Aux états-Unis, la créatrice française Catherine Malandrino fait un tabac. En Europe, elle tisse la toile de sa renommée. Rencontre avec une Latine d’outre-Atlantique dont le cour et le style balancent entre deux continents.

Avec sa silhouette de liane, ses grands yeux perçants et son casque de cheveux noirs, Catherine Malandrino est un personnage à part dans le paysage de la mode internationale. Née à Grenoble voici trente-sept ans, elle a étudié le stylisme à Esmod, à Nice d’abord, à Paris ensuite, puis fourbi ses premières armes auprès de grands noms de la haute couture comme Louis Féraud et Emanuel Ungaro. Passant sans se froisser de la couture au prêt-à-porter casual chic, Catherine Malandrino sera directrice artistique du label hexagonal Et Vous pendant deux ans. Pour la jeune femme, l’aventure de l’allure prendra un tournant décisif en 1998 lorsqu’elle met le cap sur les Etats-Unis et New York où elle a rencontré l’amour de sa vie. Dans un premier temps, elle travaillera aux côtés de la créatrice Diane von Furstenberg,  » émigrée  » comme elle et célèbre notamment pour sa robe-portefeuille aux débuts des années 1970. A l’aube du IIIe millénaire, Catherine décide de faire cavalier seul et lance sa ligne éponyme à SoHo (Catherine Malandrino pour le jour et Malandrino Limited Edition pour le soir). Très vite, les célébrités craquent pour le style de la  » designer from Paris  » qui mêle subtilement les caractères vestimentaires new-yorkais au plus pur esprit parisien, avec, en toile de fond, un sens aigu de la liberté et de la féminité sans chichis. Ses silhouettes aussi spontanées qu’audacieuses où le rêve flirte allègrement avec le quotidien, son approche mi-sexy mi-nonchalante de la femme se retrouvent indifféremment sur le dos de Madonna, Demi Moore, Uma Thurman, Nicole Kidman, Sharon Stone, Julia Roberts, Drew Barrymore, Sarah Jessica Parker, Angelina Jolie et Halle Berry. Et font la Une des magazines fashion les plus en vogue. Bref, une approche moderne et un brin rock-chic du vêtement, qui permet aux silhouettes signées Malandrino d’être aisément repérables dans la rue. A l’image de sa collection de l’été 2004 où le côté urbain des tenues (robes chemisiers, petits corsages, jupes longueur genou, tailleurs, trenchs, etc.) bascule vers une approche glamour grâce, notamment, aux couleurs gourmandes et précieuses, et aux tissus tels que la soie, la mousseline ou le satin.

Aujourd’hui à la tête d’une structure petite mais solide û Catherine tient à son autonomie comme à la prunelle de ses yeux û, la créatrice qui possède des points de vente à New York, à Los Angeles, au Japon, en Russie, en Grande-Bretagne et un peu partout en Europe, a moult projets en tête. Comme celui d’ouvrir un flagship store sur Paris par exemple ou celui de donner de l’étoffe à sa ligne d’accessoires. Sur elle-même et sur sa carrière, c’est-à-dire quasi une seule et même chose, Miss Malandrino parle avec entrain, boostée qu’elle est par ses racines romanes et le dynamisme détonnant de la Big Apple.

Weekend Le Vif/L’Express : Que représentent pour vous les notions de mode et d’élégance ?

Catherine Malandrino : J’estime que la mode est une forme d’expression, un lifestyle, un mode de vie absolument nécessaire dans notre société. La mode permet aux femmes de communiquer entre elles mais aussi de mieux se connaître et de développer à leur avantage leur identité. Quant à l’élégance, je pense qu’il s’agit d’une chose innée, d’une perception spontanée. Au-delà du vêtement, c’est une façon bien particulière de le porter. Cette façon évolue d’ailleurs avec les codes de notre société par rapport à ce que l’on s’autorise en matière de provocation, de nonchalance, de distinction ou de sérieux.

Comment définiriez-vous votre style ?

