Elles sont impliquées dans près de 80 % des achats domestiques. Mais rares sont les produits conçus en pensant, aussi, à elles. Femme Den s’est donné pour mission de  » protéger les femmes du mauvais design « . Agnete Enga, cofondatrice, lancera le débat sur ce sujet touchy à Interieur 2010, à Courtrai.

Les objets auraient-ils un sexe ? La question est sensible. Voire même controversée dans le milieu du design lui-même. Auprès des créatrices surtout, qui se défendent souvent à grands cris de concevoir des produits plus féminins sous prétexte qu’elles sont elles-mêmes des femmes. En refusant toute étiquette girly, elles alimentent insidieusement cette idée préconçue et sexiste qui voudrait qu’en matière de design, aussi, ce soit toujours le (goût) masculin qui l’emporte. Le collectif international Femme Den, cofondé par Agnete Enga, designer industriel, propose ses services aux entreprises désireuses de mettre sur le marché objets et services rencontrant mieux les besoins et les envies des femmes. Tout en les respectant sans les stéréotyper. Un fameux défi dont elle exposera les enjeux – et les bénéfices – lors d’un workshop, pendant la Biennale de design Interieur, à Courtrai, le 18 octobre prochain (*). Avant-goût.

Lorsque les fabricants disent penser aux femmes, ne se contentent-ils pas souvent de quelques petits aménagements cosmétiques ?

C’est, hélas, le genre de réponse simpliste qui est géné-ralement apportée par les industriels. Ils changent la couleur d’un produit initialement conçu en noir et ajoutent des paillettes pour lui donner une plastique plus féminine. Dans notre jargon, on appelle cela  » shrink it and pink it  » ( NDLR : on miniaturise et on peint en rose). C’est particulièrement vrai dans le secteur des électroménagers et des téléphones portables.

Ce relooking de surface, très stéréotypé, ne risque-t-il pas aussi de provoquer des réactions de rejet ?

Les sociétés qui ont adopté ce type de stratégie ont observé une augmentation de leurs ventes. Car il y a des femmes qui aiment le rose. Et qui recherchent des produits au design ultraféminin. Mais il y a gros à parier qu’il y en a tout autant, si pas plus, qui ne les achèteront jamais. Les objets que vous possédez donnent une certaine image de vous. Ce n’est pas neutre de s’afficher avec un téléphone rose dans une réunion d’affaires stratégique. On peut le regretter, mais tout ce qui a une image très féminine est souvent suspecté d’être de moins bonne qualité. Le rose par exemple, c’est la couleur des jouets en plastique. Nous avons fait des tests de perception en mettant dans les mains d’utilisateurs des produits de couleurs différentes (noir, argenté et rose) mais en tout point identiques dans leur fonction. Le noir a toujours été préféré.

Comment expliquez-vous que les vrais besoins des femmes soient si mal rencontrés ?

La majorité des designers sont aujourd’hui encore des hommes qui ont tendance à stéréotyper les besoins de l’autre sexe dans les premières étapes du processus de création. Ils vont d’ailleurs le faire aussi vis-à-vis de leur propre sexe. C’est pourquoi, lorsque l’on travaille sur des produits ou des services mixtes, il est important de rassembler des hommes et des femmes autour de la table. Le bon design doit s’intéresser de près aux besoins de tous ses futurs utilisateurs.

Et votre thèse justement, c’est que les femmes et les hommes n’ont pas nécessairement les mêmes besoins, même lorsqu’il s’agit d’un téléphone portable ?

Il faut être très prudent lorsque l’on dit cela, parce que cela peut jeter le discrédit sur les femmes ! Regardez Volvo : la marque avait demandé il y a quelques années à une équipe composée exclusivement de femmes de concevoir une voiture concept destinée aux femmes. Ce véhicule était notamment doté d’une assistance au parking en créneau. Les réactions sur les blogs féministes ont été virulentes ! Ajouter ce service, c’était sous-entendre que si les femmes avaient besoin d’une voiture différente c’est qu’elles ne savaient pas conduire comme les hommes ! Je préfère une approche plus transparente qui consiste à chercher à les satisfaireà sans que cela se voie de manière ostentatoire.

S’ils écoutaient davantage les femmes, les industriels concevraient finalement de meilleurs produits, appréciés des hommes aussià

Exactement ! On peut dire ce que l’on veut, mais les hommes et les femmes ont des priorités différentes à certains moments de la journée. Les femmes ont aussi, c’est culturel, davantage tendance à penser aux autres, à se soucier des besoins de leur mari, de leurs enfants. Si l’on prend leurs souhaits en compte, il y aura gros à parier que l’expérience que les utilisateurs auront du service ou du produit sera bien meilleure ! La bonne approche ne consiste pas à exclure un sexe, ni à créer des objets destinés à des minorités.

Quels sont pour vous les secteurs qui ont encore beaucoup de mal à se connecter avec les femmes ?

L’automobile, tout ce qui touche au sport, le high-tech au sens large (ordinateur, téléphoneà) sans parler des concepteurs de jeux électroniques ! Ce que l’on trouve sur le marché est limite insultant : jouer avec son chien, son chat, se maquiller, faire du shoppingà Je suis sûre qu’il y a des manières moins infantiles de toucher les femmes. Qui n’ont vraiment aucun intérêt quand elles rentrent chez elles le soir à passer leur soirée à tuer des avatarsà

(*) La conférence Save good women from bad design d’Agnete Enga se déroulera le lundi 18 octobre à 13 heures sur le site d’Interieur, Kortrijk Xpo, 8500 Courtrai. www.interieur.be

Par Isabelle Willot

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