Il est l’un des grands noms de l’art contemporain. A 75 ans, Arman poursuit inlassablement son ouvre… depuis de longues années déjà, le sculpteur fécond se partage entre la France et New York. Il a ouvert à Weekend les portes de sa belle maison nichée au cour de Tribeca, le quartier hyperbranché de Big Apple.

Arman aime raconter û pour expliquer comment il en est arrivé aux  » accumulations  » qui lui ont valu une célébrité universelle û qu’avant d’être devenu un  » amateur « , il a été un  » amasseur « . L’artiste star fait référence, par ce souvenir, à l’époque où, fils de brocanteur, il courait puces et foires aux antiquités pour engranger tout ce à quoi il trouvait de la poésie.  » Elevé au milieu des objets, l’esprit de collection, pour moi, a toujours été une seconde nature « , s’enthousiasme-t-il. Il a donc amassé, rassemblé, réuni, rapproché, détourné, découpé, démonté, reconstruit les objets les plus communs ou les plus insolites… Grâce à eux, à sa curiosité et à son talent, l’artiste se trouve aujourd’hui à la tête d’une £uvre considérable, unanimement reconnue et universellement appréciée. A son actif, ce créateur infiniment fécond ne compte pas moins de 70 expositions dans des musées, 600 en galeries et 7 000 opus ! Mais par comparaison avec Picasso û 38 000 créations û, l’infatigable sculpteur estime sa production très modeste…

Aujourd’hui, Arman  » amasse  » les maisons, c’est-à-dire, qu’il les collectionne. Il partage ainsi son temps et son travail entre Paris (où il réside à l’hôtel Lutetia, dans une suite qu’il a décorée), Vence (où il est né) et Manhattan (capitale artistique du pays dont il a adopté la nationalité depuis trente ans).  » A New York, je suis mieux protégé pour travailler, confie-t-il… Je peux me concentrer davantage sur mes projets…  » Mais où qu’il se trouve, l’artiste aime s’amuser avec les formes, les couleurs, les accords. Partout, le plus sérieusement du monde, il joue à créer, à inventer aux choses des sens nouveaux. Partout, il se plaît à collectionner et à donner à ses collections une force insoupçonnée qui les érige au rang d’£uvres d’art.

 » J’ai toujours été curieux, poursuit Arman. J’aime voir, comprendre comment fonctionne une machine, d’où ma manie de disséquer, de scier, de découper les objets. Les objets, c’est le sujet de toute mon £uvre, ma matière première. Ce sont toujours de vrais objets, produits en masse. Je les choisis en fonction de l’appétit du moment, et par séries.  »

Sous l’action d’Arman, les objets prennent, en se multipliant, en étant détournés de leur fonction originelle, une finalité et une signification autres : ils deviennent étranges, admirables, porteurs d’une signification nouvelle. Ils changent de catégorie et les plus humbles, à l’image des plus subtils, deviennent £uvre d’art. Le maître du détournement, de plus, ne dissimule pas sa discrète jubilation à entrevoir que sa démarche donne, comme il l’explique, un  » petit coup d’accélérateur  » à la société de consommation. Le titre de plusieurs de ses opus indique d’ailleurs cette intention :  » Brisures « ,  » Combustions « ,  » Colères « 

Etagée sur plusieurs niveaux, sa maison, au sud de Manhattan, au c£ur de Tribeca, lui permet de réunir son atelier et son appartement. Insigne privilège : en une volée d’escalier, le sculpteur se protège des contraintes de la vie de famille et l’artiste solitaire, lui, trouve le chaleureux réconfort de l’affection de sa tribu : Corice, son épouse (qui servit de modèle à son ami Andy Warhol), et leurs deux enfants, Yasmine et Philippe-Alexandre.

La demeure, naturellement, est remplie de nombreuses créations du maître : tapis, mobilier, tableaux, sculptures… Mais on y trouve, également, beaucoup d’£uvres d’amis, comme le regretté Yves Klein, des meubles des plus grands créateurs (Le Corbusier, Eileen Gray) et, évidemment, des collections. Certaines, comme les paniers, les radios en bakélite ou les lampes de bureau, sont très amusantes. D’autres, comme les armures japonaises, sont de véritables splendeurs. C’est de ce côté que doit se ranger l’art africain dont Arman, de l’avis unanime des amateurs, possède un des plus beaux ensembles au monde.

 » Ce qui me séduit, dans l’art africain, c’est, d’abord, la solution esthétique, souligne Arman. L’abstraction hardie, la splendeur et la puissance de la forme. Je suis moins sensible au mystère de ces statuettes ou de ces masques, à leur magie, leur pouvoir incantatoire.  » Plongés dans l’art et la passion des collections, Philippe-Alexandre et Yasmine pourront-ils échapper au déterminisme de poursuivre, un jour, l’£uvre de leur père ? Quand on leur pose la question, ils essaient de l’esquiver, mais il n’est pas difficile de comprendre que l’envie les tenaille déjà.

Robert Colonna d’Istria

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