Même en résidant aux Etats-Unis, j’ai conservé une culture ancrée dans un univers français passé. En fait, je m’inspire de femmes qui ont véhiculé un certain genre d’élégance et qui sont toujours mes muses, comme Anouk Aimée ou Catherine Deneuve. J’essaie de transcrire leur identité dans une époque qui a complètement changé, avec de nouveaux codes tels que le luxe ou la nonchalance, et une élégance typiquement parisienne qui s’imprègne cependant du côté casual, fonctionnel et pratique propre à la civilisation américaine. Cela dit, je n’ai pas l’impression de confondre mon style avec celui, très sobre, d’un Marc Jacobs ou d’un Michael Kors, par exemple. Personnellement, j’effectue une approche simple du vêtement. Un vêtement pensé pour être vécu, pour être porté au rythme de l’énergie de la ville. Voilà pourquoi je vais privilégier des pièces de référence comme les robes chemisiers, les trench-coats ou les tailleurs. Ces références sont toujours de type couture parce que liées à mes racines françaises. Je ne pourrais me détacher de créateurs que j’admire profondément comme Coco Chanel qui a libéré l’attitude des femmes par rapport au vêtement destiné à être vécu, comme Yves Saint Laurent et son côté flamboyant et comme Azzedine Alaïa et ses coupes royales. Chaque pièce que j’aborde porte la trace de ce background couture.

Quelle serait votre devise en tant que créatrice de mode ?

Ce serait  » Liberté, Féminité, Universalité « , parce que je suis une designer française qui vit à New York, et que je travaille avec différents codes qui viennent de deux univers très différents. En matière de mode, il y a aujourd’hui une grande universalité, une abolition des frontières entre les différentes capitales du style. Tous ces codes de l’allure se mélangent harmonieusement et créent un grand collage, très riche. Ce collage, cette pluralité, je crois que je les symbolise assez bien par cette démarche qui est partie de Paris vers New York, avec mes origines à la fois italiennes et espagnoles. Malgré tout, je reste très Parisienne ; aux yeux des Américains, j’incarne cette élégance franco-française ; je suis  » the designer from Paris « .

Quelles sont vos pièces fétiches, vos modèles favoris dans la collection de l’été 2004 ?

J’ai un faible pour la robe chemisier travaillée en mousseline de soie, ce qui réfère à un style couture et léger, avec des bords-côtes en coton pour le côté pratique et un boutonnage de haut en bas qui accentue la féminité du vêtement. Cette robe chemisier symbolise parfaitement, à mes yeux, le mélange des cultures, au même titre d’ailleurs que le trench-coat ou le tailleur-jupe. Je mets toujours l’accent sur les matériaux naturels comme la soie, le satin, le cachemire, le cuir très fin et souple, la mousseline de soie, etc. ( NDLR : Catherine Malandrino choisit ses tissus et fait fabriquer ses vêtements en France et en Italie) parce que leur toucher se rapproche de la peau des femmes et que leur interprétation en lignes et en volumes demeure très proche du corps.

Vous travaillez en petite structure. N’avez-vous jamais été tentée de rejoindre un grand groupe du luxe français ou américain ?

Ma structure est modeste car j’aime l’idée d’individualité dans mon travail. Il règne dans mon entreprise une ambiance familiale à laquelle je tiens beaucoup : c’est une manière de privilégier notre culture propre, notre créativité et par-delà, la voie vers le succès. Je ne veux pas entrer dans des écoles strictes de marketing ; nous forgeons nos propres règles au sein de notre cellule. Cela dit, je pourrais très bien, dès demain, ouvrir mon équipe à d’autres talents et d’autres partenaires. J’ai envie que cette famille s’agrandisse tout en conservant sa dimension humaine. Nous avons d’ailleurs signé des accords de licences au Japon et en Europe et nous avons conclu des accords avec des partenaires sur le Vieux Continent, qui vont aider à comprendre qui est Catherine Malandrino et ce qu’elle fait en Amérique. Je suis également en train de développer une ligne d’accessoires : nous avons commencé avec quelques pièces ciblées (chaussures, sacs, ceintures…) dans notre collection de l’été 2004 et nous serons en mesure de livrer une gamme complète d’accessoires dès le printemps 2005. Au mois de mai prochain, nous allons ouvrir un autre magasin à New York, dans le Meat Packing District, le nouveau quartier à la mode tandis que Paris, où nous avons pas mal de points de vente, demeure notre objectif numéro un pour l’année prochaine car nous avons l’intention d’y ouvrir un magasin à l’enseigne.

Vous avez choisi de vivre et de travailler à New York depuis six ans. Pourquoi cette ville en particulier ?

