Chille Deman, militant: « C’est dommage de nous appeler LGBTQIA+, cela met l’accent sur la division »

© LAetitia Bica

Chille Deman (76 ans), figure emblématique du militantisme LGBTQIA+, a reçu en mai dernier la médaille du citoyen de la Ville de Bruxelles pour son engagement. Dans la foulée, la Pride – qu’il a cofondée en 1996 – s’est vue inscrite au patrimoine immatériel de la Région bruxelloise. A l’affiche de la pièce La vie secrète des vieux, il jette un regard bienveillant sur ses accomplissements.

L’union fait la force

Il faut mettre l’accent sur ce que l’on a en commun. C’est peut-être un peu bateau, mais je reste convaincu que c’est important. Les communautés doivent se rencontrer à nouveau, c’est essentiel de travailler ensemble. Les politiques nous font croire que nos différences sont insurmontables mais en réalité, Flamands ou Wallons, on se ressemble plus que l’on ne pourrait le croire. C’est aussi dommage de nous appeler LGBTQIA+, cela met l’accent sur la division. Alors que c’est l’union qui fait la force. Pour le moment, je crains que l’on ne divise plus que l’on ne rassemble.

Repli sur soi

Rien n’est jamais acquis. Quand on regarde ce qui se passe autour de nous, on ne peut que constater un repli sur soi. Et certains droits que l’on pensait gravés dans le marbre sont à nouveau mis en question. Cela m’inquiète beaucoup, même si j’ai l’impression que la jeunesse en est consciente et qu’il y a tout un mouvement que l’on ne peut plus contrecarrer.

Une révélation

La honte a disparu. J’ai mené une double vie. J’ai été marié par deux fois avec une femme. J’essayais de lutter contre mes pulsions, mais j’avais honte. Et puis j’ai rencontré Christian, ça a été une révélation et je suis enfin sorti du placard. Je suis directement allé dans la rue. Au début, les gens craignaient de rejoindre les cortèges comme la Pride, par peur d’être photographiés parce qu’ils assumaient leur homosexualité. D’ailleurs, on nous avait interdit de défiler sur les grands boulevards, ça faisait mauvais genre. C’était en 1996, on devait être 4.500. Quand je vois qu’en 2024, on était plus de 200.000 et que l’événement est ouvert à tous, peu importe le genre, cela me rend terriblement heureux.

Militer

Les vrais changements prennent du temps. Quand j’ai commencé à militer, on se battait pour obtenir le droit de se marier, de pouvoir exister et d’avoir un statut légal qui nous protégeait. On luttait pour que nos droits s’améliorent et que les mentalités évoluent. Sur ce point, on a encore du chemin à faire. Ce qui est logique. Il suffit de se rappeler que les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1948 et que l’égalité absolue entre hommes et femmes n’existe toujours pas.

« J’essaie de me départir de mes regrets »

Un moteur

L’amour est à la source de tout. C’est un véritable moteur dans ma vie. Peut-être même la chose la plus importante. Il ne se limite pas uniquement à la personne que l’on aime: il se trouve aussi dans nos relations amicales, nos connaissances ou notre famille. C’est important de nourrir toute ces sphères de la même manière, mais aussi de s’en nourrir pour continuer d’avancer.

Se battre

Il faut constamment rester en mouvement. Le plus important, c’est l’action. Si on veut faire quelque chose, il faut aller jusqu’au bout. Ne jamais accepter le statu quo et constamment trouver des solutions. Quand je travaillais dans le secteur du logement en tant que coordinateur social (NDLR: à la Fédération Bruxelloise Unie pour le Logement), j’ai toujours essayé de trouver des alternatives valables pour ceux qui en avaient besoin. D’être dans le concret. On a eu des gros découragements, et la crise du logement à Bruxelles est ce qu’elle est, mais j’ai appris à me battre pour mes valeurs.

Une devise

Carpe diem. Ces derniers temps, si je devais choisir une devise, ce serait de saisir le jour et de le vivre pleinement. J’essaye de me départir de mes regrets et de regarder le passé avec bienveillance. Sans m’appesantir sur des remords qui ternissent tout, rien ne semble bien assez avec eux. Je ne garde que l’essentiel et m’en délecte chaque jour.

Un second élan

Il faut prendre soin de nos vieux. Avant de rejoindre la pièce La vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib, j’organisais petit à petit ma fin de vie. Avec moins d’intérêts, moins de choses à faire. J’avais visité un service flat (NDLR: une résidence-services permet aux personnes âgées de vivre en autonomie tout en ayant la possibilité de faire appel à des services dédiés) et ça me plaisait. Jusqu’à ce que j’assiste à une réunion: là, je me suis dit que vivre là-dedans m’était impossible. Le théâtre m’a redonné de l’énergie. Comme un second élan. Sur scène, on raconte nos histoires, on laisse des traces. Et j’espère pouvoir le faire encore longtemps.

La vie secrète des vieux, mis en scène par Mohamed El Khatib, est actuellement en tournée en France.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content