Ils se rêvent sur toutes les lèvres. Mais cultivent le mystère. Noms de code ? Spotlight, Bobo, Guet-Apens, Boy ou Mademoiselle. Les rouges à lèvres d’aujourd’hui nous parlent d’attitudes bien plus que des couleurs. Zoom sur les mood boards des plus grands make-up artists.

Quand il s’agit de baptiser fards à paupières ou rouges à lèvres, Olivier Echaudemaison, depuis onze ans déjà à la tête de la création des maquillages chez Guerlain, a de la suite dans les idées. Pour sa collection de bâtons Rouge Automatique au design directement inspiré d’un modèle datant de 1936, il a choisi d’explorer les archives de la maison parisienne. Et de détourner à son profit les noms des parfums mythiques qui, aujourd’hui encore, font la réputation de Guerlain.  » Ils doivent faire rêver, s’enthousiasme ce coloriste hors pair. Je m’amuse avec eux pour évoquer un univers. C’est un casse-tête mais dans le même temps, c’est amusant et en tout cas extrêmement stimulant.  » Si certaines attributions sont plus littérales – on voit mal Habit Rouge ou Rouge d’Enfer cacher un beige sous leur capot -, d’autres sont plus poétiques et sujettes à interprétation.  » Pour moi, Vol de Nuit ne pouvait être qu’un sombre, justifie Olivier Echaudemaison. Jardin de Bagatelle, un rose, Nahema, un orange. Je fonctionne aussi à l’instinct. Dans nos archives, j’ai trouvé plus de 600 noms répertoriés. Ce n’est donc pas le choix qui manquait. Il y a quelques années, on était peut-être un peu plus premier degré. Mais cette nouvelle manière de faire permet de davantage mettre en avant l’héritage d’une maison. J’aime cette idée de cobranding à l’intérieur de la marque. Créer des ponts entre l’univers des fragrances et celui des maquillages. « 

Un petit jeu de va-et-vient auquel on excelle aussi chez Chanel. Comme le rappelle Peter Philips, directeur artistique du maquillage,  » toutes nos créations doivent avoir un lien direct avec Mademoiselle Chanel. Sa vie, son style, ses pensées, ses lieux de prédilections sont autant de sources d’inspiration. Lorsqu’il lance en 2010, une ligne  » très relax  » de 30 lipsticks, il la dénomme tout naturellement Rouge Coco, en référence directe au surnom de Gabrielle Chanel… mais pas seulement.  » Quand une fille prononce les mots Rouge Coco, sa bouche prend la forme d’un c£ur, constate Peter Philips. C’est comme si elle envoyait un baiser.  » Si le make-up artist a conservé les teintes iconiques – comme Sari Doré lancé en 1954 ou Rouge Noir créé en 1996 – il a souhaité expérimenter des demi-nuances plus subtiles de rose, de rouge ou de brun surnommées Camélia, Venise, Cashmere ou encore Ballet Russe.

ÉVOQUER UN UNIVERS

Cette année encore, les 25 nuances de la nouvelle gamme Rouge Coco Shine – baptisées Canotier, Rivage ou Monte-Carlo – racontent le destin hors norme de cette grande dame de la mode. Chaque famille de couleurs incarne une manière d’être. Les 8 rouges symbolisent les  » conquêtes d’un esprit libre « . Les 8 beiges-orangés sont les  » témoins d’un succès légendaire « . Quant aux 9 roses, ils sont vus comme autant  » d’expressions d’une soif d’absolu « . Pas étonnant que l’on y découvre un bâton prénommé… Boy, en référence à Arthur Capel, le grand amour de Coco Chanel. Du côté des pigments, on retrouve un mélange des trois couleurs fétiches de la créatrice.  » Le rouge qui pour elle exprimait l’énergie, le doré qui traduit l’idée de luxe et de chaleur et le blanc qui apporte luminosité et fraîcheur « , explique Peter Philips. À cet élégant bois de rose brillant – après tout, Boy avait un petit côté flambeur… -, répond une version soft estampillée… Mademoiselle. Un duo d’amants magnifiques posés sur les lèvres de Vanessa Paradis, égérie de Chanel pour les campagnes de Rouge Coco et Rouge Coco Shine.

Chez Guerlain aussi, le rose soutenu qui habille la bouche de Natalia Vodianova, plus malicieusement flirteuse que vraiment femme fatale, porte un nom qui clame haut et fort la légitimité de la maison.  » Je l’ai appelé Champs-Elysées en référence à notre boutique emblématique sur l’avenue parisienne, justifie Olivier Echaudemaison. Une idée que j’avais déjà développée avec les palettes regard conçues par la designer India Madhavi, frappées des adresses – rue de Passy, rue de Sèvres… – de nos points de ventes les plus mythiques. « 

UN ROUGE POUR CHAQUE INSTANT

Derrière ces éventails de couleurs se cache aussi l’idée de collection… au sens premier du terme.  » Ces produits sont plus jeunes, plus modeux, confirme le directeur artistique de Guerlain. Les filles n’en ont pas un mais cinq dans leur sac. Pour chaque moment de la journée.  » La communication de la marque est plus qu’explicite.  » Ce matin, je m’offre des lèvres beige tendre, ce midi, je vois ma bouche en rouge brun, ce soir, je rêve d’un sourire rose indien et demain, tout dépendra de la couleur de mes talons « , clame la Guerlain Girl type, fantasmée par les équipes marketing. Même discours chez Chanel –  » Il y en a plusieurs dans mon sac, j’ai pris la décision de les avoir tous, je pensais à un rose et suis repartie avec un rouge, un beige et un rose…  » – où l’accumulation est de bon ton. Et qui dit plusieurs rouges, dit forcément les multiples vies bien remplies qui vont avec.

Comme les jeunes femmes modernes visées par ces campagnes, les people qui les incarnent sont bien plus que de jolis sourires. Elles ont une famille, un homme sexy, un vrai boulot même – Vanessa chante et joue la comédie, Natalia développe une ligne de lingerie en nom propre pour Etam – et dans le cas particulier de Kate Moss, nouveau visage du lipstick Be Iconic de Dior Addict, un parfum sulfureux de party girl sur le chemin de la rédemption.  » Avec ce rouge, la couleur devient un véritable accessoire de mode, affirme-t-on chez Dior. Chacune des 44 teintes représente une facette de la femme, son style, ses envies du moment. La touche de couleur signe la silhouette dans son ensemble, en jouant la carte du mix and match.  » Ici encore, trois mood boards – rock, glam ou doll – directement inspirés du style de vie de la Brindille et une couleur phare, le Diorkiss, portée sur les pubs et adoubée par la top :  » un rose doux et voluptueux à la fois qui twiste sa silhouette rock de son émouvante présence « . Un peu trady – Diorissime, Tailleur Bar, Granville, Millie… -, surtout Katie – Model, Smoky, Perfecto ou encore Insoumise -, la collection nimbe d’un top coat rock’n’roll l’héritage de la maison.  » Mais quelle que soit l’histoire racontée, ce dont les femmes se souviennent, au bout du compte, ce sont les numéros qui accompagnent les couleurs « , assure Olivier Echaudemaison. Un chiffre porte-bonheur, en quelque sorte…

PAR ISABELLE WILLOT

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