proche d’un Jasper Morrison qui d’ailleurs collabore avec nous. « 

Fort du soutien de ce label très en vue, l’ancien étudiant du Royal College of Art, à Londres, poursuit en parallèle l’autoédition de quelques produits  » signature  » comme les miroirs Slide à effet d’optique, très prisés des architectes, et les sacs Stuff en caoutchouc. Un matériau tout simple en apparence qui lui a donné pas mal de fil à retordre.  » C’est une matière extraordinaire mais terriblement complexe, insiste Sylvain Willenz. En essayant de l’apprivoiser, j’ai appris énormément de choses et tiré profit de mes erreurs !  » Séduite par sa rigueur et sa persévérance, Françoise Guichon, directrice du CIRVA (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques) lui a d’ailleurs proposé d’être le prochain artiste en résidence du laboratoire marseillais.  » Ce que je fais là, c’est vraiment de la recherche pure mais cela nourrit tout mon travail, poursuit Sylvain Willenz. C’est essentiel pour moi de poursuivre cette démarche expérimentale même si j’aime aussi l’idée de développer des produits comme les disques durs que j’ai créés pour Freecom.  » Des objets destinés à une production et une distribution à très grande échelle.  » On sent chez Sylvain Willenz un enthousiasme et une conviction réjouissants « , soulignait en juin dernier le rapport du jury du Designer de l’année, regroupant les rédactions du Vif Weekend et de Knack Weekend, la Fondation Interieur et les directions du Design Museum de Gand et de Grand-Hornu Images. Une envie aussi de partager sa passion, de dévoiler le dessous des cartes d’un métier de plus en plus médiatisé mais dont le grand public connaît bien peu les enjeux. Intitulée Open Grounds, l’exposition qui se tient jusqu’au 3 janvier 2010 au Grand-Hornu Images lui en offre une superbe occasion. Explication.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir designer ?

Tout petit, déjà, j’aimais bricoler des trucs et des machins. Je n’étais pas comme les autres gamins. J’ai toujours eu horreur des jeux vidéo et des jeux de société, surtout les jeux de cartes ! Quand j’étais ado, je suis tombé sur un bouquin qui parlait de Philippe Starck. Et je me suis dis :  » Ouaw ! C’est intéressant ce métier. Un jour tu peux dessiner des intérieurs d’avion et le lendemain des presse-fruits.  » J’ai pris conscience du fait que derrière chaque objet qui nous entoure, il y a forcément quelqu’un qui l’a conçu.

Pour créer, il faut des idées. Avez-vous une technique, une stratégie ?

Il y a un moment où je sens que cela devient urgent. Et mon cerveau obtempère sous la pression. Je m’isole dans ma bulle, souvent le soir d’ailleurs. Je reste tard à l’atelier. Je coupe l’ordi, il fait plus calme. Les idées viennent même si cela n’aboutit pas toujours à quelque chose de concret.

Y a-t-il un  » style  » Sylvain Willenz ?

J’ai toujours été attiré par la BD, par l’illustration. Et là, je me rends compte que les objets que je crée aujourd’hui ont un petit côté cartoon. Les lampes Torch, la collection de meubles Candy sont très graphiques. J’aime imaginer quelque chose d’hypersimple, un peu archétypal : familier sans pour autant se résumer à une interprétation cucul et littérale d’une lampe ou d’une table. Que ce soit sophistiqué mais lisible. Pas envahissant visuellement ou conceptuellement. Je viens de passer par une phase où je me régalais tous les dimanches matin de vieux Disney sur YouTube. J’en ai tiré des petits portemanteaux rigolos, tout ronds, on dirait le nez de Goofy. Une chaise aussi que j’ai appelée Home Run et qui sera présentée par l’éditeur japonais Karimoku lors du prochain salon 100 % design de Tokyo.

Cela fait seulement cinq ans que vous avez ouvert votre studio. Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre travail ?

Je sais aujourd’hui que ce qui m’intéresse, c’est de créer de vrais objets même lorsque je mène un projet personnel plus expérimental destiné à être édité en série limitée, par exemple dans une galerie. J’ai envie d’être dans la réalité, de répondre à de vraies attentes et que les gens se servent de mes meubles au quotidien. A l’avenir j’aimerais me partager entre le travail pour des éditeurs comme Established & Sons et des projets de design industriel purs et durs où l’on parle de millions d’unités produites comme celui que j’ai mené cette année avec Freecom. Tout en poursuivant mes recherches plus expérimentales et l’autoédition de certains objets. Ce sont trois volets bien distincts mais je ne pourrais pas imaginer de me cantonner àun seul d’entre eux. Ce qui est intéressant c’est justement de mélanger les angles d’approche. De plancher un jour sur le design d’un disque dur très nerdy et un autre sur des portemanteaux simples et légers. Aussi, j’apprends toujours énormément de mes recherches fondamentales et de mes erreurs surtout !

