Ces jus qui connaissent la chanson
Après avoir squatté la mode, la vague rock déferle sur l’univers des parfums. Les marques se glissent dans le costume du découvreur de talents. Une opération de com qui profite aussi à toutes
ces nouvelles stars qui leur prêtent leur image.
Décryptage avec notre expert ès rock’n’roll, Rudy Léonet.
Il est loin le temps où la pub se contentait de passer en fond sonore de vieux standards fleurant bon la newstalgie. Désormais, les marques rêvent toutes d’étaler leur playlist edgy au grand jour. La faute sans doute à la geek attitude intronisée par la bande à Steve Jobs et adoptée avec dévotion par tous les consommateurs de iProduits signés Apple. Mais c’est incontestablement dans la communication des marques de parfums que la déferlante » rock indé » est la plus tangible. Pour le lancement de son nouveau jus baptiséà Loud ( NDLR : que l’on pourrait traduire par » fort » mais dans le sens bruyant du terme), Tommy Hilfiger s’est offert les services de l’agence The :Hours spécialisée dans les » campagnes music-focused » (sic). Le spot – qui se termine d’ailleurs par le slogan : new scent and sound, autrement dit, nouveau jus et nouveau son – met en scène le duo britannique The Ting Tings qui a même composé un titre tout spécialement pour l’occasion. » Tommy Hilfiger voulait se connecter à la jeune génération d’une autre manière que ce qui s’est fait jusqu’à maintenant, plaide Fabien Moreau, cofondateur de The :Hours. Pour un groupe comme The Ting Tings, on est bien au-delà du simple placement de produit. Ils se sont vraiment impliqués dans la création du parfum et dans la direction du film publicitaire. Pour ma part, je suis entre le monde de la musique et celui de la pub. Je vois les deux côtés de l’équation. »
Une opération win-win pour les parties en présence qui tirent chacune profit de ce que l’autre peut lui apporter. » Quand Chanel s’associe à Vanessa Paradis, on est face à deux notoriétés qui se renforcent, analyse Rudy Léonet, directeur de Pure FM. Dans le cas d’un artiste émergent, les rôles sont différents. Les marques ont besoin de ces nouveaux talents pour se différencier. Elles se présentent comme des mécènes, comme des prescripteurs de tendance qui ne sont pas là pour suivre le mouvement mais pour faire bouger les choses. Elles sont à fond dans leur rôle lorsqu’elles choisissent un groupe de rock indie ou le photographe dont tout le monde parle. Le type ou la fille qui se lance a surtout besoin de visibilité. Car c’est tout le paradoxe aujourd’hui : pour débuter dans la musique, il faut être connu ! Via un buzz sur le Net, via son Facebook ou sa page MySpace. Les maisons de musique, si on peut encore les appeler comme ça, ne prennent plus de risques sur personne. «
Ce que les professionnels du secteur appellent pompeusement » la crise du disque » force aussi les jeunes musiciens à trouver d’autres sources de revenus pour survivre. Non content de fournir la bande-son de la nouvelle campagne Flower by Kenzo et même s’il n’apparaît pas dans le spot explicitement, le chanteur du groupe français Jil is Lucky occupe une place de choix dans le dossier de presse. » Kenzo est une marque qui apporte un soin tout particulier à la direction artistique de ses films publicitaires « , assure Jil Bensénior. Même adoubement explicite dans le chef du leader du groupe One Republic dont le titre Secrets, après avoir servi de toile de fond aux confidences des héros de la série Gossip Girl, accompagne désormais les tranches de vie des jeunes preppies captés par la caméra de Bruce Weber pour le compte de la collection de parfums Big Pony de Ralph Lauren. » Nous sommes très excités de voir notre nom associé à cette marque « , affirme sans détour Ryan Tedder. Le rebelle qui sommeille en lui comme en tout bon rocker qui se respecte se serait-il donc fait la malle ? » Vous croyez sérieusement qu’il existe encore, celui-là, plaisante Rudy Léonet. Le dernier révolté s’appelait Kurt Cobain et il s’est tiré une balle dans la bouche en 1994. De toute façon, dès le moment où on met quelque chose en vente, c’est fini, on risque forcément d’être récupéré. Bien sûr il y a les moyens que l’on se donne pour le faire. L’espoir quand on fait un disque, c’est d’avoir un minimum de retour pour se dire qu’on a eu raison de se jeter à l’eau. Sinon, il faut se contenter de jouer pour soi. »
Si l’égérie se doit donc d’être rock’n’roll with a glamour twist – les blondes de Fan di Fendi sont des clones de Kate Moss, la belle fiancée duleader des Killsà qui signent la musique du spot ! – le packaging aussi a le look musicos. Alors que leflacon de Loud ressemble à un vieux vinyle fermé par ce qui a tout l’air du bouton de l’ampli d’une bonne vieille sono, l’emballage de Play for Her – Givenchy s’est même offert Justin Timberlake en guest star de la campagne de ce nouveau jus féminin – oscille entre le smartphone et l’iPod nouvelle génération. De l’ouïe à l’odorat, il n’y aurait donc qu’un pas allègrement franchi par des marketeurs de plus en plus rompus à l’exercice. » Là où ça devient indigne, c’est quand on essaie de vous vendre une pseudo fragrance de star, s’indigne Rudy Léonet. Même Cathy Guetta a son parfum, c’est tout dire ! «
Pour notre expert ès rock’n’roll, il n’y aurait pas de honte à faire de la pub, si l’on ne se compromet pas dans le bas de gamme. » On n’est pas dans le registre de Sandra Kim qui vante les mérites d’une poudre à lessiver ou de Lio qui s’entiche du jambon Madrange, lâche-t-il. Le tout, c’est de ne pas se foutre de la gueule du monde. Ces artistes doivent viser le haut de gamme, le subtil. Rester dans la nuance et le réglage fin. Prenez le cas de la chanteuse Florrie qui apparaît dans la dernière campagne de Nina Ricci dans une reprise de Sunday Girl. Le spot est signé Nez – le type qui a fait les vidéos de Lily Allen, Mika ou Kanye West -, il y a un vrai travail artistique derrière. C’est tout profit pour elle. Quant à la marque, elle a aussi tout à gagner à s’associer avec une jeune artiste – a priori pas trop chère encore – qui lui restera fidèle. » La griffe qui a financé une version longue du spot qu’elle qualifie d’ailleurs de » clip » se présente comme un soutien indépendant à la chanteuse qui pour l’occasion a troqué son look baba pour une robe de princesse créée par Peter Copping, le nouveau DA de la maison de mode. » On pourrait même imaginer qu’un jour les marques « signeront » ces artistes comme le faisaient auparavant les maisons de disque, avance Rudy Léonet. En échange de leur image dans une campagne, elles produiraient leurs albums, en assureraient la promotion et vendraient même les CD dans leurs magasins. » Une compil, version créa. Qui risquerait, hélas, de se résumer bien souvent à un one shot. Le riff de guitare frais du jour chassé, à peine découvert, par celui du lendemain.
Par Isabelle Willot
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