Deux premières collections très remarquées à Paris, des costumes d’opéra pour la Monnaie, une production de mode en exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express doublée d’un défilé pour la première fois à Bruxelles, ce 9 septembre au Mirano. A 25 ans, la talentueuse Cathy Pill multiplie les succès. Rencontre avec une jeune Belge pleine de grâce.

Backstage du défilé  » Balad  » automne-hiver 06-07, rue des Saints-Pères, dans le Ve arrondissement de Paris. Cathy Pill pleure de joie. Pour un peu, nous aussi, on aurait presque les larmes aux yeux. Car le défilé que vient de nous présenter la jeune créatrice belge est un condensé de poésie et d’émotion. Des mannequins, en paire ou en trio, reliées par de longues tresses, avancent pieds nus sur la bande-son du film  » La Marche de l’Empereur  » et sur les chansons d’Emilie Simon. Vêtues de grandes tuniques aux imprimés papillons, de fuseaux assortis à des pulls où de gros colliers ont été brodés sur l’encolure, elles marchent d’un pas lent mais assuré. Le tableau est parfait.

Dans cette petite pièce carrée, nichée au fond d’une cour intérieure, on a dû rajouter, à la va-vite, des bancs au premier rang. En effet, pour sa deuxième collection, et son premier défilé dans le calendrier off de la fashion week parisienne, le gratin des journalistes de mode s’est déplacé. Car, depuis que Suzy Menkes, Fashion Editor à l' » International Herald Tribune « , a chroniqué sa première collection  » Blink « , présentée dans le Hall des Maréchaux au Louvre la saison passée, Cathy Pill crée le buzz à Paris. Bardée de prix – Festival ITS 2 de Trieste en 2002, Prix de l’Andam (Association nationale pour le développement des arts de la mode) en 2005, Prix Modo Bruxellæ la même année -, l’ancienne étudiante de La Cambre confirme son talent. En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, elle signe d’ailleurs sa première production de mode (voir pages 32 à 39) qui se doublera d’un défilé de sa collection, ce 9 septembre, au Mirano, à Bruxelles (*).

Dans son petit atelier du quartier bruxellois de la rue Antoine Dansaert, le bureau de Cathy Pill est jonché de croquis des costumes de  » Frühlings Erwachen « ,  » L’Eveil du printemps « , le premier opéra composé par Benoît Mernier, d’après la pièce de Franck Wedekind, et qui sera présenté en mars 2007 à la Monnaie. D’un geste gracieux, elle range tout en tas dans un coin pour nous libérer un peu de place. Habillée d’une tunique blanche, d’un simple jeans et de chaussures ouvertes, son beau sourire comme unique accessoire. Rencontre avec une fille simple et fraîche, à l’image de sa collection, qui a trouvé un équilibre entre douceur et détermination. Sa définition de la féminité.

Weekend Le Vif/L’Express : Cette production de mode, c’est une première pour vous. Avez-vous apprécié l’exercice ?

Cathy Pill : C’était très agréable. J’ai essayé de faire quelque chose de très graphique. En fait, j’ai davantage travaillé l’image. Tout est à son service : les vêtements, les poses des corps. Je n’ai pas vraiment fait un travail de mode mais un exercice visuel, esthétique. J’ai choisi des vêtements d’Ann Demeulemeester que j’aime beaucoup, j’ai également mixé mon univers à celui de Walter Van Beirendonck pour la touche d’humour. Ce n’est pas une ambiance féminine qui me ressemble particulièrement. Je ne raconte pas vraiment d’histoire, mais j’essaie plutôt de faire passer des émotions.

Exactement comme dans vos collections…

Oui, c’est vrai. Le vêtement existe par lui-même, mais il est au service d’une ambiance, d’un tableau. Pour le défilé automne-hiver 06-07, j’étais très contente, j’ai réussi à faire exactement ce que je voulais. Provoquer de l’émotion chez le spectateur, c’est pour moi le plus beau cadeau. Je cherche avant tout à créer une atmosphère par le choix de la musique et des mannequins.

Justement, vous choisissez toujours le même type de filles : fraîches, pâles…

Oui, mais qui ont des gueules aussi ! Ce sont des filles naturelles, assez élégantes, pas provocantes, et qui captent le regard. Elles sont naturellement fortes, sans exagération, sans make-up.

Préparez-vous un nouveau défilé pour la saison prochaine ?

Chaque collection se présente différemment. La prochaine se prêtera davantage, je crois, à une présentation. Et puis, lorsqu’on veut défiler à Paris, il faut se battre jusqu’au bout pour avoir une bonne place dans le calendrier. C’est fatigant. Alors qu’une présentation sur quelques heures permettrait de faire les choses plus doucement. Ma première collection était basée sur le graphisme. La deuxième était plus organique. Il fallait que l’on sente le mouvement de l’air passer dans les vêtements. Les imprimés évoquaient une sorte de rêve d’été en plein hiver. La prochaine collection sera un mélange des deux précédentes.

Ces pulls où des colliers sont brodés sur l’encolure sont votre marque de fabrique…

En effet, je les aime bien. Comme je ne porte pas beaucoup de bijoux, je trouve qu’ils confèrent à la silhouette un bel effet graphique.

Le graphisme est un mot qui revient souvent dans vos propos. Peut-être parce que vous avez hésité entre la mode et l’architecture ?