Pour arriver à Torch, il fallait donc passer par les bancs Dr B. et la lampe Milkà

On peut dire ça. J’aime l’idée que mes objets deviennent de plus en plus discrets. Quand j’ai créé Torch, je voulais une lampe épurée au maximum mais innovante, tant dans son procédé de fabrication que dans son utilisation. Que ce soit un challenge intéressant pour l’éditeur aussi. Pas seulement un truc haut de gamme, fou et biscornu. J’ai beaucoup travaillé le caoutchouc. En commençant par Dr B ( NDLR : des bancs faits de bambous trempés dans du caoutchouc) qui n’était pas un vrai produit industrialisable. J’ai poursuivi mes expériences avec les lampes Milk et InnerTube, toutes deux intéressantes mais une nouvelle fois, techniquement, je n’arrivais pas à atteindre la perfection. C’est en travaillant sur le procédé de fabrication par trempage de mes sacs Stuff – un geste tout simple finalement – que j’ai réalisé que je tenais un vrai produit. Et j’ai appliqué la même démarche – réfléchir sur une matière, un procédé – à la conception de la lampe Torch.

En quoi votre expérience avec les ouvriers verriers du CIRVA vous aide-t-elle dans votre travail de designer industriel ?

J’ai commencé par des recherches purement expérimentales sur le verre mais, dès le départ, j’avais l’envie d’aboutir à un produit qui ne soit ni un plat ni un vase en verre. Je m’étais juré de ne pas faire cela. Et là je commence à sentir un objet. J’aimais relever ce challenge de devoir trouver autre chose. Et je suis donc tombé sur une idée de luminaire qui a priori sera plutôt destiné à une production limitée et une diffusion en galerie. Mais je peux aussi en user pour la mise en £uvre d’autres produits. Ce que j’ai découvert à Marseille, je vais peut-être l’adapter avec E&S dans une version industrielle.

Vous sortez du Royal College of Art de Londres. C’est une sacrée carte de visite ! On peut imaginer qu’elle aide à ouvrir des portes dans un secteur plutôt concurrentielà

C’est bien plus qu’une carte de visite ! Dans la vie comme en design, c’est important d’arriver à cerner qui l’on est. Et c’est avant tout ce que l’on y apprend. Vous avez face à vous des profs très actifs dans le monde du design qui sont là pour vous encourager à montrer ce que vous avez dans les tripes. Vous arrivez là, très confiant : vous avez été accepté au Royal College. Et vous vous retrouvez avec 400 autres élèves qui ont tous des personnalités incroyables, faces à des profs qui font un boulot formidable, donc forcément, vous vous remettez en question. On vous demande de tout justifier :  » Pourquoi faites-vous ceci, que pensez-vous de cela ?  » C’est dur mais c’est aussi très fun. Regardez qui est passé par là : des gens comme Konstantin Grcic ou Jasper Morrison, des designers uniques dans leur approche. Et que j’admire vraiment.

Ce background a-t-il facilité vos contacts avec Established & Sons ?

Je n’ai jamais eu envie de mener 10 000 projets en parallèle avec plein de petits éditeurs. Je m’étais toujours fixé pour objectif de décrocher quelques beaux projets, de m’y consacrer pleinement et d’être vraiment content de moi et du résultat. D’être fier aussi des éditeurs avec lesquels cela se ferait. En ce sens, E&S, c’était parfait pour moi. Les fondateurs avaient tous fait leurs études ensemble au Royal College justement. Il y règne un esprit très  » London calling  » dont je me sens très proche, car j’ai passé sept ans de ma vie là-bas. Ils ont peut-être ressenti cela chez moi.

La crise économique impose aux éditeurs de revoir leur manière de travailler, leurs priorités. A-t-elle modifié votre approche du métier ?

Elle est en tout cas à l’origine de la collection Candy que j’ai montrée au Salon du meuble en avril dernier. Je sentais que l’ambiance de Milan serait plus calme, plus sobre, moins exubérante et moins décadente que les années précédentes. La barre de fer à béton me trottait dans la tête depuis un petit bout de temps, sa forme me plaisait, son côté brut de décoffrage aussi. J’aimais le fait que ce soit l’acier le moins cher du marché qui rouille lorsqu’il n’est pas traité. J’ai eu envie d’en faire la structure portante de mes meubles, d’offrir à ce matériau un certain raffinement en l’habillant de peinture laquée, brillante à un point tel que l’on la dirait encore fraîche. Par amour de l’incongru sans doute. Mais j’y travaille toujours. J’espère que cette collection pourra un jour être éditée.

Par Isabelle Willot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content