Barbara Witkowska Journaliste

Matières étonnantes

et formes originales, construites comme des sculptures contemporaines…

Les chapeaux

de Céline Robert

sont conçus avec

une exigence intellectuelle… pour des femmes de tête.

Carnet d’adresses en page 91.

A u téléphone, Céline Robert propose de venir nous chercher à la gare du Nord à Paris, à l’arrivée du Thalys.  » Vous me reconnaîtrez facilement grâce à mon chapeau « , ajoute-t-elle. En effet. Sur le quai, on repère immédiatement un visage lumineux et souriant, encadré par un bonnet-béret sophistiqué, de couleur bois de rose. Quelques instants plus tard, la jeune créatrice expliquera qu’il fait partie de sa nouvelle collection, baptisée  » Embarquement immédiat « . Cette deuxième ligne qui complète la collection haut de gamme  » Céline Robert  » sera lancée pour l’hiver 2004.  » Son concept est plus jeune, plus mode et plus facile à porter au quotidien. Les matières sont moelleuses,  » affectives  » : de la maille mélangée à du feutre, par exemple. Il y a aussi du denim avec des pompons intégrés pour un côté froufrouté et féminin.  »

Les frimas de l’hiver prochain sont encore loin. Penchons-nous donc sur la collection haut de gamme pour ce printemps, spectaculaire et ciblée cérémonie. Deux grandes tendances s’en dégagent : des modèles rigides avec un côté très ornemental et des turbans, couvre-chefs fétiches de Céline Robert :  » C’est le chapeau le plus fort. En encadrant complètement le visage, il confère beaucoup de personnalité.  » Pour construire les chapeaux de cérémonie, la jeune femme travaille avec du Priplak, un plastique qui incorpore des pigments ionisés, un peu irisés. Une matière très moderne qui donne beaucoup de force aux modèles et crée une lumière magnifique. Les turbans mélangent, en revanche, les matières naturelles. En vedette ? Le buntal, fibre de cactus, directe, crue, mais non dépourvue de chic. Il y a aussi du sisal et la fibre de banane. Les coloris, parfois forts et puissants, comme le mariage de l’orange et du fuchsia, flirtent avec la mode. Les formes sont asymétriques, sculpturales, parfois un brin extravagantes, mais jamais gratuites. Au c£ur de la création, on pressent une cohérence et un sens. Céline Robert a une formation de sculpteur et cela se voit.

Son enfance baigne dans une ambiance artistique et artisanale. De sa grand-mère paternelle, modiste et patronne d’un atelier de chapeaux à Paris dans les années 1940 et 1950, elle apprend des gestes justes et, surtout,  » toute la culture autour du chapeau et du turban « . Sa grand-mère maternelle crée et réalise des vitraux pour églises et cathédrales.  » Elle était l’une des premières femmes à obtenir le prix de Rome. Elle m’a inculqué l’exigence et la rigueur, ainsi que la sensibilité d’une ligne.  » Les parents de Céline Robert sont artisans potiers. Après le bac, la jeune fille se dirige tout naturellement vers les Beaux-Arts, à Paris. Dans les ateliers, elle mène une double vie. Elle fait de la sculpture et crée des chapeaux.  » Dans mon travail actuel, il y a toujours une méthodologie des Beaux-Arts qui n’est pas nécessairement celle de la mode. La phase de création implique une réflexion sur l’art contemporain et un rapport au corps.  »

Un art de vivre

Son diplôme en poche, Céline Robert revient  » chez elle « , dans la Sarthe, et installe son atelier de modiste dans un vieux moulin, un  » bijou  » du patrimoine local, racheté par ses parents. Avec une poignée d’artisans, ébénistes, forgerons, souffleurs de verre, céramistes, elle y met sur pied un centre de création artisanale. Ses projets visionnaires et ambitieux ne trouvent malheureusement pas le soutien escompté des pouvoirs publics. Au bout de dix ans, Céline capitule et s’installe au Mans. Ici, elle retrouve l’énergie de ville. Qui dit ville, dit mode. Ainsi naît donc l’idée de lancer une deuxième ligne,  » Embarquement immédiat « , plus sensible aux nouvelles tendances et plus facile à porter. Cela dit, les deux lignes ont des caractéristiques communes : exigence de construction, structure, rigueur, géométrie, équilibre… Ces mots percutants émaillent inlassablement les propos de Céline Robert. En revanche, elle parle moins d’ornement ou de séduction.  » Le chapeau, pour moi, c’est une carte d’identité, un signe. Enchâssé dans un cadre, le visage apparaît dans une découpe qui n’est pas naturelle. Du coup, on ne voit que lui, il dégage une lumière plus forte. On se fait remarquer, on montre sa différence. Les passants ne regardent pas la silhouette, mais le visage. C’est plus difficile, mais plus passionnant. Je trouve ça beau de se donner à voir.  »

Mais avant de se donner à voir, il faut d’abord se faire bien conseiller. En effet, certaines femmes se regardent peu dans les miroirs. Le jour, où elles essaient un chapeau, elles se redécouvrent, montrent une autre facette d’elles-mêmes, se font surprenantes. Avec un chapeau sur la tête, on s’exprime. Parfois, on a envie de petites choses. Parfois on a envie d’ampleur.  » On bouge, on est dans les choix, dans le mouvement. C’est comme la vie. Ce serait dommage de se priver de cette richesse-là « , commente Céline Robert.

Synonyme de liberté, le chapeau serait également un outil pour retrouver notre pouvoir de décision, enfoui quelque part au fond de nous-même et dont nous ne nous servons pas. Porter un chapeau demande de l’engagement, de l’ouverture de soi, de l’individualité et du caractère.  » Je veux aider les femmes à retrouver leur pouvoir de décision. C’est le principal cadeau qu’on puisse leur faire en ce moment-là « , conclut Céline Robert. Aujourd’hui, sa philosophie trouve des échos positifs. Ses propos convainquent. Sa société ne cesse de grandir et un tiers du chiffre d’affaires est exporté vers la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. En préparation ? Une présence sur le marché japonais et l’ouverture d’une boutique à Paris.

Barbara Witkowska

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