Effectivement, je pensais à l’architecture. J’aimais beaucoup les sciences et les mathématiques. Et puis, j’ai découvert les matières, les couleurs. Ce que j’ai apprécié dans la mode, c’est le rapport direct avec la matière. A l’âge de 15 ans, j’ai demandé à mes parents ma première machine à coudre. Au départ, ils ne voulaient pas, ils croyaient à un engouement passager, même s’ils m’ont toujours encouragée à faire ce qu’il y avait de mieux pour moi. La mode correspondait à une évolution logique. J’ai grandi à Anvers mais ce n’est pas forcément les créateurs anversois qui m’ont convaincue, c’est un tout, c’est la mode internationale et la mode bruxelloise aussi.

Qui était, à cette époque, votre maître à penser ?

Olivier Theyskens. C’est pour lui que j’ai fait La Cambre ! Il n’a fait qu’un an d’études à La Cambre, tandis que moi, j’en ai fait cinq ( rires) ! Evidemment, il y a les Six d’Anvers, Ann Demeulemeester surtout. Puis j’ai trouvé mon propre style. Au début, j’étais davantage attirée par les coupes que par le travail de l’imprimé.

Un imprimé que vous travaillez désormais de façon très rigoureuse…

J’aime cette idée de donner, à travers l’imprimé, une nouvelle vie, une nouvelle esthétique à quelque chose de déjà existant. Pour cette collection, j’ai pris des photos de papillons, je suis également partie de dessins. (Son portable retentit, la sonnerie reproduit des bruits d’insectes.) Ma prochaine collection sera un pot-pourri, comme un jet de pétales de couleurs.

Quels sont les créateurs que vous admirez aujourd’hui ?

Balenciaga ! Je trouve le travail de Nicolas Ghesquière magnifique, surtout sa dernière collection. Il y a une justesse, une élégance, une pureté incroyables. De façon générale, ce qui m’intéresse, c’est la recherche de la beauté dans la simplicité, c’est ce travail d’épuration.

Un travail d’épuration que l’on retrouve dans vos collections très poétiques et romantiques …

Je crois, en effet, que j’ai une part romantique en moi. Mais j’ai également une vision moderne de la mode. Toutes les femmes ont un côté romantique, je crois.

Avez-vous voulu explorer le thème de la gémellité à travers ce défilé ?

Non, c’était un travail purement graphique. Dans cet espace carré, les longues tresses qui reliaient les filles entre elles m’ont permis d’obtenir un résultat graphique. C’est un conte de fées moderne. Au Mirano, je vais présenter mes vêtements d’une manière un peu différente. Ce sera une balade, un parcours à travers le lieu, je vais mélanger des pièces de cette collection automne-hiver 06-07 avec des pièces de la prochaine collection estivale. Ce spectacle-là sera sûrement plus amusant, moins poétique que le défilé parisien.

Pensez-vous faire partie de la relève belge ?

(Rires.) Avec qui d’autre ? Christian Wijnants ? Franchement, je ne me pose pas ces questions-là. C’est peut-être un hasard, car depuis quelques années, il n’y avait plus de Belges. ( Elle réfléchit et se ravise.) Non, ce n’est pas vrai, il y a eu Les Hommes, Kris Van Assche, Sandrina Fasoli…

Mais cet article de Suzy Menkes tout de même !

Je préfère ne pas trop y penser, ça devient fou, complètement abstrait. Lorsque j’ai lu cet article, j’ai demandé à Bruno, mon attaché de presse :  » C’est toujours comme ça, elle vient toujours voir les jeunes créateurs ?  » Il m’a répondu :  » Mais non !  »

Pour quel type de femme créez-vous ?

Les femmes que je mets en scène représentent mon idéal. Elles sont féminines avec, je vous l’accorde, un petit côté garçon manqué. En fait, ce sont des femmes modernes qui sont présentes parmi les hommes. Je ne crée pas pour des femmes qui veulent absolument être à la mode, qui affichent le dernier sac Balenciaga, mais plutôt pour celles qui montrent un style très personnel. Je n’ai pas envie de voir mon nom inscrit sur un tee-shirt.

Avez-vous déjà rencontré dans la rue une femme portant du Cathy Pill ?

Dans les soirées, oui. Dans la rue, pas encore, mais le jour où cela m’arrive, je pleure !

(Pause. Son téléphone sonne et interrompt la conversation, à peine entamée, sur sa vie privée. )

On en étions-nous ?

A ma vie privée ( rires) ! J’essaie de garder les deux bien séparées. Ma vie professionnelle est toujours quelque part dans ma tête. Mais, c’est un choix de vie. Et c’est génial. Le reste du temps, je le passe avec mon copain. Je vais à quelques soirées mais je ne suis pas une grande sorteuse, je mène une vie plutôt calme. Alors, du coup, je vois moins d’amis, ou plutôt je sais désormais qui sont mes vrais amis.

Votre définition de la féminité ?

Je pense qu’il y a une dualité chez les femmes d’aujourd’hui entre un côté doux, romantique mais aussi déterminé et un peu rentre-dedans. Et cela, parce que l’on veut faire partie de la société. En fait, certaines filles penchent plutôt d’un côté, d’autres de l’autre, mais c’est cet équilibre entre les deux, je crois, que l’on doit trouver.

(*) Fashion show  » Balad  » by Cathy Pill, ce 9 septembre à 23 h 30 au Mirano Continental, 38, chaussée de Louvain, à 1210 Bruxelles. Tél. : 02 227 39 48. Internet : www.dirtydancing.be

Propos recueillis par Agnès Trémoulet

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