Barbara Witkowska Journaliste

Le prestigieux Musée d’Etat des beaux-arts Pouchkine à Moscou accueille la superbe exposition Chanel, l’Art comme Univers. L’esprit de Mademoiselle y est accompagné par des artistes du xxe siècle qui témoignent de son incroyable modernité. Reportage exclusif.

Une foule innombrable se presse aux portes du Musée Pouchkine. Du beau monde pour l’inauguration de  » Chanel, l’Art comme Univers « . Des VIP et de longues beautés slaves très élégantes (souvent en total look Chanel) ont rendez-vous avec la légende de la couture française. Une exposition Chanel à Moscou ?  » Il s’agit d’une rencontre entre la maison Chanel et Irina Antonova, directrice du Musée Pouchkine, explique Valérie Duport, directrice des relations extérieures de la griffe au double C. Au départ, notre idée était de monter une exposition Chanel et la Russie, étant donné les nombreux liens que Mademoiselle Chanel nourrissait avec les Russes, notamment avec des artistes. Irina Antonova a marqué son accord sur le principe. Cela dit, elle a préféré montrer l’univers de Chanel à travers l’art. Il a donc fallu travailler dans cette optique-là. « 

A qui confier le commissariat d’un projet aussi ambitieux, en sachant qu’il s’agit d’une vraie révolution pour le Musée Pouchkine dans la mesure où il s’ouvre pour la première fois à la mode et que, par conséquent, il y a une énorme qualité artistique à soutenir ? Marika Genty, directrice du conservatoire de la maison Chanel, a pensé tout de suite à Jean-Louis Froment, acteur reconnu de l’univers de l’art contemporain, créateur du musée d’Art contemporain à Bordeaux et conseiller des musées les plus renommés dans le monde entier. L’homme a accepté le défi sans hésiter.  » Je connais la mode, confie-t-il. J’ai conçu des expositions pour Jean Paul Gaultier, Dior et Alaïa. L’art y était toujours représenté. Ce qu’il y a de formidable avec Chanel, c’est qu’on touche à un mythe. « 

L’univers de Chanel est extrêmement vaste. On ne peut pas tout dire à travers une exposition, aussi importante soit-elle. Jean-Louis Froment a donc imaginé cinq thèmes, construits à partir des grands axes de la philosophie de Chanel :  » Les Noirs « ,  » Venises « ,  » Sables « ,  » Rouge  » et  » Le Tweed « . Ces cinq symboles très forts sont présentés au sein de l’enceinte historique du musée, dans des pavillons ultracontemporains, laqués de blanc. Les pavillons sont subdivisés en cubes, en des espaces intimes qui donnent l’impression de pénétrer dans un appartement. Chaque univers thématique dégage une émotion particulière et montre la relation entre la création du vêtement et la façon dont l’art peut accompagner ce travail.

L’exposition se déploie sur 1 000 m2, au premier étage, en haut de l’escalier magistral, habillé pour la circonstance de moquette couleur sable.  » Chanel avait une passion pour les escaliers, note Jean-Louis Froment. Je les ai donc incorporés dans l’exposition. La moquette évoque la plage de Biarritz, ville où débute la légende. Ainsi, on entre dans le temps Chanel, ce temps qui nous accompagne pendant tout le processus de l’exposition. « 

Les Noirs. On pénètre dans un premier cube, habillé d’étoffes noires qui ont fait le succès et la renommée de Chanel. Puis, on admire, dans une vitrine, certaines robes parmi les plus emblématiques, dont la célèbre petite robe noire, créée en 1926. Dans l’espace dédié aux artistes, le regard est attiré par l’£uvre de Julian Schnabel ( Ornamental Despair, 1980), une femme abandonnée, peinte de blanc sur un grand velours noir et baroque. Plus loin, un néon blanc sur fond noir (sans titre, 2005) de Matthieu Mercier suggère ces cascades de perles si chères à Coco Chanel, immortalisées par Man Ray dans ce superbe portrait de 1935.  » L’art peut porter le langage de quelqu’un à travers le temps… « , commente Jean-Louis Froment.

Venises.  » Tout ce que je touche est byzantin… « , aimait à dire Coco Chanel. A Venise, où elle séjourne en 1920, tout l’inspire : l’éclat des ors, le chatoiement des mosaïques, l’exubérance des motifs. Les somptueuses robes, richement parées de broderies, témoignent avec panache de cette parenthèse vénitienne. Plus loin, on assiste au dialogue de deux photos. Le portrait de Misia Sert, amie et complice de Coco Chanel, photographiée par Horst P. Horst en 1947 devant Les Noces de Cana de Véronèse fait face au même décor, mais investi par la foule contemporaine, sous l’objectif de Thomas Struth ( Galleria dell’Academia, 1992). Le gigantesque miroir de Jeff Koons, Christ and the Lamb (1986) répond avec justesse à l’univers baroque de Chanel.

Sables.  » On passe du baroque au minimalisme, vers les choses  » pauvres  » « , souffle Jean-Louis Froment. C’est l’époque de Biarritz et de la première maison de couture,  » l’invention  » du jersey, inspiré des sous-vêtements de marins pêcheurs. La pièce phare ? La tunique en jersey de soie créée en 1916. Un filet de pêcheur doré tissé à la main ( The power to be true to you, 2003), £uvre d’Anya Gallaccio, illustre avec maestria cet univers minimaliste.

Rouge. Couleur de la passion, Chanel l’adorait. Chaque collection se terminait par une pièce rouge dont on peut voir quelques exemples spectaculaires, notamment ce corset rouge et or, créé par Karl Lagerfeld en 1985. De superbes photos, par exemple L’Opéra Garnier de Candida Höfer (2007) avec son rideau rouge, rythment cet espace vibrant d’énergie.

Tweed. Coco Chanel file l’amour parfait avec le duc de Westminster, fait de longs séjours dans la campagne anglaise. Sa mode est marquée par le passage de l’homme vers la femme. En témoignent ces douze tailleurs en tweed blanc avec douze variations de ganses.  » Coco Chanel a inventé l’uniforme et la répétition, conclut Jean-Louis Froment. Elle sait qu’elle est une légende et veut que les femmes lui ressemblent.  » Cette répétition on la retrouve dans l’£uvre Sixteen Jackies (1964) d’Andy Warhol où Jackie Kennedy porte un tailleur en tweed ou encore dans la célèbre toile rayée Quand la peinture fait le mur (1991) de Daniel Buren.

Tout au long de cette exposition magnifique, les correspondances entre l’art et la mode sont évidentes, des dialogues inattendus se tissent à chaque instant. On dit souvent que les créateurs de mode s’inspirent de l’art. Et si, pour une fois, l’inverse était vrai ?

Carnet d’adresses en page 96.

Barbara Witkowska

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