Retour à la tradition pour Walter Steiger. A Paris, le créateur a ouvert un atelier sur mesure, où il met son expérience au service d’un travail artisanal des plus purs.

C’est l’histoire d’un gamin qui n’aspirait qu’à une chose : devenir cordonnier, comme son père. Sauf que Walter Steiger n’est pas du genre à se contenter d’une moitié de rêve. Si son paternel a trouvé son bonheur dans les montagnes suisses, à confectionner de grosses chaussures de ski cousues main, le jeune Genevois envisage, lui, de conquérir Paris et, désir ultime, d’y ouvrir un jour son propre atelier sur mesure.

Quand on a 15 ans, il fait bon fantasmer. Mais il importe surtout de ne pas perdre en route ses envies les plus folles. Walter Steiger n’a pas failli. A 67 ans, il vient d’ouvrir sa boutique tant désirée, à deux pas de la chicissime rue du Faubourg Saint-Honoré, où il possède déjà une enseigne de prêt-à-porter. Un nouvel espace entièrement consacré aux chaussures sur mesure pour hommes et femmes. Un espace qui fait la part belle à l’excellence, au savoir-faire et à l’élégance.

Le nom de cet atelier flambant neuf ? Bottier Steiger. Sans fioriture, ni flonflon. Même le prénom Walter – qui a pourtant largement contribué à la renommée de la marque Walter Steiger – a ici disparu. Pour cause, la relève a pointé le bout de son nez.  » Il y a trois ans, mes fils m’ont proposé de travailler avec moi, raconte le chausseur, tête ronde et lunettes qui le sont tout autant. Une surprise ! De là est venue l’envie de se lancer dans une aventure susceptible de marquer les esprits, dans un projet qui privilégie le retour à la tradition. Une démarche comparable à celle de la haute couture. « 

Dans son atelier, quelques formes en bois ont déjà été limées et polies, d’après les mesures exactes de leurs propriétaires. Autant de témoignages pérennes, qui traverseront les ans et les modes. Assis à sa petite table, un jeune compagnon s’affaire sur un cuir tanné, sous le regard attentif de Michel – de l’estimable Maison Michel, qui crée notamment les accessoires pour la collection Métiers d’art Chanel – appelé de temps à autre en renfort, pour assurer la supervision des plus jeunes. Car l’art de créer des chaussures sur mesure, qui plus est cousues main,est en passe de tomber en désuétudeà Seuls de rares et habiles artisans bottiers sont encore capables de se servir de la multitude d’outils qui pendent au mur, pour transformer l’un des croquis de Walter Steiger en un accessoire de mode, alliant haute qualité et confort.

Il faut généralement compter une semaine de travail pour assembler les cuirs et finaliser complètement une paire de chaussures.  » L’idée est de partir d’un des modèles existants, pour ensuite le personnaliser au gré des envies, détaille le créateur. Tout est possible, du moment qu’on ne s’éloigne pas de l’esprit de la ligne. En sur-mesure, j’ai la possibilité de créer des pièces que je ne peux pas concevoir en prêt-à-porter. « 

Un léger carillon. Une curieuse entre dans la longue boutique attenante à l’atelier.  » Je suis cliente Steiger depuis vingt ans au moins « , confie-t-elle, cherchant à connaître les tenants et aboutissants de ce lieu, récemment inauguré. Patient, Walter Steiger lui explique le sens de sa démarche. La voilà qui applaudit :  » C’est vrai qu’il y existe encore une clientèle qui désire quelque chose de spécial et d’unique. Bravo, cela enrichit le quartier ! « 

De Bally aux plus grands

Ce pari de l’excellence, Walter Steiger n’aurait pu l’envisager sans avoir accumulé autant d’années d’expérience. Cinquante-deux exactement, retracées dans une récente biographie rédigée par Francesco Frascari, un ami d’enfance de son fils. Tout juste adolescent, il part faire son apprentissage chez l’artisan Karl Fischer, un Suisse spécialisé en orthopédie mais connu pour la réalisation de chaussures de luxe. Il atterrit ensuite chez un certain monsieur Molnar, bottier réputé basé à Zurich. Auprès d’artisans aux visages burinés par le temps, il se frotte à des techniques raffinées. C’est entre autres là que le créateur découvre le potentiel des chaussures cousues main, sans traces de colle, un procédé artisanal qui caractérise encore aujourd’hui ses créations.

Mais le sérieux de cette formation ne bride pas l’inventivité et l’audace fantaisiste du jeune cordonnier. Dans ses rares moments de liberté, il s’essaie à la réalisation de plusieurs modèles. Dont ses chaussures  » pullover « , avec lesquelles il séduit Bally, entreprise suisse de fabrication de chaussures. Chemin faisant, il déboule à Paris, engagé comme styliste pour cette maison. Puis est promu à Londres, où il commence à faire parler de lui, notamment pour ses innovants cuirs fluo et ses plastiques transparents. Il a tout juste 22 ans, et se voit confier la responsabilité de la ligne Bally Bis, créée juste pour lui. Plagiant une publicité Esso, Bally n’hésite pas à communiquer avec le slogan  » We have a Steiger in our tank « à

Le jeune cordonnier réservé des débuts a pris de l’assurance. Le voilà qui fonde sa griffe et ouvre sa première boutique en 1974, rue de Tournon, à quelques pas de celle d’Yves Saint Laurent.  » A l’époque, les créateurs de mode ne fabriquaient pas encore eux-mêmes leurs chaussures, se souvient Walter Steiger. Gérard Pipart, de Nina Ricci, est le premier à être venu me voir. Il voulait que je chausse sa collection.  » Par la suite, le cordonnier participera aux défilés de Sonia Rykiel, Ungaro, Anne Marie Beretta, Chloé (où officie Karl Lagerfeld), Claude Montanaà  » Connaissant l’ADN de leur maison, j’arrivais chez eux avec des prototypes, qui évoluaient parfois en fonction de leur collection. « 

 » Ce qui m’a le plus plu ? poursuit Walter Steiger. Présenter une nouveauté qui par la suite est devenue un classique. Le talon virgule ou la botte cavalier à talon étaient par exemple considérés comme révolutionnaire, à l’époque. Maintenant, on n’y pense même plus. Pareil pour le zip situé à l’arrière du talon. Depuis quelques saisons, on ne voit plus que cela. Je n’ose même pas dire que c’est moi qui l’ai imaginé ; cela paraît trop prétentieuxà « 

Pas à pas, le cordonnier est actuellement à la tête de 16 boutiques, réparties dans le monde.  » J’ai toujours été un peu à part, dans le secteur de la chaussure. A l’inverse d’autres, je n’ai pas cherché à bâtir une grosse organisation commerciale, ni à vendre le plus possible. Je vis très bien si on ne parle pas de moi.  » Nul doute que l’arrivée de ses fils, commerciaux de formation, risque de faire évoluer la donneà Mais le secret d’une belle chaussure, lui, ne changera pas :  » Tout réside dans l’attention apportée aux proportions et au chaussant. L’important, c’est la forme, imaginée selon les règles de l’art.  » n

Par Catherine Pleeck

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