Eh bien tout est parti d’un coup de foudre autant pour la ville que pour un homme que j’y ai rencontré et qui est devenu depuis lors mon compagnon. Vous savez, New York est une cité qui vous choisit plus que vous ne la choisissez. Ella va tellement vite et vous ne pouvez pas l’obliger à vous adopter. Mais si le courant passe, alors elle vous ouvre les bras et vous comprenez que vous y avez votre place, que vous allez vous y épanouir. Moi, la ville m’a prise dans ses bras en 1998 et c’est pour cela que j’ai envie d’y rester.

L’énergie et le cosmopolitisme inhérents à New York sont-ils des conditions sine qua non pour effectuer votre travail ?

Absolument ! C’est une source permanente d’inspiration. Chaque jour, New York me nourrit, elle me donne envie d’avancer. Le matin, j’arrive dans mon studio de SoHo avec dix mille idées nouvelles que m’a données la ville en la parcourant. Je ne pense pas que je pourrais fournir le même travail si j’étais basée à Paris ; cette cité est chère à mon c£ur, bien sûr, mais je n’aurais pas la même adoration frénétique pour la ville que je ressens ici. Ce qui ne m’empêche pas de garder précieusement mes bases et mes racines profondément ancrées dans l’atmosphère parisienne. Plus que New-Yorkaise ou Française, je me considère avant tout comme une citoyenne du monde.

Vous êtes la seule Française à avoir réussi sous son nom dans la mode aux Etats-Unis. Votre impression ?

J’ai choisi la mode comme un mode de vie. C’est un type d’existence qui m’apporte beaucoup de succès, de joie, de challenges. Au-delà de mon aboutissement professionnel, c’est une vie qui me convient à merveille. Pour moi, la mode est comme une maladie positivement incurable, un  » mal  » magnifique qui m’a saisie très jeune et dont je ne guérirai probablement jamais. La mode me possède entièrement et je crois que je ne puis m’épanouir que dans ce que j’ai choisi. Même si, au départ, je n’étais pas vraiment préparée à entamer un parcours de mode, petite gamine de province que j’étais sans réelle connaissance de ce milieu, hormis une élégance innée émanant de ma mère et de ma grand-mère. Cependant, très tôt, j’ai eu le sentiment que la mode pouvait véhiculer un vrai message. Du coup, j’ai entamé des études chez Esmod à Nice, puis à Paris. Si je n’avais pas opté pour le stylisme, j’aurais de toute façon cherché à m’exprimer à travers une discipline créative comme l’architecture ou la décoration intérieure par exemple.

Quelles influences ont sur votre travail actuel les missions que vous avez exécutées dans les grandes maisons parisiennes ?

J’ai eu la chance de travailler dans l’atelier de couture de Louis Féraud et j’y ai appris énormément au niveau de la perception des couleurs, de la manière d’avancer dans une collection et d’envisager les créations à l’aune de l’individualité. Avec Emanuel Ungaro, j’ai entre autres abordé la technique des coupes ultraféminines. Et ces missions ont compté en grande partie dans le bagage que j’ai apporté avec moi à New York. L’approche couture du vêtement, le soin du détail, les coupes destinées à embellir le corps de la femme font partie de mon langage de mode, où le vêtement doit être beau car il a la charge de rendre la femme encore plus belle. Et ce langage, je l’ai adapté à une certaine désinvolture américaine. De mon travail pour la marque casual chic Et Vous, j’ai retiré une expérience qui me mettait en contact direct avec les femmes qui s’habillaient au quotidien. Et ce fut une expérience très riche, dans le sens où la couture ne m’avait pas encore fourni ce dialogue immédiat avec la rue. J’en retire d’ailleurs une grande satisfaction, que ce soit quand j’habille des stars comme Uma Thurman, Madonna ou Demi Moore ou quand je vois ces femmes lambda, dans la rue, qui se sentent exceptionnelles, plus fortes et plus belles parce qu’elles portent par exemple une de mes blouses.

Depuis les événements du 11 septembre 2001, la mode new-yorkaise a-t-elle changé radicalement et vous a-t-elle obligé à modifier certains aspects de votre business ?

Pas vraiment. En automne 2001, j’étais une designer qui commençait à émerger aux Etats-Unis et mon parcours n’a pas été stoppé net par ces circonstances dramatiques. Moi, j’étais arrivée avec un discours d’individualité, d’émotion et September Eleven a justement mis l’accent sur ce facteur émotionnel.

Propos recueillis par Marianne Hublet

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